La sublime porte

Sur les pas de Nerval

Une bonne lecture nous accompagne, dans nos traversées du Bosphore, la visite de Sainte Sophie, de la Mosquée bleue, de l’ancien hippodrome, de  la citerne de la Basilique, des quatre cours de Topkapi, de la tour de Galata, c’est celle d’extraits de « Voyage en Orient » de Gérard de Nerval.

On sait qu’il connut de grands troubles, sa psychose, avant de le pousser au suicide, l’a conduit à des excentricités comme se promener nu dans les rues de Paris, ou en tenant un homard en laisse avec un ruban bleu, dit-on. Mais l’équilibre est de mise dans ses récits d’Orient à propos de son séjour à Stamboul.

En 1839, 40 ans avant Pierre Loti, il s’y baigne en voyageur attentif et admiratif, il hume, il vit, il goûte à tout, humblement, profondément et fait ressentir à qui le lit, tous les charmes rudes et enchanteurs de la Corne d’or et de l’Asie. « Homme des foules, noctambule, argotier, rêveur impénitent, amant neurasthénique des petits théâtres de la capitale et des grandes nécropoles d’Orient, architecte du temple de Salomon, traducteur de Faust, secrétaire intime de la reine de Saba… » disait de lui Blaise Cendrars dans « Bourlinguer ».

Nerval bourlingue en effet, observe, côtoie, dans la « ville étrange de Constantinople »  « quatre peuples différents qui vivent ensemble Turcs, Arméniens, Grecs et Juifs, enfants du même sol et se supportant beaucoup mieux les uns et les autres que ne le font, chez nous, les gens de diverses provinces ou de divers partis ».

Il s’adapte aux quartiers des deux rives, jusqu’aux « eaux douces d’Asie », passe par le pont de bateaux pour aller à Pera, se découvre devant le Sultan, monte « la longue rue tortueuse » bordée d’échoppes jusqu’à la tour de Galata, le Balik Bazar, le marché aux poissons, relate avec passion le tumulte de la grande rue la plus fréquentée au cœur de  Pera, s’attarde sur les libraires, les miniaturistes, les etoffes brodées et lamées, les tapis, l’orfévrerie, les plats d’argent et de nacre, les frituriers, marchands de fruits et de galettes.

Il y va voir le théâtre de marionnettes, Caragueuz, les cimetieres blancs, et multiplie les rencontres dans les cafés restaurants, autour des sérails, des palais, des minarets. Il prend des caïques pour aller aux fêtes nocturnes des trente nuits du Ramizan et croise des femmes lascives dont il décrit longuement les tenues… « Cette cité est comme autrefois le sceau mystérieux et sublime qui unit l’Europe à l’Asie ».

Oui, quand on prend un thé et un café turc sur le port à Karakoï, quand on traverse le Pont de Galata, sous les lignes des centaines de pêcheurs, quand on prend pied dans le Bazar égyptien et que viennent les odeurs de toutes les épices.

On avait encore de la chance puisque le soleil de novembre frappait fort sur les murs et le dôme de Sainte Sophie rouge, jaune et ocre et sa concurrente Sultan Hamet bâtie mille ans après, se découpait, avec ses coupoles et ses minarets irisés gris et bleus.

Après les avoir longuement visitées, on s’est assis à une terrasse du quatrième étage, d’un restaurant, au coin, le plus avancé entre les deux dômes et les dix minarets et tellement heureux qu’on a demandé du champagne pour fêter cela. Juste après on s’est enfoncé dans les sous-sols de la grande citerne de la Basilique, avec ses centaines de colonnades éclairées de rouge au niveau de l’eau, on en a fait le tour en musique, sur l’air du beau Danube bleu, avec les claquettes de danseuses mécaniques, d’allées en allées, jusqu’aux Méduses et aux larmes des esclaves moulées dans l’une des colonnes.

Nous avons mis le pouce dans le trou de la colonne et fait tourner notre main puisqu’il paraît qu’à coup sûr, ensuite, on reviendra à Stamboul.

On a marché, marché et visité le Palais de Topkapi, les quatre enceintes l’une après l’autre. Ce n’est pas tant le Harem où les bijoux fabuleux qui nous ont attiré, mais au fond, dans la quatrième et le plus petite des cours, après les salons de réception, la bibliothèque, et les appartements du sultan, les vues extraordinaires en plein soleil couchant et doré, sur le Bosphore et la Corne d’or du fond du sérail. On reviendra a la Mosquée de Suleyman le magnifique puis dans le Grand bazar, fermé le dimanche !

Il fallait aussi aller visiter les beaux marchés de la rive d’Asie, avec leurs étals de poissons, de fruits, de légumes, d’épices fantastiques, puis revenir par le palais de Dolmabahçé, cette copie interminable de Versailles, prétentieuse et arrogant, rococo et inconfortable, faite pour piller et éblouir le peuple et les invités étrangers.

Ce qui est le plus beau du palais, ce sont les Portes qui donnent directement sur le quai du Bosphore, malheureusement gardées par des militaires dramatiquement immobilisés comme des pantins figés. Mais c’est là que nous fûmes le mieux, longtemps, contemplatifs, au soleil de l’après-midi finissant, sur la terrasse à côté près de Tabakas, à une table d’un café turc, les pieds dans le Bosphore : carrément dans le Bosphore car les vagues suscitées par les dizaines de bateaux, de caboteurs, de tankers, de barques et de ferries, parvenaient à s’élever presque jusqu’à nos chaussures.

One Commentaire

  1. Posted 23 novembre 2009 at 8:54 | Permalien

    Très belle relation de votre périple en Turquie.

    J’ai pensé à vous car en ce moment la situation des « sans-papiers » en France fait parler d’elle, et par conséquent celle des inspecteurs du travail !

    Vous citez, dans votre blog, votre grand livre sur Mai 68 (à propos de l’anniversaire de la chute du mur de Berlin) : merci de continuer ainsi à lutter contre toutes les barrières qui se dressent contre la liberté.

    Bon séjour et revenez-vite, aussi !

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