23 217 kiosques de presse : défendre la loi Bichet

Macron veut une Loi liberticide contre la distribution de la presse
Mon ami Yann Volant, ancien ouvrier du livre, comme moi, ne cesse à juste titre de me faire réagir : la loi Bichet du 2 avril 1947 qui régit depuis 70 ans l’ensemble de la distribution  de la presse en France est en voie de disparition.

Qualifiée de « joyau législatif de la Résistance », la loi Bichet  est l’objet d’une attaque frontale du gouvernement Macron qui n’admet pas que la presse soit distribuée d’une manière égalitaire et solidaire au sein d’un système coopératif.
Notre système de distribution de la presse était pourtant unique au monde permettant à chaque quotidien ou périodique, quelle que soit l’importance de son tirage, et son orientation, d’être présent dans les points de vente sur tout le territoire, à égalité de traitement, en étant groupé avec les autres titres et acheminé en temps et en heures vers les points de diffusion. Les principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de solidarité issus de la loi Bichet garantissent la liberté d’expression : impartialité, égalité, solidarité  gouvernent encore le circuit de distribution de la presse en lui assurant à la fois cohérence, efficacité et originalité.
Ce système coopératif français était moins cher et plus efficace que partout ailleurs. Grâce à un savoir faire séculaire, Presstalis (ex-NMPP) est la seule entreprise de France à savoir acheminer des exemplaires imprimés en région Parisienne, produit le plus périssable qui soit, afin de livrer 23 217 points de vente du réseau presse. Ce réseau presse était même le premier réseau de commerce de proximité non-alimentaire, avec un point de vente en moyenne pour 2 700 habitants (alors qu’il y a 22 000 pharmacies, 17 000 points poste)

La disparition de Presstalis emporterait au moins la moitié des diffuseurs de presse et la totalité des petits éditeurs. Presstalis, dont 30 éditeurs (sur 420) représentent 90 % du chiffre d’affaire, verra les titres de 390 éditeurs, soit 93 % d’entre eux menacés de disparaître. Pour 85,2 % des français, « un quartier sans marchands de journaux est un quartier sans vie. » La moitié des français vivront donc dans des quartiers sans vie.
Avec 6 000 titres de presse disponibles, la France était au 1er rang mondial en matière de lecture des magazines : regardez vos kiosques se transformer, « la pléthore de titres » fait place aux paquets de coton-tige par botte de cent et aux chaussettes en promotion.
L’anxiété taraude le personnel de Presstalis. Les salariés en concluent qu’une catastrophe industrielle majeure de plus se profile avec la disparition de milliers de titres et de dizaines de milliers d’emplois.
La tradition française est faite de la lutte pour la liberté de la presse. Pas de presse, sans diffusion démocratique. C’est pourquoi il faut se joindre à cet autre combat anti Macron.
Gérard Filoche (cf Humanité dimanche chronique)

 

DES MESSAGERIES HACHETTE  A PRESSTALIS

BREF HISTORIQUE  D’UNE MESSAGERIE DE PRESSE

1897-13 juin 1940 : Messageries Hachette

 

Le monopole Hachette est né le 9 février 1882, date de la signature du contrat définitif avec les chemins de fer qui lui concède l’exploitation de 750 bibliothèques de gare. A la suite du rachat des Messageries du Figaro et de l’agence Périnet,  les Messageries Hachette sont fortes d’un réseau de 80 000 points de vente en France et en Afrique du nord. Le 24 janvier 1906, la compagnie du Métropolitain de Paris concède à son tour à Hachette l’exclusivité des ventes dans les stations.(1)

Les Messageries Hachette se réservent le droit d’accepter ou de refuser la diffusion d’une publication.

Elles négocient de gré à gré avec les éditeurs en appliquant des conditions de prix différentes en fonction du coût de distribution de chaque titre.

Elles sont accusées de favoriser les titres édités par la Librairie  Hachette au détriment  de certains journaux concurrents, le « Trust vert » ne cesse d’affronter des critiques virulentes.

14 juin 1940-20 août 1944 : Coopérative des Journaux Français,

 

Les Allemands envahissent Paris le 14 juin 1940 et réquisitionnent les locaux des messageries Hachette.

Strictement contrôlée, dans la zone Nord par les lieutenants  Weber et Geubels de la Wehrmacht , présidée par le journaliste collaborateur Jean Luchaire qui sera fusillé à la Libération, la coopérative est dirigée par Fernand Teyssou, directeur des messageries Hachette et Georges Marchand, directeur de la coopérative de journaux. Ce dernier est en réalité un agent de l’intelligence Service, dont la qualité de Résistant sera incontestée à la Libération.

Georges Marchand rencontre dans la clandestinité Alexandre Parodi, président de la commission de la réforme de la presse dans le comité d’étude du Conseil  National de la Résistance et lui remet un projet d’organisation future de messageries coopératives de presse (2). C’est ce texte que reprendra, selon des sources convergentes,  Albert Gazier pour rédiger son projet de loi.

