Pénible pénibilité

Pénible pénibilité

 

Dès qu’on parle « pénibilité » dans ce débat sur les retraites, les journalistes baillent, les prompteurs s’arrêtent, l’ennui s’installe.

Comme si ce n’était pas le sujet principal du travail.

Il faut dire que Macron avait déclaré en arrivant, « je n’adore pas le mot pénibilité lié au travail ». Façon de dire qu’il ne voulait pas poursuivre les discussions engagées par Sarkozy et Woerth en 2010, sur les « critères » de pénibilité et les « taux d’usure » au travail.

Pour les patrons, en général, c’était un terrain dangereux et le Medef ne voulait pas entendre parler d’une « usine à gaz » où l’on remplacerait la pénibilité évaluée jusque-là par conventions collectives de branches et métiers par des critères et des taux individuels.

Supprimer les conventions collectives baptisées (pour mieux les dénigrer et faire sentir que c’était une affaire de privilèges catégorielles) « régimes spéciaux » et recourir à la place à des mesures individuelles c’était une gageure.

Au moins avec le côté collectif des conventions, il y avait du réalisme, de quoi négocier, et quoi déboucher sur des accords crédibles et solides mais comment voulez-vous faire avec 4600 médecins du travail pour catégoriser individuellement la pénibilité de 30 millions de salariés ?

De quoi se tracasser longuement la tête et sans aboutir !

Sarkozy-Woerth avaient d’abord reconnu « dix critères » et défini un « taux d’usure ». ce fut le début d’un compte pénibilité reposant sur des seuils annuels minimums d’expositions associés à 10 facteurs de risques définis et inscrits dans le Code du travail :

  • la manutention manuelle de charges ;
  • les postures pénibles ou positions forcées des articulations ;
  • les vibrations mécaniques ;
  • les activités exercées en milieu hyperbare (hautes pressions);
  • les agents chimiques dangereux, y compris poussières et fumées ;
  • les températures extrêmes ;
  • le bruit ;
  • le travail de nuit;
  • le travail en équipes successives alternantes;
  • le travail répétitif.

Le Medef n’en voulut pas. Trop usine à gaz. Trop compliqué. Ca concernait au moins 13, 5 millions de salariés selon la DARES, institut du ministère du travail. En fait ça concernait 100% des salariés si on y réfléchit un peu :  ce ne sont plus les coups de grisou qui tuent mais un AVC sur deux est lié au travail à ce jour.  Même si « on » vit plus longtemps, la biologie du corps humain n’a pas changé,  tout travail devient plus pénible mentalement ou physiquement autour de 55 ans…

Comment les entreprises pourraient-elles parvenir à tenir un « compte pénibilité » basé sur 10 facteurs de risques ?

La question était difficile à esquiver pourtant ; car oui, la pénibilité au travail usait les corps et comment demander de « travailler plus longtemps » sans prendre un minimum de soins de ceux que ça abimait le plus ? Les patrons et la droite  avaient besoin d’un alibi, d’un pare-feu : pour passer à 62 ans, sauf à reconnaitre l’évidence, c’est-à-dire que tous les travaux étaient pénibles mentalement et physiquement, il fallait au moins faire semblant et rouler dans la farine ceux qui allaient en souffrir le plus.

Sarkozy proposa en juin 2010 un « taux d’usure de 20 % » ce qui était une abomination : un peu comme les bestiaux, les salariés allaient se voir opposer un « taux d’usure » qui devaient leur donner droit de partir quand même avant l’âge des 62 ans.  Mais comment le mesurer ? Qui le mesure ? Quels droits ça donne ? Devant les manifestations d’octobre 2010, Sarkozy diminua le taux d’usure à « 10% ». Moralement les droits des conventions collectives des salariés étaient remplacés par des critères et des taux évalués individuellement on ne savait comment.

Comme c’était infaisable, les dix critères devinrent six (supprimes par Macron en 2018), et les « taux » abandonnés au profit de « points acquis ».

Les 4 facteurs suivants ont donc été supprimés :

  • les postures pénibles.
  • les manutentions manuelles de charges.
  • les vibrations mécaniques.
  • les agents chimiques dangereux.

