Les rédactions poussent leurs journalistes à enquêter sur ces fameux « ponts » du mois de mai, qui « paralyseraient » l’économie française. C’est un sujet récurent, ce qu’on appelle familièrement un « marronnier » en langage journalistique. Tous les ans ça revient, et les journaux économiques, surtout, s’en emparent, le Medef gémit. Une journaliste d’une grande radio, ne faisant que son devoir de salariée, interroge donc, sur demande de sa rédaction, entre autres, un inspecteur du travail.
Question : - Vous ne croyez pas que cette abondance de « ponts », ce ne sont plus des « ponts » mais des « viaducs », c’est exagéré ?
Réponse : – Ah, non, quand on voit le nombre écrasant d’heures supplémentaires faites par les salariés, ce n’est pas de trop qu’ils puissent profiter un peu du printemps et des beaux jours.
- Mais n’y a t il pas d’abus ?
- Oh, non s’il y a des abus c’est que trop peu de salariés ont réellement ces ponts, surtout dans les petites entreprises, dans les bas salaires et les métiers pénibles : dans la majorité des cas, dans le privé, les salariés ont perdu depuis plus de quinze ans leurs « deux jours de repos consécutifs », notamment dans le commerce, mais dans beaucoup de professions de services, et parfois d’industrie.
- Oui, mais, ce mois de mai, cette année, il a trois ponts, parfois de trois ou quatre jours ?
- Il y a des années comme cela ! Et des années ou les jours fériés tombent un samedi. Mais vous savez, seul le 1e 1er mai est un jour férié et chômé (et ce jour-là, il y a des infractions quand même ! Comme si des employeurs méprisaient à ce point le droit du travail qu’ils imposent à des salariés de travailler aussi ce jour-là. Combien payent réellement les majorations prévues ? Ils profitent de leur position dominante et du chantage à l’emploi pour imposer des violations de droit). Les autres jours sont hélas, de moins en moins respectés. C’est quand il y a de bons accords « RTT » grâce à des 35 h bien appliquées, que certaines catégories de salariés profitent de quelques jours de repos groupés. Dans le privé, c’est loin d’être la majorité des cas. Et dans le public, c’est souvent parce que les salariés n’ont pas pu prendre leur congé quand ils le souhaitaient, et les voilà obligés de les prendre avant la fin du mois de mai sous menace de les perdre…
- Mais ça désorganise les activités économiques, même le service public ?
- Ça désorganise… quand ce n’est pas organisé et quand les directions, faute d’effectifs suffisants, sont incapables à la fois de respecter les droits à congé et la continuité du service public. De façon générale, les gains de productivité en France sont parmi les plus élevés au monde, même avec ces fameux « ponts » de mai. Des salariés qui se sentent bien et qui ont des bons congés, c’est bon pour l’économie, pas l’inverse.
- Vous ne croyez vraiment pas que le nombre de jours fériés concentrés en mai est abusif ?
- Écoutez, le 1er mai a été déclaré férié par… Pétain, qui redoutait le sens historique de cette journée de manifestations sociales, mondialisées depuis 1886. L’Ascension et le lundi de Pentecôte sont des fêtes religieuses. Le 8 mai, ce n’est pas le jour « revanchard » de la « victoire contre l’Allemagne » mais celui de la victoire contre le nazisme… Est-ce ce genre de manifestation et de tradition que l’on veut supprimer ?
- Mais n’y a t il pas trop de jours fériés en France par rapport à l’Europe ?
- Non, pas du tout, nous sommes dans une honnête moyenne par rapport aux grands pays qui ont entre 7 et 13 jours fériés. Nous avons onze jours fériés dans l’année, mais cela varie selon qu’ils tombent en semaine ou un week-end. Cela fait des décennies qu’il en est ainsi, et cela n’a pas empêché, au contraire, la France d’être quatre fois plus riche qu’en 1945 et d’être la quatrième puissance industrielle du monde.
Ils n’ont donc pas assez de profits, les actionnaires, qu’ils veuillent aussi rogner les jours fériés du printemps ?
- Mais en Italie, ils sont revenus sur leur nombre de jours de congés…
- C’est bien ce que je disais, Berlusconi, comme Raffarin, Fillon, le Medef n’en ont jamais assez, ils veulent revenir sur tout, allonger la durée du travail sur la semaine, casser les 35 h, allonger la durée du travail sur la vie, casser les retraites à 60 ans, nous refaire travailler tous 45 h sans gain de salaire jusqu’à 65 ans…
- Je n’arriverais pas à vous faire dire qu’il y a un problème avec ces « ponts » ?
- Non, le vrai problème, c’est qu’il y ait une délinquance patronale et que dans trop de secteurs, les horaires légaux et conventionnels, les durées maxima « d’ordre public social » ne soient pas respectées. Le vrai problème c’est que les effectifs des services publics et hospitaliers, transports, équipements, par exemple, ne soient pas suffisants. Et puis, je vais vous dire, quelques jours de gagnés sur l’exploitation quotidienne, comme disait Prévert, c’est toujours une belle journée ensoleillée qu’on ne perdra pas à cause du stress et des « flux tendus ».
- C’est votre dernier mot ?
- En mai, ce qui va « désorganiser » l’économie, ce ne sera pas les ponts, mais la politique de Raffarin qui va faire qu’il y aura une grève générale prolongée dans l’éducation nationale et dans de nombreux secteurs, une grève interprofessionnelle de masse le 13 mai, une montée nationale sur Paris le 25 mai. 21 millions de salariés, 3 millions de chômeurs et de précaires vont dire au gouvernement et au Medef qu’ils veulent travailler, mais pas n’importe comment, pas 45 h jusqu’à 65 ans, pas avec des bas salaires ni des basses retraites tandis que les profits augmentent en flèche.
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