La Marseillaise / Samedi 16 avril 2016 Provence Gérard Filoche : « Contre la loi El Khomri et son monde »

 

Entretien  :   Mettre dans la même pièce deux responsables de l’Union départementale CGT 83, Sylvain Brossaud et Olivier Masini , en compagnie de Gérard Filoche, ne pouvait être qu’ intéressant…

De la loi Travail aux Panama papers en passant par l’irrésistible ascension de Bernie Sanders, la discussion qui s’est engagée à la suite de la conférence donnée par Gérard Filoche pour les syndiqués a été nourrie.

Le but de votre visite à la CGT varoise, c’était de parler de construction d’un mouvement social…

Gérard Filoche : Bien sûr. Il faut expliquer, expliquer, expliquer… Les gens ont instinctivement compris que c’était une grave me- nace mais ils ont besoin de l’argumentaire pour étendre la sympathie

(« Si on tend l’oreille on entend qu’il n’est plus possible aujourd’hui de couvrir ses besoins quotidiens… »Olivier Masini)

du mouvement. On est majoritaires dans la société. 71% des sondés sont contre, la pétition, le mouvement de la jeunesse… Ca traduit quand même le malaise dans la société. Il faut que les gens aient confiance en eux et soient assez forts pour aller jusqu’au retrait.

C’est le sentiment que vous avez dans les unions départementales ?

Sylvain Brossaud : Le projet de loi vient comme la goutte d’eau… Il y a un mécontentement grandissant parmi les salariés depuis longtemps. En même temps on avait beaucoup de mal à traduire ce mécontentement dans le cadre d’un mouvement social durable et qui s’ancre dans les entreprises. Et c’est vrai que pour nous, c’est un dé qui nous est lancé en tant que direction départementale. Après, 2010 est passé avec ce sentiment assez présent chez les militants : combien faut-il mettre de millions de gens dans la rue pour gagner ? Mais en même temps, on a mis en débat dans l’opinion publique la question de la justice sociale et le fait que l’argent existe. Il s’agit de savoir comment on le répartit pour répondre aux besoins des gens.

Ce défi , il peut être remporté ?

S.B. : On sort d’une très grosse mobilisation le 31 mars. Nos forces militantes ont encore de la marge en termes de mobilisation. Pour les premières manifestations, je n’ai ja- mais vu autant de salariés du privé ou nouvellement organisés. On voit bien que le potentiel existe.

On dit souvent que le faible taux de syndicalisation en France est un obstacle. Du coup, là finalement ce n’est pas forcément vrai…

G.F. : On dit toujours des choses bizarres sur le taux de syndiqués. Je discutais avec un syndicaliste sué-dois et ils sont 80 % de syndiqués sur le papier. Il me disait « Et comment vous faites vous en France avec 8% de syndiqués pour mettre tout ce monde- là dans la rue ? Parce que nous on n’y arrive pas. » En réalité le propre du syndicalisme français est de n’avoir été un syndicalisme d’adhésion que quand il a été uni. On peut prendre 1935, 45 et même la FEN… Quand se crée un front syndical, c’est là qu’on met le plus de gens dans la rue. Là on n’est pas loin du front uni parce que la CGC ne cautionne pas la loi El Khomri, l’Unsa est divisée, la CFDT a quand même un problème avec sa fédération métallurgie qui n’est pas une petite fédération et qui, elle, est absolument vent debout contre… Avec Solidaires, la FSU, FO et la CGT ça fait probablement 80 % des syndicats et syndiqués…

Avec ceux qui ne le sont pas comment s’organise-t-on ?

G.F. : A Nanterre mardi soir, le secrétaire départemental CFDT, à la fin d’un débat, il m’a dit : « Je n’arrête pas de m’interroger si la position de ma confédération et la mienne sont bonnes, je doute. » On n’a pas insisté mais quand même…

S.B. : Dans le département, on réutilise un peu les outils qui avaient été les nôtres en 2010, c’est-à-dire qu’on va multiplier les affichages sur les ponts d’autoroute, les initiatives sur les marchés, les distributions dans les gares, etc. Il y a l’idée de créer les conditions d’une dynamique. Par exemple, avec les salariés du commerce, qui n’ont pas forcément l’habitude de participer à ce type de manifestation, on leur a offert une banderole derrière laquelle ils se sont mis, et ça a pris. Je crois beaucoup en la capacité d’entraînement de grosses manifestations et d’initiatives d’information, de popularisation.

