« On ne demande pas au dealer d’organiser la prévention contre la drogue »

Jeudi 10 février, Bourse du travail, république, Paris

Un premier meeting de bonne tenue en défense de la médecine du travail.

Le collectif unitaire, initié par la Fondation Copernic notamment, a rassemblé large, le jeudi 10 février à la Bourse du travail de Paris. Une salle pleine pour les 17 oratrices et orateurs qui se sont succédé. Il y avait quatre associations de médecins du travail, (SMT, SNPTS, Sauvons la MT, appel des 22 000)   quatre organisations syndicales (Solidaires, IEG-CGT, SNU IT, CGC-CFE), six partis de gauche, (PS, avec Delphine Meyrargue, secrétaire nationale, PCF, avec Pierre Laurent secrétaire national, PG, Fase, NPA, LO)   et deux associations (Copernic, UFAL) ce qui représentait un arc de force rare et non négligeable. Chacun s’est exprimé environ 6 à 7 minutes.

Ces prises de parole furent particulièrement intéressantes, y compris dans leurs nuances et différences.  Au fond, chacune défendait le même objectif : une médecine du travail effective, revalorisée, et indépendante. Mais chacun insistait sur des aspects particuliers, et, au vu des rapports de force recherchait ou acceptait des compromis plus ou moins grands face à la proposition de loi déposée au Parlement.

Il faut souligner que ce projet de loi est particulièrement orienté pour étouffer tout débat et pour faire passer en force les exigences du Medef. À l’origine, ils ont organisé le dépérissement, la mise à mal de la médecine du travail : dévalorisation, blocage des vocations et recrutement, baisse dramatique des effectifs, usure des moyens mis à disposition, espacement des visites de un à deux ans, (le Medef a même proposé une visite tous les quatre ans). Ainsi la belle médecine du travail de prévention issue de l’après-guerre était mise à mal, restait à l’achever !  Sur plus de 6000 médecins du travail, il en manque 600 et 1700 s’en vont à la retraite dans les deux années qui viennent… Alors, ils ont proposé de les remplacer en urgence par des « intervenants en santé » infirmiers, non qualifiés, non protégés… et de faire prendre en charge la santé au travail par des généralistes, …non spécialistes… Restait à renforcer la main mise patronale, et l’affaire était pliée, la médecine du travail était morte…

C’est exactement que veut le projet de loi, qui passe au forcing, sans débat, sans concertation sociale, et sans même l’avis du Conseil d’état ! D’ici à mi-mars, le tour est joué… si on laisse faire.

En novembre 2007, France inter, Rues 89, et le Canard Enchaîne avaient révélé les scandales du pillage des ressources de la médecine du travail par le patronat : celui-ci se servait indûment des locaux, des biens, et même de l’argent des centres de santé au travail.  Medef voleur ! les preuves énormes existaient, mais il n’y eut aucune suite, aucune procédure n’a abouti.

En 2009, il y a eu 8 réunions de « négociation » du Medef avec les 6 syndicats représentatifs de l’époque, mais cela échoua, et les 6 syndicats refusèrent tout ce qu’exigeaient les patrons.

En début 2010, nous lançâmes un « appel » (http://www.non-mort-medecine-travail.net) qui rassembla 22 000 signatures dont 550 médecins et 550 inspecteurs contrôleurs du travail.

Le 15 septembre 2010, il y eut un coup de force, un amendement (n°730) de l’UMP, surgit en plein débat sur les retraites, et ils tentèrent de l’introduire comme « cavalier parlementaire » pour le faire voter subrepticement en même temps que la loi scélérate antiretraites.

Le 24 septembre 2010, nous avons exigé un entretien avec le ministre et fûmes reçus par le DGT Combrexelle, pour exiger le retrait de ce « cavalier parlementaire ». Nous eûmes un refus du DGT et de son ministre, mais ce fut le Conseil constitutionnel en novembre 2010 qui censura l’amendement 730.

