Maurice Nadeau : retour sur la disparition d’un géant

reçu de la part de notre camarade Julien Guérin

C’est avec une relative discrétion que les médias ont fait part de la mort à 102 ans de Maurice Nadeau dimanche 16 juin. Né en 1911, il a traversé un siècle de guerres et de révolutions en acteur engagé. La majeure partie de cette magnifique et longue existence s’est confondue avec le combat séculaire des peuples pour leur émancipation. C’est donc en militant que nous voulons rendre hommage à ce trotskyste internationaliste, à cet écrivain et éditeur qui a su porter avec discrétion mais fermeté le drapeau de la lutte contre la domination capitaliste sous toutes ses formes.

Entre trotskysme et surréalisme

Né en banlieue parisienne, il découvre l’engagement communiste à l’école normale d’instituteurs de Saint-Cloud où il est admis en 1930. Esprit libre et indépendant, il se rapproche rapidement du premier groupe trotskiste français dirigé par Pierre Naville. Ce petit noyau militant dénonce déjà la glaciation stalinienne et l’alignement inconditionnel du PCF sur Moscou. Maurice Nadeau s’enthousiasme à la lecture des textes de Trotsky qui dénoncent le renoncement de Staline à l’internationalisme et qui percent avec difficulté le mur de l’indifférence et de la calomnie alors vigoureusement utilisées dans les rangs du PCF. Il fréquente également Jacques Prévert et le groupe Octobre qui font de la culture le vecteur d’une transformation révolutionnaire de la société. Le jeune Maurice Nadeau en sera durablement frappé et fera du combat culturel une priorité constante. Il fait aussi la connaissance, au cours de ces années-là, d’André Breton. Il partage avec le chef de file du surréalisme une condamnation sans équivoque du stalinisme. C’est l’une des raisons qui ont poussé Breton à rompre avec un Aragon de plus en plus attiré par les sirènes du petit père des peuples. La publication, en 1938, du manifeste pour un art révolutionnaire indépendant consacre une convergence de vue et un rapprochement entre Trotsky et Breton autour de la célèbre formule « toute licence en art ». Maurice Nadeau place lui aussi l’art au service d’une visée émancipatrice mais refuse tout alignement servile derrière une idéologie d’Etat, quand bien même celle-ci se proclamerait socialiste. Il faut saluer la lucidité et le courage de ces penseurs qui surent se tenir éloignés du stalinisme, qui fit des ravages dans l’intelligentsia française des années 30, sans toutefois renier leurs idéaux révolutionnaires. Maurice Nadeau compte parmi ceux-ci.

La guerre, l’édition et le découvreur de talents

D’abord professeur de Lettres, il devient ensuite instituteur à Thiais en banlieue parisienne. Il s’éloigne du militantisme politique actif mais demeure un infatigable défenseur des opprimés dans ses écrits. Mobilisé en 1939, il reprend son poste d’instituteur en 1940 avant de s’engager dans l’action résistante clandestine aux côtés d’un autre grand militant et intellectuel trotskiste : David Rousset. Ce dernier sera déporté et écrira à son retour le magnifique Les jours de notre mort qui demeure l’un des meilleurs livres sur l’enfer des camps. Nadeau, quant à lui, parvient à échapper aux arrestations. Après la guerre il collabore à Combat, le journal de Camus, et met en œuvre ses idées sur à la liberté absolue en matière artistique, en prenant la défense de Céline à qui tout l’oppose pourtant. Il travaille ensuite chez divers éditeurs tout en signant des critiques de livres dans la presse. Il se signale par une très grande ouverture d’esprit et une propension à faire découvrir des écrivains inconnus qui deviendront des classiques (Henry Miller, René Char…).

L’aventure de la Quinzaine

C’est en 1966 qu’il lance la Quinzaine littéraire avec l’aide d’universitaires, d’historiens et d’auteurs désireux de faire du neuf. Il s’agit d’exister face à la presse commerciale et à la puissante production éditoriale communiste qui est alors à son apogée. Nadeau et son équipe relèvent le défi, trouvent leur place et leur lectorat, même si le journal est menacé à plusieurs reprises. En 1977, il fonde sa propre maison d’édition qui se singularise en prenant le contre-pied des tendances commerciales de ses rivales. Ces deux entreprises audacieuses survivent à bien des difficultés et restent vivantes et actives à l’heure où leur fondateur vient de tirer sa révérence. Exigeantes et de qualité, indépendantes et refusant tout formatage, ces productions demeurent une référence dans le paysage médiatique et éditorial français.

Ces activités n’ont pas empêché pas Maurice Nadeau de participer aux grands combats de la seconde moitié du XXème siècle : signataire du Manifeste des 121 contre la torture en Algérie en 1960, pourfendeur de la guerre du Vietnam, il apporte un soutien indéfectible aux dissidents d’Europe de l’Est avant la chute du rideau de fer. Les années ne semblent pas avoir prise sur ce petit homme discret qui, jusqu’au bout, dirige sa revue, et pratique une intense activité intellectuelle. Devant cet itinéraire dominé par l’exigence de rigueur et de vérité, par la recherche de la justice et de l’émancipation de l’Homme par la culture, ce sont les mots de l’un des derniers écrits de Léon Trotsky qui viennent spontanément à l’esprit : « La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression et de toute violence, et en jouissent pleinement ».

Julien GUÉRIN (77)

 

One Commentaire

  1. valentini
    Posted 14 décembre 2014 at 17:08 | Permalien

    Un pas dans le cahier maure et neige

    Venise !… lent lever de rideaux successifs
    les lourds brouillards et voiles et voilettes
    aux parfums capiteux… je préfère Mestre
    que je consigne ici à l’encre sympathique
    pour quelque cœurs vivants demain !
    Les souvenirs masqués me rattrapent.
    Comme le pêcheur à qui le choeur dit :
    Parle ! Tu es d’ici ! C’était un mensonge.
    En moi présent et avenir coïncident.
    Je n’ai rien à perdre sauf à te préserver.
    Mais qui me lit en ce moment peut-être
    attend plus espère une pièce. La Fenice !…
    Troncs-fossiles engloutis qui culminent
    en dédale de fleurs pétrifiées. Le reste !
    L’ordinaire va-et-vient. Sur les eaux
    marcher. Que peut-il advenir ? Nous !
    Nous, passants, côté coulisses, revivant
    la beauté du phénix. Dont acte. Je préfère
    Mestre dépouillé. Une vie contre une vie.
    Je ne pouvais espérer plus.

Déposer un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera jamais transmise.

*