Récit. Souvenirs de trente ans. Chute du Mur de Berlin. Champagne !

Récit. Souvenirs. Chute du Mur de Berlin

 

Champagne !

Quand le mur est tombé, au petit matin du 9 novembre, en réunion du BN de la LCR et en présence de membres du SU, c’est à dire devant une trentaine de personnes, dans le bureau archi bondé du local de Montreuil, rue Richard Lenoir, au fond à l’étage, j’ai crié « Champagne »…  et je me suis fait agonir.

Nous haïssions ce Mur et le stalinisme :

Nous étions trotskistes, en référence au grand révolutionnaire, intellectuel et militant qui avait dénoncé, en temps réel, et combattu, au prix de sa vie,  « la révolution trahie » et « les crimes de Staline », analysant les lourdes et tragiques conséquences, par le biais du Komintern stalinisé, dans le monde entier, de la contre-révolution en URSS. Nous avions tout lu, « Il était minuit dans le siècle » de Victor Serge, « Sans patrie ni frontière » de Ian Valtin, « L’internationale communiste après Lénine », « Le Parti bolchevik » de « révolution en Allemagne » « Révolution en Espagne »  de Pierre Broué.  Et nous avions compris que la révolution socialiste avait été vaincue entre les années 1927 et 1937 en Russie. Il n’y a jamais eu de communisme en Russie. Et par voie de suite les révolutions staliniennes, ont été déformées, ou dégénérée dans le monde entier.

Nous savions, nous autres que, trotskistes nous aurions été éliminés, salis, exécutés sous Staline (regardez  « L’ombre rouge » » de JL Comolli, « Land and freedom » de Ken Loach, « L’assassinat de Trotski » par Joseph Losey, « L’aveu » de Costas-Gavras et tellement d’autres). La fausse image du socialisme, trahi, dénaturé, dictatorial  utilise comme repoussoir par l’impérialisme US et ses épigones, nuisait à tous nos efforts révolutionnaires.  Et les quelques camarades trotskistes membres de la Quatrième internationale, que je connaissais  en Pologne, en Russie, en RDA, en Chine, au Vietnam, en Tchécoslovaquie survivaient sous la terreur d’un système bureaucratique impitoyable à notre égard. Comme disait avec un humour désespéré, Hubert Krivine, « Dans la seule Tchécoslovaquie soviétisée d’après guerre, 3000 personnes ont été pendues pour « trotskisme », alors qu’elles ne l’étaient pas toutes et heureusement tous les trotskistes tchèques n’ont pas été pendus ».

Jeunes, même à Rouen, nous nous faisions exclure puis casser la figure devant les entreprises,  et même une fois, en octobre 1967, parce que nous avions voulu tenir un meeting d’hommage à Che Guevara qui venait d’être assassiné en Bolivie,  le PCF de Rouen avait mobilisé 100 gros bras pour attaquer le meeting aux cris de « le fascisme ne passera pas » car c’était l’époque où L’Humanité dénonçait « les groupuscules qui s’agitaient à La Havane »(OLAS, OSPAAAL).

Parce que j’étais devenu membre de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), le supplément Seine-Maritime de l’Humanité-dimanche me dénonçait comme un « homme de main de la famille Canu » (grand bourgeois rouennais) ou prétendait à Cléon que mon père (ouvrier SNCF) était « avocat » où à la SNCF qu’il m’avait « désavoué ». Cela nous faisait comprendre le stalinisme et nous sommes devenus, grâce à cela, des enragés de la démocratie.

« Pas de socialisme sans démocratie, pas de démocratie sans socialisme. » Telle était notre pensée la plus profonde, la plus déterminante, la plus révolutionnaire : tout parti révolutionnaire devait être méticuleusement scrupuleusement, systématiquement,  démocratique parce qu’il préfaçait ainsi la révolution,  et la société nouvelle pour laquelle nous combattions.

Je résume ainsi notre vision, c’était celle de la minorité de la LCR à laquelle j’appartenais et évidemment « Le mur de Berlin » était pour nous le repoussoir, la pointe avancée honteuse du stalinisme. Le voir s’effondrer, sous les coups du mouvement de masse, c’était d’abord pour nous l’effondrement du symbole du stalinisme en Europe.

D’ou le fait que je criais « champagne »  c’était la fête !

Victoire, ça ouvrait une ère nouvelle pour le socialisme démocratique.

Il fallait crier très fort, le plus fort possible, au monde que ce qui tombait là ce n’était pas le socialisme mais un anti socialisme, une horreur stalinienne, un repoussoir, une honte !

Alkaseltzer !