La direction d’Hachette s’installe en zone Sud à Clermont-Ferrand et les messageries Hachette continuent à fonctionner en diffusant la presse de Vichy sous la direction de Guy Lapeyre (qui sera le premier directeur général des NMPP en 1947) et de Raoul Bouchetal. Ils seront félicités par l’occupant pour l’excellente distribution du magazine de propagande nazi  Signal.(3)

 

1erseptembre 1944-31 août 1945 : Groupement National de distribution des journaux et publications(GNDJP).

Le 20 août 1944, le Ministre provisoire de l’information réquisitionne les locaux et le matériel de distribution d’Hachette, accusé d’avoir collaboré avec l’occupant.(4)

Le 21 août, le personnel des messageries chasse l’occupant allemand et les collaborateurs, nomme sa direction et organise en pleine insurrection la diffusion des journaux libres, comme en témoigne une plaque commémorative inaugurée le 21 août 1946 comportant  également vingt noms de résistants morts  sous la torture, fusillés ou encore en déportation.

Le 30 septembre 1944, le Général De Gaulle signe une ordonnance confirmant  M.Georges  Vallois comme administrateur de la société de fait, créée le 1erseptembre 1944 sous le nom de « Groupement National de distribution des journaux et publications »(GNDJP).(5)

 

1erseptembre 1945- 12 mars 1947 : Messageries françaises de Presse (MFP)

Le GNDJP étant une société de fait, sans fondement juridique, ce qui entrainait des difficultés techniques considérables, il  a fallu remédier à cette situation. Les Messageries Françaises de Presse sont donc créées le 1erseptembre 1945, avec effet rétroactif au 1erseptembre 1944. C’est une SARL (société anonyme à responsabilité limitée) au capital de 50000 francs.

La gestion bipartite était composée par 3 journalistes désignés par le Syndicat de la Presse Parisienne et 3 élus Cgt (1 cadre, 1 employé, 1 ouvrier).(6)

A l’exaltation des premiers mois succèdent vite des difficultés.

En juin 1946, Hachette relance l’Expéditive, petite entreprise de messageries créée en 1922.

Pour organiser sa riposte, Hachette bénéficie des soutiens de trois banques qui lui accordent une ligne de crédit inépuisable : 40 millions accordés en 1946, 40 millions de découvert en décembre et lancement de deux emprunts obligataires de 130, puis de 200 millions de francs.(7)

A cette lutte inégale, viennent s’adjoindre, il faut bien le reconnaître, d’importantes  carences de gestion des MFP.

L’irruption de l’Expéditive provoque une chute de 50 % du chiffre d’affaire, la réquisition des locaux d’Hachette  occupés par les MFP arrive à  terme le 28 février 1947 et le montant de la dette des réquisitions  due à Hachette et jamais acquittée atteignait 40 millions de Francs.(8)

La grève des imprimeries parisiennes qui démarre le 13 février pour durer 31 jours, porte un coup fatal aux MFP qui perdent 4 millions par jour. Dès le 20 février les salaires ne sont plus versés.

La liquidation amiable des MFP est décidée le 12 mars 1947. Dès le 4 février  La gestion provisoire avait été confiée à la SNEP (Société Nationale des Entreprises de Presse) dont ce n’était  pas le rôle. Le Président Ramadier accepte de payer les salaires du personnel et de prolonger la réquisition des locaux d’Hachette, jusqu’à l’adoption d’une loi et la constitution d’une nouvelle société de messageries, pour éviter que L’Expéditive (donc Hachette) ne soit la seule entreprise de messageries à offrirses services sur le plan national.

Le 2 avril 1947, la loi Bichet est proclamée.

16 avril 1947-9 décembre 2009 : NMPP (Nouvelles Messageries de Presse Parisienne) SARL.

C’est une société commerciale dont le capital est souscrit à concurrence de  51 % des parts par 5 coopératives et  49 % revenant à la SGM (Société de Gérance et de Messageries), créée par  Hachette pour la circonstance, comme le permet l’article 4 de la loi Bichet.

Le Directeur général est nommé par Hachette, entreprise à laquelle les NMPP louent les locaux et le matériel d’exploitation.

Pour protester contre le retour d’Hachette à la direction des NMPP, les anciens résistants retirent la plaque commémorative, honorant le sacrifice de vingt résistants, de la façade de l’immeuble des Messageries.

En 1980, Lagardère, alors à la tête du groupe Matra, rachète Hachette et devient donc  propriétaire des 49 % des parts d’Hachette dans la Sarl NMPP.

10 décembre 2009 : Presstalis,  SARL qui devient une SAS le 1erjuillet 2011

Le 10 décembre 2009, les NMPP deviennent Presstalis .

Le 1er juillet 2011, Lagardère cède, pour 1 euro symbolique, les 49 % des parts qu’il possède dans Presstalis , SARL transformée à cette date en SAS (société par action simplifiée), détenues par deux coopératives : la Coopérative des quotidiens, qui possède 75 % des parts et la Coopérative des quotidiens pour les 25 % restants.