Après Woerth, Bertrand a repris le texte, et tente de le faire passer, depuis le 27 janvier 2011,   à toute vitesse, par le biais d’une niche parlementaire de l’Union centriste au Sénat.

Un silence médiatique assourdissant est organisé autour du sujet, comme si les salariés n’avaient pas le droit de débattre publiquement sur le fond de la façon dont est gérée et organisée leur santé au travail.

Au Sénat, la gauche (PS, PCF, PG, Verts) a tenté de s’opposer au projet, mais un compromis a freiné ses ardeurs : au lieu de donner carrément tout le contrôle des SST (services de santé au travail) au patronat, la majorité de droite a accepté une gestion « paritaire » en alternance. Un an, ce seront les représentants du Medef qui gèrent, un an, ce seront les organisations syndicales de salariés… Évidemment c’est mieux que la prise en main à 100 % par une « voix prépondérante » des patrons, mais est-ce ainsi qu’on doit concevoir des « centres de santé au travail ? » Et cela n’enlève pas les autres propositions de remplacer les médecins par des « intervenants en santé non protégés » : au mieux, les syndicats auront la tâche, un an sur deux de gérer la pénurie, avec extinction progressive des médecins, et des praticiens non seulement moins qualifiés mais surtout non protégés, donc encore plus soumis aux patrons dans la pratique. Toujours est-il que la gauche sénatoriale, au lieu de voter « contre », s’est abstenue à cause de ce compromis…

Les orateurs à la tribune du réunion de jeudi 10 février ont exprimé, dans leur majorité, une hostilité à ce compromis, accepté au Sénat, et qui peut être remis en cause par la majorité UMP de l’Assemblée nationale.

Comme l’exprima Bernard Salengro, l’orateur de la CFE-CGC, « on ne demande pas au dealer d’organiser la lutte contre la drogue ». Ce n’est pas aux employeurs qui créent les risques au travail, de diriger la prévention contre ceux-ci. Que les employeurs paient la médecine du travail, c’est normal, mais qu’ils la gèrent est anormal, cela doit revenir aux organisations des salariés qui subissent les risques.

Les différentes associations de médecins du travail mettent, elles, l’accent sur l’indépendance des médecins, et le respect strict de leur déontologie, sachant que des pressions multiples peuvent s’exercer contre leur action, même dans le cadre d’un « service public », et même dans le cadre d’une gestion par les syndicats de salariés. Sans aller toutes jusqu’à la gestion totale par les médecins eux-mêmes, elles exigent des garanties : il faut que les médecins aient la possibilité d’exercer pleinement leur « spécialité » (car c’est une « spécialité » comme celle des pneumologues ou des pédiatres, il faut que les médecins disposent du temps et des moyens de l’exercer, d’aller dans les entreprises, d’étudier les postes, les atmosphères, les conditions réelles de travail, les expositions aux risque cancérigènes, aux TMS, aux AVC, etc..).

Les syndicats sont partagés sur l’opportunité d’un compromis, vu les rapports de force au Parlement, la CFDT et la CGT ayant adopté une « déclaration commune » dont on peut souligner la modération. Est-ce que l’alternance de gestion paritaire est un bon compromis ?

Il faut en revenir à ce qu’est le « paritarisme » : car à 50 % des « sièges » pour le patronat, et à 50 % pour les syndicats, est-ce démocratique ?  La réponse est « non », et l’on doit rappeler qu’aux origines, après-guerre, le CNPF ne disposait que 25 % des sièges contre 75 % aux salariés : c’était infiniment plus représentatif de la réalité sociale et plus proche de « un humain, une voix ». (Il ne reste plus qu’au « Conseil économique et social » ou ces proportions sont encore en vigueur). Ce sont les ordonnances De Gaulle-Pompidou de 1965 qui ont cassé ce système de paritarisme démocratique et donné 50 % des voix aux patrons dans les Caisses de sécurité sociale notamment. À 50 %, 50 %, il devenait possible aux patrons de « choisir » un allié syndical, minoritaire et docile, pour obtenir une majorité permanente, un droit de veto de facto. Le « paritarisme » ainsi transformé devenait un instrument de blocage des organismes paritaires selon les humeurs patronales.

