le 4 juin 1908 : il y a cent dix ans les cendres de Zola transférées au Panthéon : L’assassinat de Zola : « il est des morts qu’il faut qu’on tue »

C’est un roman de Roger Martin (aux Editions du Cherche midi). Il est paru en janvier 2016. Et il traite d’une quarantaine d’années d’antisémitisme en France entre la Commune de Paris et la guerre de 14-18. C’est à dire surtout de l’époque de « l’affaire » Dreyfus, de « j’accuse », de fort Chabrol et de l’assassinat de Zola.

Il renvoie a une dizaine d’ouvrages : dont le « Guide d’Emile Zola » chapitre IX « une énigme : la mort » d’Alain Pages et Owen Morgan,  a « Zola assassiné » Flammarion, 2002, « les trafiquants de l’antisémitisme »  de Jules Guérin, 1905, « Les coulisses du fort Chabrol » de Charles Spiard 1902, et les journaux d’époque 1890 -1934 : « la libre parole », « l’antijuif », « le petit parisien »,  « le petit journal », « la croix », « l’action française »…

C’est toute l’époque des nationalistes, revanchards anti allemands,  intégristes catholiques et royalistes, de l’extrême droite raciste, des camelots du roi et des « bouchers de la Villette », des Versaillais, anti communards et anti dreyfusards, celle des Edouard Drumont et des Paul Déroulède, des généraux Boulanger et Roger, des amis du Marquis de Morès, de Riberol, et de Jules Guérin, Léon Daudet ou Maurice Barrés, aux cris indigents de « Mort aux youpins » et aux « Frères trois points », « à bas la Gueuze » . Un monde marginal mais activiste et bruyant composé d’aventuriers et d’escrocs, d’hommes de main phraseurs et de pseudo journalistes stipendiés aux théories frustres.

Le livre décrit à travers le récit d’un policier infiltré pour le compte du Préfet louis Andrieux, racontant en détail à ses supérieurs, les frasques de ces voyous, manipulés et contrôlés par le ministère de l’intérieur, les manifestations de rue, les vrais et faux duels, les provocations,  les meetings publics et privés : « Rien n’échappe à la préfecture,  ragots domestiques, secrets, vices, liaisons, usage de produits opiacés,  compte en banque… ». Batailles rangées à coups de canne et de gourdins, à Longchamp ou sur les grands boulevards : d’un côté les hommes du Duc d’Orléans ou de la « Ligue antisémitique » criant « A bas Loubet » « Vive l’armée » « A bas Zola » « Mort à Dreyfus », de l’autre les socialistes et anarchistes, chantant la Marseillaise et parfois l’Internationale, aux cris de « vive le socialisme », « vive l’anarchie », acclamant Clémenceau, Dreyfus et Zola. C’est à ce moment, dans cette guerre autour de l’affaire Dreyfus que les clivages s’affirment et que la gauche se nettoie de l’antisémitisme.

 

Un long passage du roman fait vivre de l’intérieur, la parodie du « siège » du 51 de la rue Chabrol, acheté avec l’argent du Duc d’Orléans, ou s’imprime « l’antijuif », et ou se retranchèrent, les mois d’aout et septembre 1899, quelques dizaines de fanatiques du « Grand Occident de France-Rite antijuif » autour de Jules Guérin. « Quarante jours, c’est ce que dura cet épisode dans lequel d’aucuns continuent de voir une tentative pour renverser la République, certains une aventure héroï-comique où s’illustra un Don Quichotte antisémite d’autres enfin une machination du gouvernement de l’époque pour amuser la galerie et faire passer la pilule de la grâce présidentielle accordée à Dreyfus ».

Au cours de ce siège,  un certain Henri de Buronfosse, agent de la « Ligue de la Patrie française », un raciste à la phobie méridionale, (contre les Latins mâtinés d’Arabes ».) expliquait au policier infiltré qu’il rêvait d’enfumer ce « bâtard de vénitien » nommé Zola… Et comme il était patron d’une entreprise de fumistes installée au 3 rue de Mornay dans le 4° arrondissement, il expliquait volontiers le fonctionnement d’une cheminée d’immeubles qui le permettrait : « boucher une cheminée c’est un métier ».

Le croquignolesque Guérin s’écrie depuis « Fort Chabrol : « Allez dire à vos maitres juifs et francs-maçons et protestants que ceux qui sont prêts a mourir pour la cause de la liberté les saluent » avant que tout cela ne termine en eau de boudin sous les lazzis et les quolibets : « pour montrer à ceux qui n’ont pas hésité à forcer des soldats et des pompiers français à servir de laquais aux agents de l’étranger, que près de quarante jours de privations et de souffrances n’ont pas altéré l’honneur, la force morale et l’hygiène de ceux qu’on n’appelle plus que les défenseurs de fort Chabrol ».