Gérard Filoche, vous êtes membre du bureau du PS, PS qui fait voter cette loi avec le gouvernement. Il y a une expression du maire de La Seyne, qui dit « J’ai bien relu Jaurès et ceux qui doivent ne pas se sentir socialistes, c’est eux. » Vous partagez ?

« Tous les ingrédients sont réunis pour  que quelque chose prenne… »

G.F. : Totalement. Je suis socialiste, je ne me sens absolument pas mal à l’aise avec cette opinion. Je me demande comment il arrive de là- haut un truc aussi contraire à l’histoire, au programme du parti, aux militants, aux électeurs. C’est incroyable, intolérable aussi. Parce que bon, j’ai côtoyé Hollande pendant un bon paquet d’années, je l’ai entendu défendre le Code du travail, je l’ai entendu défendre les 35 heures… Je ne comprends absolument pas ce qu’il dit aujourd’hui. C’est un reniement de ce pour quoi il a capté des voix. J’avais hésité jusqu’en décembre à utiliser le mot trahison, mais là…

S.B. : Le mouvement social qui est en train de se créer aura imman- quablement un impact sur la situa- tion politique du pays, sur son avenir.

Olivier Masini : Là, véritablement la majorité de la population est avec nous, parce que derrière ça n’a pas de sens. On ne peut pas dire qu’on peut mettre en place des journées de 12 heures, des semaines de 60 heures… Ce n’est pas acceptable et c’est tout à fait incompréhensible. Et il y a cette inquiétude qui est inter- générationnelle. Il faut le redire, en France pratiquement 25% des moins de 25 ans sont au chômage.

G.F. : L’année dernière la France est le pays qui a distribué le plus de di- videndes. Benjamin Coriat, un bon économiste quand même, sérieux, ledit. Il y a eu un tel marché de dupes sur les 41 milliards donnés au patronat qu’il n’y a plus de doute aux yeux de personne. Le patronat fait un bras d’honneur, dit : « J’encaisse. » L’échec est sur toute la ligne. La dette a augmenté, il y a davantage de chômeurs, les riches se sont enrichis, les services publics et les gens se sont appauvris. Il n’y a rien. C’est le drame de ce quinquennat. Il faudrait le gommer entièrement et recommencer.

On arrive à la fin du quinquennat et c’est seulement maintenant qu’il y a une mobilisation de cette ampleur. La CGT a dénoncé un tas de mesures. Qu’est-ce qui fait que là ça marche ?

S.B. : C’est compliqué à analyser, pourquoi à un moment donné il y a une étincelle ? Pourquoi par exemple Nuit Debout fonctionne ? Je pense que les salariés, eux, ils vivent dans l’entreprise tous les jours, et ils connaissent la réalité du dialogue social. Je pense aussi que ça c’est de nature à faire que trop c’est trop.

O.M. : Pour reprendre ce qu’il y a sur les banderoles de jeunes : « On ne peut pas se serrer la ceinture et baisser son froc. » Je crois qu’on en est à ça aussi dans la prise de conscience. Si on regarde l’évolution des salaires, des pensions de retraite, les NAO qui dépassent rarement la hausse de l’inflation, le gel du point d’indice dans la fonction publique, tout ça dégrade le quotidien. Si on tend l’oreille on entend qu’il n’est plus possible aujourd’hui de couvrir ses besoins quotidiens. On assiste donc à une déclassification sociale. Et il est important que quelqu’un comme Gérard puisse venir aujourd’hui pour pouvoir donner des arguments a n qu’il n’y ait pas derrière des raisonnements simplistes et populistes. Parce que le danger est là.

G.F. : Un argument politique : en 2012, la gauche a tout, la Présidence, le Sénat, l’Assemblée, 20 Régions sur 22, 61 Départements sur 100. Et elle va perdre cinq élections : municipales, européennes, sénatoriales, départementales et régionales. Cambadélis a une ex- plication : « C’est les gens qui ont changé. » Mais les gens n’ont jtement pas changé, ils sont restés à gauche dans leur majorité. Les gens ont une aspiration, ils cherchent à ce qu’il y ait une issue pour eux. Il n’y a pas d’issue et à un moment donné ils se mettent en mouvement parce qu’il y a une occasion.