Ce qui est énorme. Les six critères restants sont conservés par le projet de loi Borne-Dussopt de 2023 et les quatre critères supprimés en 2018, ne sont pas ré intégrés. En contrepartie, le gouvernement a promis d’établir une liste des métiers à risques, branche par branche, et d’offrir un suivi médical personnalisé aux travailleurs concernés. Une position en phase avec le patronat. Mais qui n’a pas plus de chance de se voir mise en œuvre.

 

Car depuis Sarkozy, les entreprises ont ignoré le compte prévention pénibilité (C2P) si bien que la question s’est reposée autour de la loi Hollande-Ayrault-Touraine 2013 (loi qui aggrava les lois Sarkozy imposant de facto un départ à 63 ans, par le biais de l’allongement de la durée de cotisations à 43 annuités).

La CFDT insistait beaucoup sur cette question, et Macron arrivé à l’Elysée à cette époque-là derrière Hollande, ne savait comment s’en dépêtrer sans fâcher le Medef.

La réforme Touraine (loi du 20 janvier 2014) prévoit encore la création d’un compte pénibilité basé sur 10 facteurs de risques  liés à des contraintes physiques marquées ou à certains rythmes de travail. Ce compte de pénibilité permet aux salariés exposés de « bénéficier d’avantages ». (mais quels avantages ?)

Ce système instauré à partir de 2016, offre à chaque salarié, trois possibilités d’acquérir et d’utiliser des points. Le salarié peut opter pour l’une des options ou diversifier l’utilisation de ses points pour recourir à l’ensemble de ces avantages. Le compte pénibilité est ouvert tout au long de la carrière du salarié. Il peut en bénéficier lorsque les points sont inscrits sur le compte et toute utilisation sera définitive une fois la demande validée. C’est déjà d’une complexité énorme pour un salarié en CDI d’une même entreprise, n’en parlons pas pour ceux qui changent d’entreprise, intérimaire, CDD et autres.

Pour une formation professionnelle : Chaque point donne droit à 25 heures de formation professionnelle permettant d’accéder à un poste moins exposé ou non exposé au(x) facteur(s) de risques. Les 20 premiers points du Compte prévention pénibilité sont réservés à la formation professionnelle. (Mais quel patron tendra une oreille attentive à ça ?)

Pour un passage à temps partiel sans diminution de salaire : chaque groupe de 10 points permet de financer l’équivalent d’un mi-temps sans réduction de salaire pendant un trimestre. Il est donc possible d’aménager un temps partiel (correspondant à une quotité de travail comprise entre 20% et 80% de la durée du travail applicable dans l’établissement) en fonction du nombre de points, de la durée sur laquelle le salarié souhaite l’appliquer et de sa quotité de temps de travail au moment de la demande. (En concret comment faire ?)

Pour une anticipation du départ à la retraite : chaque groupe de 10 points permet de financer un trimestre de majoration de durée d’assurance. Ainsi, le salarié peut obtenir jusqu’à 8 trimestres de majoration. Cette utilisation de points peut être demandée à partir de 55 ans et peut permettre d’anticiper jusqu’à 2 ans le départ à la retraite. Les trimestres acquis à ce titre sont pris en compte pour le bénéfice de la retraite anticipée pour carrières longues. (mais qui est capable de faire ce parcours et d’en bénéficier ?)

Le système est si compliqué qu’après 6 ans, seuls 10 000 salariés sur 30 millions ont bénéficié de ces « points » et seulement 4000 ont pu « partir plus tôt » (0,03 % des salariés exposés bénéficient du C2P)

Ce sujet qu’aucun média ne trouve assez passionnant pour l’expliquer sérieusement au grand public, explique en grande partie le rejet par la CFDT de projet de loi Macron-Borne.

Tout au long des négociations de cet automne 2022 la CFDT, a milité pour que la réforme des retraites reprenne les quatre anciens critères de pénibilité supprimés en 2018.  Sous l’insistance du patronat, qui avait obtenu leur suppression, Elisabeth Borne n’a pas étendu les critères existants du C2P, se contentant d’assouplir les seuils de prise en compte du travail de nuit et des équipes alternantes.

 

On se demande en vérité comment ça ne saute pas aux yeux de toutes et tous : l’idée de remplacer les critères collectifs de pénibilité par des critères individuels est irréaliste.