Ce fut la réponse de Daniel Bensaïd. Non seulement il ne se réjouissait pas de la chute du mur, mais il l’appréciait comme une défaite et cria même « - Nous construirons d’autres murs ». Je  connaissais l’ampleur de nos divergences mais là elles dépassaient tout.  J’avais débattu avec lui au cours de la révolution portugaise en 1975, sur « l’affaire Républica » et encore sur la lutte armée en Amérique latine, ou sur une constituante au Nicaragua, mais là, c’était pour moi un choc

 

Dans la réunion du matin du 9 novembre, une camarade allemande,  Rosa revenait de RDA, elle était assise en face de moi, à l’entrée, elle est intervenue contre moi « - Mais je vous le garantis, la réunification n’est pas à l’ordre du jour, personne ne parle de réunification là-bas, c’est un fantasme de Matti (c’était mon pseudonyme) que de le prétendre ». Un autre camarade assis à ma droite, intervint en expliquant que, comme François Mauriac il « préférait l’Allemagne quand il y en deux que quand il n’y en a qu’une seule ». D’autres comme Livio Maïtan,  ou Lahire reprirent les mêmes mots.

Il faut dire qu’un vieux désaccord régnait : les lambertistes prônait la « réunification de l’Allemagne » et Ernest Mandel et la Quatrième internationale prônaient « la réunification socialiste de l’Allemagne ». Cela parait sans conséquence tant que c’est dans un bulletin intérieur  et cela le fut pendant trente ans de 1954 à 1989. Mais en octobre 1989,  Ernest Mandel et ses amis en RDA défendirent le développement du mouvement de masse et de la révolution… socialiste : au début ça n’avait rien de contradictoire, mais ca le devint quand ils s’opposèrent à la réunification allemande au nom… du socialisme !! Les dirigeants de gauche qui tenaient les micros les premiers jours dans les meetings et défilés, étaient très populaires car ils s’opposaient au régime stalinien de RDA. Mais quand ils s’opposèrent à l’unification allemande, ils furent évidemment sifflés, hués, balayés des micros. Des millions d’allemands de RDA vivaient « le Mur » comme une prison, et le régime aussi ! Ils voulaient sortir de ces deux prisons ! Il n’y avait aucune chance de défendre le socialisme en RDA avant de fusionner avec le capitalisme de RFA, aucune ! Puisqu’il n’y avait pas de socialisme ! Puisque en plus il y avait un régime policier dictatorial un parti unique ! C’est la qu’on vit que mettre comme condition à la réunification allemande une Allemagne socialiste » c’était aberrant. Et ce fut balayé. Ernest Mandel avait beau envoyer des fax au BN de la LCR pour lui déconseiller d’entendre les arguments de Matti sur la réunification, la réalité sur le terrain où pourtant il était, lui donna totalement tort.

C’est ce qui a permis aux dirigeants ouest-allemands d’attirer les populations vers eux, en promettant monts et merveilles qu’a leur tour, ils avaient bel et bien l’intention de trahir. A cause de l’absence de démocratie socialiste à l’est, le capitalisme de l’ouest l’emporta et d’ailleurs fit payer cher ensuite aux états de l’Est, le prix de la réunification. Pas de surprise là non plus,  les chefs de la RFA étaient une autre variante aussi réactionnaire, violente, sans scrupule, de pillards et d’exploiteurs, que la couche bureaucratique dirigeante de l’Est. La libre circulation était gagnée,  la question nationale était réglée, mais la dictature de l’argent remplaçait celle de la Stasi. Ils n’avaient pas l’intention de fusionner mais d’absorber, au moindre coût, a leur plus grand profit.

On en débattit dans les mêmes termes au congrès mondial de la Quatrième internationale qui suivit à Rimini. Bensaïd m’accusa depuis la tribune d’avoir crié « Champagne Tequila, Whisky, Vodka… et je lui reprochais d’avoir crié « Alkaseltzer, Optalidon, Aspirine, Doliprane ! Derrière, deux visions de l’approche du socialisme avec ou sans murs, démocratique ou non.

Sans aucun doute la divergence entre « Champagne » et « Alkaseltzer »  fut celle qui contribua le plus à faire baisser dans mon estime, la direction Bensaïd de la LCR et à rendre encore plus exigeante la démocratie comme la sève de tout mouvement social et de toute révolution.

La présente revue D&S a eu d‘abord comme nom provisoire « Vent d’est » puis « Démocratie & révolution » avant de prendre nom définitif il y a 27 ans, « Démocratie et socialisme »

« Démocratie et socialisme » sont inséparables pour combattre tous les « Murs » qui séparent les humains.

Gérard Filoche

 

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