S.B. : Il y a autre chose aussi, de manière très pragmatique, le salarié par exemple dans la Terri toriale à qui on demande d’acheter ses stylos et qui dans le même temps mesure la masse de fric qui existe et qui lui échappe. Trop c’est trop.

G.F.:Quand on ajoute les deux Carlos, Tavares et Ghosn, et les Panama papers… D’ailleurs la banderole qu’il y a sur la place de la Ré- publique : « Vous avez les milliards nous sommes des millions. », c’est ça de façon diffuse qu’il y a derrière. C’est contre la loi El Khomri et son monde. Les gens ont une i terprétation à peu près commune : 1% de l’oligarchie possède tout et nous en avons de moins en moins.

Olivier Masini parlait de  « responsabilités ». Est-ce un moment pour vous où vous avez quelque chose à faire « en plus » ?

G.F. : Bien sûr. Je me sens dans la peau de Bernie Sanders (sourire). J’adore Bernie Sanders. Le gars il ne  va pas gagner,c’est Clinton qui va ga gner. Mais il est à 40-45%, il a encore gagné la nuit dernière. Il a toute la jeunesse derrière. Il y a Corbyn en Angleterre aussi. On m’aurait dit que le Labour allait faire un virage à gauche… Il a pris position pour la Palestine, il est venu à Calais, il a dit : « Je veux qu’ils traversent ! » Le Labour est passé de 100 000 à 650 000 membres. Il est en tête dans les sondages devant Cameron. Si ça arrive aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il est normal que ça nous arrive.

« Nos forces militantes ont encore de la marge en termes de mobilisation. » Sylvain Brossaud

Donc c’est le moment…

O.M. : Quand on écoute les salariés, ils ne sont pas en désaccord avec ce qu’on apporte, au contraire. Ce qui manque en ce moment, c’est le sentiment qu’on peut le gagner ensemble. Il faut cette prise de conscience : on est majoritaires ! Si on arrive à continuer à mettre en œuvre ce dynamisme, avec toutes les générations, on parviendra au bout, on parviendra au retrait.

Les prochaines étapes…

G.F. : Le 28 avril, tous les meetings, toutes les explications…

O.M. : Toutes les initiatives qui permettent de débattre avec les salariés. Avec, déjà, la perspective du 1er mai, qui nous permettra aussi de revenir sur le volet historique du Code du travail. Et le 3 commencera le dé-bat parlementaire.

G.F.:   J’ai entendu qu’ on allait revivre un Mai 68, j’en suis pas sûr. Mais tous les ingrédients sont réunis pour que quelque chose prenne.

Propos recueillis par Romain Alcaraz

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6 Commentaires

  1. Gilbert Duroux
    Posted 21 avril 2016 at 16:34 | Permalien

    GF : « Parce que bon, j’ai côtoyé Hollande pendant un bon paquet d’années, je l’ai entendu défendre le Code du travail, je l’ai entendu défendre les 35 heures… Je ne comprends absolument pas ce qu’il dit aujourd’hui. C’est un reniement de ce pour quoi il a capté des voix. J’avais hésité jusqu’en décembre à utiliser le mot trahison, mais là… »

    Quand-est-ce que tu auras fini de jouer les faux naïfs ? Tu nous prends pour des cons. Parce que Hollande a toujours été ce qu’il est aujourd’hui.

  2. Posted 22 avril 2016 at 11:54 | Permalien

    non

  3. Posted 22 avril 2016 at 12:35 | Permalien

    REPORTAGE : DANS LES COULISSES DE LA NUIT DEBOUT
    Par Marie-Lys Lubrano 21 avr. 2016 – 18h00
    LA PLACE DE LA RÉPUBLIQUE OCCUPÉE ! DÈS FIN MARS, ILS ONT ÉTÉ DES CENTAINES À PARTICIPER AU MOUVEMENT NUIT DEBOUT, LANCÉ PAR LE RÉALISATEUR DE « MERCI PATRON ! », FRANÇOIS RUFFIN. REPORTAGE.
    Reportage : dans les coulisses de la Nuit Debout © SIPA
    TAILLE DU TEXTE : AAAIMPRIMER RÉAGISSEZ JE M’ABONNE
    Mercredi 6 avril. Pour quelques heures, François Ruffin, 41 ans, a délaissé « Répu » et son remake des Indignés espagnols pour un rendez-vous au ministère du Travail avec le conseiller en stratégie de la ministre. Sous la pluie fine, devant une cinquantaine de militants bloqués par la police, le réalisateur de Merci patron ! et de la websérie Merci Myriam !, plaisante : « On est là pour rétablir le dialogue. On veut demander à Mme El Khomri ce qui est prévu dans sa loi pour empêcher les patrons de distribuer 85 % des bénéfices sous forme de dividendes aux actionnaires, tout en licenciant. »