Le Medef n’en veut pas et il n’y a pas assez de médecins du travail, d’agents de la Caisse régionale d’assurance maladie, d’inspecteurs du travail et de juges pour l’y contraindre.

Pourquoi font-ils semblant depuis douze ans de parler de cela ?

Parce qu’il faut « amuser la galerie » ! C’est un trompe l’oeil mais c’est un point sensible dans l’opinion.  `

Les « régimes spéciaux » ça n’existe pas, ils les ont baptisé ainsi pour mieux  les supprimer mais en fait c’étaient des conventions collectives négociées et signées par branches et par métiers précisément pour compenser les nuisances, et souffrances « pénibles » au travail. Le Medef se réjouit de leur suppression mais il y a un grand vide. Les grandes branches auront du mal à recruter si elles ne redonnent pas des avantages aux salariés. Il faudra bien que les médias se réveillent et traitent de cette question à fond, en fait ça concerne 100% des salariés

 

2 Commentaires

  1. Merlin
    Posted 10 avril 2023 at 21:44 | Permalien

    Les premiers de corvée toujours ignoré.
    Horaire décaler, 2*8,3*8,nuit,produit chimique dangereux, manutention, poussière dangereuse, et j’en passe.
    Alors 64 ans, on sera mort avant.

  2. Posted 16 mai 2023 at 11:46 | Permalien

    COUPURE DE COURANTS • LFI est aussi démocratique qu’une Ve République. C’est ce que pensent 300 militants Insoumis qui réclament «une VIe République à LFI». Mais leurs espoirs risquent d’être douchés par une averse printanière. Car certains ont essayé de s’organiser en courant, La gauche écosocialiste. Et ils ont eu des problèmes et viennent d’être vertement recadrés par Manuel Bompard, le gardien du temple mélenchoniste. «Il n’y a pas et il n’y aura pas de courant à LFI», a insisté le député marseillais dans une lettre à ce microparti proche de Clémentine Autain, relayée par le Parisien. Et Bompard d’insister, menaçant les rebelles d’exclusion : «Notre mouvement n’est pas organisé selon cette logique. Il n’est par ailleurs pas acceptable que vous décidiez de passer outre par voie de presse, et ce sans aucun échange avec nous.» Un avertissement entendu par l’un des députés à l’origine de l’initiative, Hendrik Davi, qui assure au boss que «c’est une incompréhension» : «Notre feuille de route explique pourquoi on est dans la LFI et pourquoi on y croit. [...] Donc on n’est pas un courant interne. [...] On est un groupe de militants au sein de LFI. Le terme était mal à propos de ma part.» Un magnifique exercice d’autocritique.

    RECONSTITUTION DE LIGUE DISSOUTE • Le 9 mars, Bernard Cazeneuve lançait à Lyon son mouvement voulant ressusciter la social-démocratie, La Convention, qui revendique 4000 adhérents. Preuve que ce fut un immense succès populaire et médiatique, l’ancien Premier ministre lance à nouveau en grandes pompes ce même mouvement le 10 juin à Créteil. Avec un invité de poids : son ancien n+1 François Hollande, comme l’a révélé le Figaro. «Je trouve que Bernard Cazeneuve a du mérite et du courage», a salué l’ancien Président, membre de l’officieuse amicale des socialistes anti-Nupes. «Il soutient toutes les initiatives qui peuvent contribuer à recréer une force social-démocrate en capacité de gouverner le pays», a complété son entourage auprès de l’AFP. Un courant de la gauche qui tente de s’organiser en ordre dispersé. Le week-end dernier, c’est Jean-Christophe Cambadélis qui organisait une petite bamboche avec d’autres opposants à l’actuelle union de la gauche quand la présidente PS d’Occitanie, Carole Delga, faisait un curieux non-meeting électoral à Montpellier avec des maires de sa région.

    ET SINON ••• Après la polémique autour de la proposition de résolution condamnant «l’institutionnalisation par l’État d’Israël d’un régime d’apartheid» défendue par les communistes, dont les députés socialistes s’étaient désolidarisés, le groupe rose relance néanmoins le sujet de fond. Boris Vallaud et sa troupe ont ainsi déposé une proposition de résolution «portant sur l’engagement de la France dans une relance du processus de paix visant à mettre fin au conflit israélo-palestinien».

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