Indonésie 30 septembre 1965 : le plus violent coup d’état contre révolutionnaire au monde
« L’année de tous les dangers »
Un massacre « oublié ». Pourtant un des plus terribles de l’histoire. Le 30 septembre 1965, le coup d’État « préventif » du général Suharto entraine le massacre de plus d’un million d’Indonésiens, et plusieurs millions vont être enfermés dans des camps en 1966 et 1967. Un bilan autour de 500 000 à 3 millions de victimes, un des pires massacres de masse du XX° siècle.
Dans ce pays alors de 130 millions d’habitants, avec 3 millions de membres le Parti communiste indonésien (PKI) comporte à l’époque de 3,5 millions de membres, le plus grand au monde après l’URSS et la Chine. 6 organisations de masse lui sont affiliées, soit 23,5 millions 3,5 millions au syndicat SOBSI, 9 millions dans l’association paysanne BTI, 5 millions dans les fédérations d’enseignants, d’écrivains, artistes, intellectuels, de cadres communistes, 3 millions dans les mouvements de la jeunesse Pemuda Rakyat, et des femmes Gerwani)
Il s’est constitué contre les colonisateurs néerlandais puis contre les envahisseurs japonais, puis britanniques, il a accepté un « front national uni » qui fait passer les intérêts du « peuple » avant les intérêts de classe, et s’est allié avec Soekarno, le « père de l’Indonésie », président qui avait fait le choix du neutralisme et du mouvement des « non alignés » ainsi que d’une « économie dirigée contre l’exploitation de l’homme par l’homme ». Ce régime (« Nasakom ») voulant officiellement allier le nationalisme, la religion musulmane et le communisme a effectué une réforme agraire limitant la taille des propriétés et redistribuant la terre. Il entretient des liens étroits avec la Chine et la Russie, ce qui irrite les Etats-Unis qui préparent son renversement dès les années 1955.
La reddition des japonais dans toute la région, l’échec des britanniques pour remplacer les néerlandais incapables de rétablir leur domination coloniale, la défaite voisine des français en 1954 à Dien Bien Phu au Vietnam, tout cela pousse les US à soutenir l’aile droite de l’armée indonésienne, leur fournissant le système de transmission qui a permis d’organiser les massacres et des listes de communistes à éliminer. L’importance décisive des opérations secrètes de la CIA visant à provoquer l’affrontement entre le PKI et l’armée ont été révélées depuis
Pendant les années 1965 et 1966, les militaires, les milices du Parti Musulman, et du Parti National Indonésien vont anéantir de façon méthodique le PKI et ses sympathisants à Sumatra, Java, Bali, Celèbes, Bornéo, Timor. Le chiffre de 500 000 victimes assassinées a été confirmé par certains historiens qui parlent de génocide. C’est la pire hécatombe subie par un parti communiste, à part les grandes purges de Staline dans l’entre-deux guerres. Outre les victimes des massacres, entre 600 000 et 750 000 personnes sont incarcérées, pour des périodes allant de un à trente ans. (Cf. en 2012 et 2014, deux documentaires réalisés par l’Américain Joshua Oppenheimer, The Act of Killing et The Look of Silence.)
L’armée divise les prisonniers en trois groupes : le groupe A est composé des cadres dirigeants du PKI, censés avoir joué un rôle dans la tentative de putsch du 30 septembre. Ils sont détenus durant de longues années avant de passer en jugement ; aucun n’est acquitté et beaucoup sont condamnés à mort. Le groupe B rassemble des militants de base du PKI, considérés comme « indirectement » impliqués dans le coup d’État : un grand nombre d’entre eux est relégué dans des colonies pénitentiaires comme celle de l’île de Buru, où ils doivent assurer leur propre subsistance via l’agriculture. Ils sont également souvent condamnés à des peines de travaux forcés. Le groupe C est composé des sympathisants du PKI, souvent des membres de ses organisations de masse ; beaucoup connaissent un sort moins dur que les membres des groupes A et B, et sont détenus plus près de leurs familles qui peuvent leur rendre visite et leur apporter des vivres. La plupart des détenus C sont libérés vers 1972, mais ils demeurent privés de leurs droits civiques et sont exclus de certaines catégories d’emplois. Les militantes de la Gerwani – l’organisation féminine du PKI – sont fréquemment violées en prison. Le massacre des communistes réels ou supposés laisse beaucoup d’enfants orphelins ; certains sont retirés aux parents qui leur restent. Les maisons des personnes tuées ou emprisonnés sont souvent brûlées, ou confisquées, parfois réquisitionnées par l’armée, voire transformées en centres de détention.
C’est ainsi que le risque redouté par la CIA de voir se constituer un « axe » entre la Chine maoïste et l’Indonésie est écarté, alors même que les États-Unis sont en pleine escalade militaire dans la péninsule indochinoise, Vietnam, Laos et Cambodge.
Le silence international est organisé. Les opinions publiques occidentales sont peu informées. Suharto remplace Sukarno et reste dictateur jusqu’en 1998.
En 1978 un roman à succès de l’écrivain australien Christopher Koch, L’Année de tous les dangers, fut adapter au cinéma en 1982 par Peter Weir, avec Mel Gibson et Sigourney Weaver. En 2016, un tribunal d’opinion composé de juristes de divers pays reconnait l’État indonésien coupable de crimes contre l’humanité et qualifie la « tragédie de 1965 » de « génocide ». En 2017, le gouvernement américain déclassifie 30 000 pages de documents de son ambassade à Djakarta : les dossiers mis à disposition des chercheurs montrent que l’administration Johnson était parfaitement « au courant » des évènements et s’est abstenue de s’opposer aux agissements de l’armée indonésienne. En 2018, l’historien américain Geoffrey B. Robinson publie The Killing season, dans lequel il revient en détail sur l’histoire des massacres indonésiens. Dans cet ouvrage, il pointe les responsabilités des États-Unis qui, comme les Britanniques, ont encouragé pendant des années l’armée indonésienne à en finir avec Soekarno et le PKI et lui ont ensuite laissé les mains libres à Suharto : il juge que les États-Unis et leurs alliés se sont rendus complices de crimes contre l’humanité et de génocide.