Sera-ce mieux avec une alternance à la direction des SST ? Outre le fait qu’elle est encore loin d’être acquise, on peut douter que cela suffise à empêcher les coups de force et les vols du Medef. Il faudrait plutôt que les employeurs aient une « présence » à titre de contrôle, puisqu’ils sont condamnés à payer, mais qu’ils ne puissent en aucun cas diriger : 25 %, 75 %.

Dans tous les centres de décision, y compris en cas de retour souhaitable à des élections aux caisses de sécurité sociale.

C’est pourquoi, à l’écoute des 17 interventions du meeting de jeudi 10 février, on entendait plutôt réclamer une totale indépendance de gestion des SST vis-à-vis des patrons, en même temps qu’une exigence de maintien d’une médecine de prévention de qualité, avec des médecins spécialisés, et indépendants dans leurs actes. Nathalie Artaud pour « Lutte ouvrière » ou Sandra Demarcq pour le NPA insistèrent sur cette question.

On peut dire que les échanges des 17 orateurs auront beaucoup appris à celles et ceux qui sous-estiment ou méconnaissent cette question vitale de santé au travail. Il faudrait que les 4 associations de médecins du travail se rencontrent et se rapprochent (c’est sans doute la première fois qu’elles étaient à une même tribune ce qui est déjà une réussite). Il faudrait que toute la gauche discute et se rapproche sur le fond, sur cette question (comme sur d’autres !).

Il faudrait que les confédérations et les syndicats informent et mobilisent d’ici au 15 mars, avant que le texte définitif soit imposé par l’UMP au Parlement proposa Willy Pelletier (Copernic)

La ligne commune qui se dégage ne peut pas être de s’abstenir mais de voter CONTRE ce projet de loi.

Nous avons recréé le 26 janvier lors de la conférence de presse à « La Clef » et jeudi 10 février lors de ce meeting, un « arc de force » unitaire assez large, voire exceptionnel, semblable à celui que nous avions construit en octobre et décembre 2009 pour tenter d’empêcher la suppression de la non-imposition des indemnités journalières des accidentés du travail, et aussi semblable à celui qui a été bâti autour de l’appel Attac-Copernic en défense de la retraite à 60 ans à taux plein.

Il est bon que les partis de gauche, les syndicats et les associations concernées, montrent chaque fois que possible, leur unité en défense des droits sociaux que Sarkozy attaque systématiquement.

À défaut de possibilité d’unité de toute la gauche sur un même programme, il est bon que chaque fois, au moins, sur des thèmes précis qui le permettent, il y ait action commune.

Il faut remercier tous ceux qui ont permis et réussi cette première mobilisation. Il faut remercier celles et ceux qui ont pris sur leur temps ce soir-là pour venir dans la salle ! Il y a du pain sur la planche pour informer et briser le silence des médias… Il faut renverser bien des idées reçues contre la médecine du travail du genre, « elle ne sert à rien », « les médecins sont des vendus aux patrons » : elle est indispensable, c’est votre peau au travail dont il est question, 24 millions de salariés sont concernés, il faudrait non pas les supprimer mais doubler le nombre de médecins du travail ! Et il faut recréer la confiance, que la médecine du travail échappe totalement aux patrons.

Alertez les salariés, informez, rassemblez, percez le mur du silence médiatique organisé contre notre médecine du travail..

Non à cette proposition de loi !

Gérard Filoche

One Commentaire

  1. Posted 12 février 2011 at 18:39 | Permalien

    « réclamer une totale indépendance de gestion des SST vis-à-vis des patrons »

    cela signifie donc pas de compromis avec la droite bon chic bon genre, de manière à ne pas bercer d’illusions les gens de droite qui sont honnêtes
    ( ceux qui, disons, ne savent pas vraiment c’est quoi la droite)

    merci à vous.

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