Bayrou au trou
Fallait-il quand on est opposant de gauche, laisser voter un budget de droite sous prétexte que le pays ne peut pas rester sans budget ? Poser la question c’est y répondre. « Socialement c’est un budget injuste et qui n’a aucune ambition écologique… mais il est urgent de le mettre en place, c’est un mal nécessaire… Il y a des mesures dures, comme la baisse de l’indemnisation des arrêts maladies, qui vont peser sur le monde du travail » dit Marilyse Léon au nom de la CFDT, ce qui est un curieux langage pour une dirigeante syndicale.
La gauche n’est pas garante de l’ordre capitaliste déstabilisé par Macron. Le salariat souffre chaque jour cruellement de cette politique : c’est la faute à Macron, à sa dissolution brutale du 9 juin 2024, à son refus de tenir compte du résultat des urnes, à ses manœuvres pour ne rien changer à sa politique pro-business.
Il y a forcément des élections en vue, même si la date est incertaine et nous devons démontrer aux électeurs qui n’ont pas voté pour le NFP les 30 juin et 7 juillet dernier, que c’est pour nous qu’il faudra voter la prochaine fois. Cinq des principaux partis du NFP représentés à l’Assemblée Nationale sur six étaient favorables à « négocier » le moins pire budget possible : EELV, PCF, PCF, Génération’s, LAPRES. Seule LFI a refusé, alors qu’elle aurait dû, par souci d’unité y participer, elle aurait ainsi, en présentant un front uni, aidé le NFP.
« Négocier » n’est jamais un mal en soi, quand on ne peut pas faire autrement et qu’on veut montrer sa bonne volonté en braquant les phares sur le refus de ceux d’en face. Tous les salariés grévistes et syndiqués savent qu’il faut négocier avec le patron même si on a une seule envie, c’est de le virer. Pareil en politique, quand il y a blocage institutionnel, faire du judo pour faire chuter l’ennemi fait partie de la lutte de classes.
C’est ainsi que la phase même chaotique de négociation a démontré à ceux qui en doutaient que Macron et Bayrou ne voulaient rien céder sur le fond. Le budget est reparti de celui de Michel Barnier, il n’a concédé que quelques rares éléments (les 4000 professeurs non supprimés) pour mieux faire passer d’autres nombreux lourds reculs (indemnité journalière en cas de maladie réduite à 90 %) selon la technique dite « du rabot », il a été rogné sur tous les services publics et refusé de faire payer les riches (à part une maigre et éphémère taxe laquelle a d’ailleurs fait aussitôt hurler les patrons plus que raison). La CGT souligne « qu’en tout environ 12,34 milliards d’euros ont été rabotés » : « le monde du travail et de l’emploi perd 1,85 milliard, tandis que l’Éducation nationale perd 1,19 milliard. La Recherche perd 630 millions, l’Aide au développement perd 781 millions ». Solidaires dénonce « le budget libéral du gouvernement qui aura des conséquences désastreuses pour la vie des plus précaires. Il affaiblira les mécanismes de solidarité que sont les prestations sociales et les services publics qui permettent de réduire ou compenser les inégalités sociales ».
Bilan du budget, comme l’a dit toute la gauche : « Pire que Barnier ».
Bayrou a procédé comme un maquignon, tiré dans un sens, tiré dans un autre, allumé des faux signaux, masqué ses mauvais coups. Toute sa vie politique est construite sur le mensonge et la manœuvre. Il fait des allusions, prend un ton patenôtre pour asséner des aphorismes creux et mène obstinément une politique de droite tout en la baptisant du « centre ». Il prouve de ce fait, dans la foulée de Macron, qu’il n’y a jamais de « centre », il rogne toujours sur les droits sociaux, l’école publique, la santé publique, les services publics et promeut l’austérité et le chantage à la dette. Depuis 2017 il était pour Macron, il a prouvé qu’il le soutenait politiquement totalement, jusque dans ses coups de force, même quand les urnes, le 7 juillet, ont placé le NFP en tête à l’Assemblée nationale.
Le point d’indice de la fonction publique a été gelé et Bayrou a dit qu’il refuserait de majorer le Smic en juillet même de 1% ! Ce qui signifie que tous les salaires vont reculer tout au long de l’année 2025, au moins au niveau de l’inflation. Rien que cela suffit à justifier la censure.
Cinq des principaux partis de gauche du NFP sur six (EELV, Génération’s, LFI, LAPRES, PCF) ont d’ailleurs choisi la censure : seul le PS a refusé de la voter alors qu’il aurait évidemment dû le faire, il aurait conforté le NFP.
L’union de toute la gauche est essentielle : « - Ne nous trahissez pas » tel est le cri qui vient de millions d’électeurs aux dirigeants des six principaux partis. Les dirigeants du PS auraient dû être sensibles à cela et se sont évidemment exposés aux accusations de trahison. Ne pas avoir un front uni de toute la gauche l’affaiblit tout entière.
Alors que s’est-il passé dans le PS ?