Guérin emprisonné confortablement, puis gracié, exilé en Belgique, le policier suit alors Henri de Buronfosse lequel poursuit Zola de ses maudits projets.

« Depuis « j’accuse », l’homme qui a suscité le plus de haine en France, ce n’est ni Dreyfus, ni Waldeck-Rousseau, ni Loubet qui gracia le « traitre » Dreyfus, ni le petit père Combes artisan de la loi de séparation de l’Eglise et de l’état… l’homme sur lequel convergent les haines les plus tenaces, les plus durables, les plus meurtrières, s’appelle Emie Zola. Dreyfus ne passe qu’en second. Apres tout, c’est un juif, donc un lâche, un traitre, un agent de l’Etranger, et ses tares étant inscrites dans ses origines, on lui en veut moins qu’à Zola, dont le cas est beaucoup plus grave. Il n’est pas juif. D’origine italienne, certes mais français. A ce titrer doublement coupable… » Menacé de mort, insulté, son domicile étant fréquemment la cible de jets de cailloux, « ce qui est surprenant c’est que l’écrivain fut encore en vie ». Le 10 avril 1898, la face de la maison de Zola est criblée de cailloux et de boulons, une bombe est déposée devant son porche, le 23 mai suivant il est poursuivi par des forcenés, au sortir du palais de justice de Versailles. La presse antidreyfusarde se déchaine contre le métèque apatride », le « pornographe », le « vidangeur » « étripez le ! ». La complainte du vénitien Zola, paraît, sur l’air du « juif errant » diffusée à cent mille exemplaires, sur la « gueule de Zola, grand duo chanté par Dreyfus et Zola à l’Ile du diable ». Les adaptations théâtrales de Zola son déprogrammées. En octobre 1899, une lettre de Zola à sa femme l’informe que leur  ami, le graveur Fernand Desmoulins, à la preuve que des antidreyfusards sont montés sur le toit pour boucher la cheminée.

Zola fait front et réclame inlassablement la révision du procès Dreyfus, pas seulement sa « grâce ». Vingt-cinq mille souscripteurs viennent au secours de la veuve du Colonel Henry, suicidé. « Militaires, prêtres, portables, aristocrates parisien et petits bourgeois de province, rivalisent dans l’abjection contre les juifs en général et Zola en particulier : l’un deux propose d’en finir une fois pour toutes avec la juiverie en jetant tous les youpins, youpines, et youpinots de Baccarat dans les immenses fours de la cristallerie… »

Henri de Buronfosse confesse «  Nous allons semer le doute ! Au petit matin le cochon enfumé, nous remonterons sur son toit et nous déboucherons le conduit la main de dieu aura frappé cet animal impur ».

Bien qu’il fasse remonter à temps ses informations à ses chefs, le policier infiltré n’est pas entendu, pas suivi, le projet de l’assassin n’est pas contrarié.  Les Zola réintègrent leur domicile, le maître d’hôtel fait un feu de cheminée, papier petit bois, quelques pelles de boulets, le feu prend mal, Zola s’éveillera, asphyxié à l’oxyde de carbone,  pour tenter d’ouvrir la fenêtre, il tombera, plus exposé aux gaz délétères que sa femme restée couchée dans le lit surélevé… et qui fut réanimée.

Le préfet Louis Andrieux demande à sa « mouche » policière infiltrée de ne rien dire des preuves recueillies de cet assassinat de Zola.

Il est des morts qu’il faut qu’on tue !  Les cendres d’Emile Zola déposées au cimetière Montparnasse furent transférées au Panthéon le 4 juin 1908 après un vote, houleux mais favorable, en 1906, à la Chambre (316 voix contre 165). Ce transfert fut encore l’occasion de violentes manifestations hostiles nationalistes, royalistes, « larbin de la juiverie », « traitre », « bâtard vénitien » « à la Seine l’Italien ».  A l’intérieur du Panthéon ou ils sont difficilement parvenus, le président Fallières,  Clémenceau, Gaston Doumergue ministre de l’Instruction publique et des Beaux arts, Louis Barthou, ministre de l’intérieur,  Alexandrine Zola et Jeanne Rozerot, sa femme et sa compagne, sont autour du catafalque. A cette occasion, il sera tiré sur Dreyfus qui n’est que superficiellement blessé, son frère ayant saisi la main de l’agresseur au moment où il braquait son arme.

 

 

 

 

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