Suharto décidera en 1975 d’envahir et d’annexer le Timor oriental « avec la complicité diplomatique des États-Unis et aussi avec leurs armes » selon l’Américain Noam Chomsky, mais aussi du Royaume-Uni, de l’Australie et de la France. Cette invasion fit 200 000 morts. Il réprima par ailleurs dans la violence les mouvements communistes et islamistes : le nombre total de victimes varie de 300 000 à 3 millions. Il est alors considéré comme l’un des chefs d’État les plus corrompus et on estime qu’il a amassé, avec sa famille, une fortune de 40 milliards de dollars.
Au début des années 1990, il réprime brutalement la révolte d’Aceh et fait 9 000 morts. Les villages soupçonnés d’abriter des membres du GAM – Mouvement pour un Aceh libre, organisation qui lutte pour l’indépendance de la province indonésienne d’Aceh à la pointe nord de l’île de Sumatra) sont incendiés et les familles de militants présumés sont enlevées et torturées – organisation q
L’Indonésie sera le pays le plus touché par la crise financière asiatique de 1997-98. La monnaie nationale perd 4/5ème de sa valeur. Les étudiants se mobilisent pour dénoncer l’accord de transmission de pouvoir entre Suharto et Sukarno. Un étudiant meurt dans un affrontement avec les forces de l’ordre. Six d’entre eux sont fusillés par l’armée quelques jours plus tard. En mai 1998, suites à d’importantes émeutes (1 200 morts ; 182 viols collectifs par les militaires recensés) à Jakarta, Suharto est contraint de démissionner.
Divers présidents se succédèrent jusqu’en 2024 où tout bascule de nouveau. Prabowo Subianto est élu face au fils de l’ancien président, Widodo, non éligible après deux mandats consécutifs. Widodo, bénéficiant d’une forte popularité (70%) appellera – a la stupeur générale – à voter pour son adversaire, contre une place pour son fils en tant que Colister (vice-président).
Il n’aura pas fallu attendre février pour que les étudiants appellent à de massives manifestations antigouvernementales pour répondre à leurs attentes. Une deuxième vague eu lieu en mars concernant une loi permettant aux militaires d’être à des postes clés de la politique. C’est en août que l’ampleur des manifestations basculera quand le gouvernement vote une loi d’augmentation de 250% des taxes foncières et immobilières tout en augmentant les aides aux logements des députés d’environ 3 000 dollars par mois, déjà rémunérés entre 6 000 et 14 000 dollars mensuels.
Le salaire médian Indonésien est d’environ 200 dollars par mois (environ 3 000 000 de roupies). Cet écart colossal entre les revenus des députés déjà ultra riches et la population amène une première manifestation le 25 août ou plus de 100 000 personnes défilent, faisant des dizaines de blessés. Le drapeau One Piece[1] est érigé symboliquement dans toutes les manifestations puis interdit. Les manifestations sont violemment réprimées.
Le président, ancien militaire du dictateur, affirme qu’afficher ce drapeau ou participer à des manifestations relève de la haute trahison envers son pays, et que les émeutes, en marge du mouvement, relèvent du terrorisme. C’est le 28 août 2025 que tout bascule.
Affan Kurniawan, chauffeur Grab (l’équivalent d’Uber en Asie) est renversé ce soir-là par un véhicule blindé de la police un jour de manifestation. Le véhicule, après l’avoir renversé, puis s’être arrêté, repart en roulant sur le jeune homme de 21 ans, avant de s’enfuir. La vidéo est massivement diffusée sur les réseaux sociaux. Il décèdera à son arrivée à l’hôpital. Le jeune homme, ne manifestait pas et passait simplement par là pour son travail.
Le lendemain, des dizaines de milliers de moto taxi défilent partout en Indonésie, tandis que les étudiants étaient devant le siège national de la police pour exiger justice. La foule de manifestants, mis le feu aux parlements régionaux, et attaqua le siège de la police régional. Pour calmer la foule, la police annoncera le licenciement des 7 policiers présents dans le véhicule. Deux jours plus tard, plusieurs parlementaires indonésiens s’enfuyaient à l’étranger.
Le domicile de trois d’entre eux furent totalement pillés et incendiés, notamment celui du ministre des Finances (aujourd’hui remplacé par une autre ministre sur décision de Subiano). Ahmad Sahroni, membre de la chambre des représentants qui avait décrit les manifestants comme « les plus stupides du monde » vit sa maison pillée et incendiée également. Aucune ile de l’archipel ne sera épargnée, les manifestations atteignant même Bali et Lombok.
Après avoir dans un premier temps envisagé la loi Martial, Subianto sera obligé de faire marche arrière, et la loi est abandonnée le 31 août. Au 3 septembre, l’ONG internationale Human Rights dénombrait 10 morts, 20 disparus, 1 000 hospitalisés et 3000 arrêtés. Le Népal suivra quelques jours plus tard le chemin ouvert par l’Indonésie.
LRF
[1] Manga sur la piraterie ou ce drapeau est arboré par le personnage principal, qui lutte contre le gouvernement mondial et les injustices