La majorité Faure favorable à l’union NFP et favorable à la censure (avec EELV, LFI, PCF, LAPRES, Génération ‘s) a été battue dans le groupe parlementaire par son aile droite pro « Hollandaise », semble-t-il avec un vote serré 30 à 36. Cette aile droite est anti NFP, elle a obtenu 48,5 % des voix au dernier congrès du PS, elle ne veut pas du programme NFP, elle sabote systématiquement le PS de l’intérieur pour en revenir à la politique suivie par Hollande Valls de 2012 à 2017. Son principal argument est de jouer sur la défense de l’identité du PS et elle manipule ainsi les militants en accusant la direction Faure d’être « soumise » « dépendante » des diktats de LFI. Si bien que chaque fois que LFI enfle ses polémiques contre le PS, c’est l’aile droite qui en retire les bénéfices en interne.
Huit députés socialistes ont refusé le scrutin et participé à la première censure, le 15 janvier six à la seconde le 5 février. Mais la majorité des députés PS refusait de voter aussi la deuxième censure. La direction Faure a tenté d’éviter ce second échec en soumettant au Bureau national une motion de censure propre au PS sur l’immigration – après celle du budget. Faure essaie désespérément ainsi de sauver l’union NFP, en expliquant qu’il est toujours opposé au gouvernement Bayrou, qu’il était, lui, pour la censure, qu’il espère que la gauche va voter sa « seconde motion ». C’est paradoxal de demander de voter pour sa propre motion alors que le PS n’a pas voté la motion des 5 autres partis ? C’est aussi paradoxal de ne pas avoir voté contre un budget tout antisocial et de choisir de ne voter que contre le seul aspect de la politique anti immigration. Hollande qui veut être candidat à nouveau en a quand même profité pour couler cette deuxième motion de censure en expliquant que si elle risquait de menacer le gouvernement Bayrou, il la retirerait. Si bien que sur ce coup l’aile droite paralyse le PS et l’isole. Faure a beau promettre qu’il déposerait une autre motion de censure sur les retraites (en mai ?), il n’est pas entendu.
Car c’est le moment où LFI se déchaîne en publiant des affiches qui présentent Olivier Faure en médaillon revers symétrique avec Le Pen. Et une pléiade d’affiches qui accusent en gros le PS d’être comme les fascistes soutien de Bayrou Macron. Mélenchon vise Faure qu’il traite de menteur, et ses affiches visent le PS tout entier en faisant semblant d’ignorer son débat interne à la veille du congrès prévu en juin. Ce faisant LFI aide Hollande à marquer des points contre Faure et, en voulant chasser le PS du NFP, contribue à aggraver la fracture. Tous les démons de bas étage ressortent « le PS n’est pas de gauche », « partis de traitres » « forfaiture » et piétinent toute analyse sérieuse. LFI appuie d’autant plus fortement et cyniquement cela, qu’elle veut imposer la candidature de JL Mélenchon envers et contre tous à gauche. LFI vise à discréditer Faure qui a le malheur de prôner (avec Marine Tondelier, Lucie Castets et nous Générations et LAPRES) une candidature unique de la gauche (Faure a même cité Clémentine Autain et François Ruffin devant 580 de ses militants comme possibles). C’est parce que Faure traite Hollande de « dinosaure » et Mélenchon de « diplodocus » qu’il est assimilé à Le Pen par LFI.
Les affiches de LFI sont criminelles, car elles visent à diviser artificiellement et férocement la gauche de façon irréconciliable, un peu comme dans les années trente où le KDP qualifiait le SPD de social fascisme et réciproquement. Cette division, alors que, additionnés, SPD et KPD étaient majoritaires, avait permis à Hitler de gagner. Disons-le carrément, les affiches de LFI si leur esprit n’est pas éradiqué, permettront à Le Pen de gagner.
La division du NFP est cruelle pour les intérêts de millions de salariés. « Ne nous trahissez pas ! ».
Il n’y a pas de victoire possible sans unir la majorité écrasante des 30 millions de salariés autour de la défense de leurs intérêts profonds, bien exprimés dans le programme du NFP.
Nous sommes de ceux qui avons appelé à la censure et déplorons que la lutte interne au PS ne lui ait pas permis de s’y joindre : c’est un coup dur. Mais il n’en découle pas que quiconque ait le droit ni l’autorité de chasser le PS du NFP. Au contraire c’est à nous de tenir le langage de l’union et de la reconstruction en plus fort, plus solide, en plus collectif du NFP.
C’est à nous de mener campagne avec une pétition de masse, menée avec une gouvernance collective, pour un candidat unitaire capable de rassembler toute la gauche, dès que le calendrier électoral le permettra (et il peut y avoir dès l’automne pas seulement des élections législatives mais une élection présidentielle).
Nul ne peut gagner seul à gauche. Quiconque veut imposer une candidature solitaire aux forceps nous fera perdre. C’est pareil aux municipales, il faut des coalitions de toute la gauche dès le premier tour, partout où ce sera possible, on a vu à Villeneuve St-Georges que sans union, on perdait même les élections imperdables. Il faut battre Bayrou, Macron, Le Pen, il faut lever les obstacles, débattre, rapprocher les plateformes et les actions communes, et reconstruire inlassablement le NFP, c’est une obligation de résultats, il n’y a pas d’autre issue pour faire gagner le salariat.
Gérard Filoche
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