    Le ministère opposera une fin de non-recevoir à ses questions… Mais il en faut plus pour décourager ce « journaliste d’action directe », fondateur du journal alternatif Fakir, devenu tête de gondole de la mobilisation contre la loi travail. « Tout a commencé à quatre ou cinq, dans un bistrot, raconte Ruffin, la veille de la sortie de Merci patron ! »

    « C’EST LE FILM QUI NOUS A DONNÉ LA NIAQUE POUR LUTTER »
    Autour d’une mousse, Ruffin et des membres de la compagnie Jolie Môme se demandent comment relier le film (une farce sociale qui prend pour cible le patronat) à l’actualité. « On a lancé l’idée d’organiser la « Nuit debout », après la manif du 31 mars, avec une projection du film. » Et tandis que le journaliste reprenait le tournage de la série Merci Myriam !, des centaines de militants investissaient la place.

    « C’est le film qui nous a donné la niaque pour lutter », sourit Edouard, 32 ans, qui passe assister aux AG, tous les soirs à République. A la sortie du métro, ce mercredi, deux étudiants brandissent une pancarte « Atelier constituant », point de ralliement de ceux qui planchent sur une VIe République, tandis qu’une poignée de bénévoles tient la cuisine autogérée avec des légumes récupérés à Rungis.

    #32MARS
    Le premier jour, quand la police a délogé les manifestants, c’est le DAL (Droit au logement) qui a pris la relève pour la logistique. « On a déposé une demande de manif auprès de la préfecture et on a monté les tentes », résume Jean-Baptiste Eyraud, son porte-parole. Et les militants ont suivi, mobilisant sous le hashtag « 32 mars ».

    Sans revendication commune, comment expliquer que le mouvement ait décollé si vite ? « Depuis quatre ans, on a toutes les raisons d’être en colère, répond l’ex-inspecteur du travail Gérard Filoche. Mais rien n’avait réussi à mobiliser autant que Nuit debout, qui se multiplie partout en France. » Le 10 avril, plusieurs voix, à droite comme à gauche, laissaient entendre que le mouvement était incompatible avec l’Etat d’urgence. Mais à l’heure où nous écrivions ces lignes, ses organisateurs venaient de déposer une nouvelle déclaration de manifestation pour réinvestir « Répu ».

  4. Posted 22 avril 2016 at 18:41 | Permalien

    Bonsoir à tous,
    En complément de ce qu’a écrit notre camarade Gérard Filoche dans son message n° 3, je vous invite à lire l’article intitulé « Occupations, blocages, désobéissance civile, grève, etc. que peut réellement Nuit Debout ? », disponible à l’adresse suivante : http://www.bastamag.net/Occupations-blocages-desobeissance-civile-greve-que-peut-reellement-changer
    Solidairement.

  5. Gilbert Duroux
    Posted 23 avril 2016 at 17:21 | Permalien

    Bien sûr que si. Et si demain Hollande est le candidat du PS, tu appelleras à voter pour lui. Ton esprit de boutique est plus fort que tout le reste.

  6. Posted 23 avril 2016 at 23:22 | Permalien

    imbecile duroux, je n’ai AUCUN ESPRIT DE BOUTIQUE, arrêtes tes conneries ou tu ne passes plus un seul message ici, compris ?
    j’appellerais TOUJOURS à battre la droite, et toi à voter Juppé, c’est une différence fondamentale de classe entre nous
    mais je suis au premier rang du combat pour que Hollande ne soit pas candidat, et qu’il y ait UN candidat unique donc gagnant,
    au reste t’as même pas un début d’une seconde d’une milli-seconde d’idée sur comment faire pour ESSAYER de gagner en 2017

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