Yann Volant.

 

1 Le scandale du trust vert BnF.

2 AN Dossier Marchand F/41/2078.

3 Le scandale du trust vert BnF.

4 Archives IHS du Livre Parisien.

5 Histoire de la Presse Française BnF.

6 Noir sur Blanc n°21.

7 Edition presse et pouvoir au xxe siècle. Jean-Yves Mollier.

8 Hélène Eck La distribution de la presse du xvIIIe siècle au IIIe millénaire

 

GENÉSE DE LA LOI BICHET

 

Voici l’histoire, très abrégée, d’une loi conçue à l’origine pour remettre les clefs de la distribution de la presse à Hachette. Une fois amendée, elle a permis aux éditeurs de bénéficier des principes d’impartialité, d’égalité de traitement, de solidarité, qui, s’ils n’ont pas présidé à son élaboration, en sont finalement issus. Elle doit être défendue parce qu’elle prouve, depuis 70 ans, l’extraordinaire efficacité du système coopératif pour garantir le pluralisme de la presse et son dynamisme.

 

La société de messageries, L’Expéditive (voir encadré bref historique) relancée par Hachette en juin 1946 avec le soutien indéfectible des banques, provoque une chute de 50 % du chiffre d’affaires des Messageries françaises de Presse, déjà lourdement déficitaires à la suite d’erreurs  de gestion. Elles seront liquidées à l’amiable le 12 mars 1947. La direction des MFP est alors confiée à la SNEP en l’attente du vote d’une loi, pour éviter que les journaux n’aient d’autre choix que de confier leur distribution à L’Expéditive, donc à Hachette.

 

Les débats parlementaires virulents, qui se déroulent les 27, 28 et 29 mars à propos de la loi Bichet, s’inscrivent dans une perspective historique tourmentée.

 

1947 est une année charnière. Une année terrible, la plus terrible depuis la Libération. Les Français souffrent de la faim. On parle même de famine. La ration de pain est de 200 g par jour contre 300 g en 1946.

 

Les Américains, craignant que la misère ne fasse le lit du communisme, créent le Plan Marshall.

 

Cette aide est constituée à 90 % par des dons en nature livrés aux gouvernements qui les vendent aux industriels à crédit. Ce qui favorise le plein emploi aux Etats-Unis et contribue à l’enrichissement des capitalistes en France, donc à leur renforcement.

 

Le bénéfice du plan Marshall est conditionné à l’exclusion des communistes des gouvernements.

 

Avec leur renvoi du gouvernement Ramadier le 5 mai 1947 (un mois après la promulgation de la loi Bichet), c’est la fin du tripartisme ‒ PCF, SFIO, MRP ‒, qui avait été rendu possible par les combats communs pendant la Résistance.

 

La guerre froide s’installe. L’anticommunisme prend souvent le pas sur l’idéal du Conseil national de la Résistance visant à soustraire la presse à l’action des puissances d’argent.

 

Certains députés sont de plus en plus sensibles aux pressions des dirigeants très fortunés d’Hachette (on parlerait aujourd’hui de lobby) sur fond de rumeurs persistantes de corruption.

 

Le 27 mars 1947, deux projets de loi sont soumis à l’Assemblée nationale :

 

1)  Le projet de loi « Gazier », du nom d’Albert Gazier, ancien ministre de l’Information dans le gouvernement de transition de Léon Blum, en janvier 1946, grand résistant dans le mouvement Libération Nord, représentant la CGT clandestine à Londres puis à Alger, secrétaire confédéral de la CGT en 1945. Député SFIO de 1946 à 1958.

 

Ce projet de loi, soutenu par les communistes (PCF) et les socialistes (SFIO) portait sur la création d’une société de « Messageries coopératives de presse », devant exploiter, sous le contrôle de l’État, le monopole du groupage, du transport et de la distribution des journaux et publications périodiques.

 

Le conseil d’administration devait être composé de 21 membres : 7 fonctionnaires représentant l’État, 7 représentants des éditeurs de journaux, 7 représentants du personnel de la société. Le directeur général, choisi parmi les membres du conseil d’administration appartenant au ministère des PTT devait être nommé par décret par le président du Conseil des Ministres.

 

2)  Le projet de loi « Bichet » du nom de Robert Bichet, résistant de la région Bourgogne, sous-secrétaire d’État à l’information du gouvernement provisoire de Georges Bidault, Député MRP (parti centriste, démocrate chrétien et conservateur).

 

Il faut savoir que Gaston Defferre est à l’origine de la loi, votée le 11 mai 1946, portant sur la confiscation et l’attribution des entreprises de presse ayant collaboré avec l’ennemi et remises à la SNEP. La société Hachette apprend qu’il prépare également un projet de loi instituant une société nationale de distribution de la presse et que tous biens, meubles, immeubles et droits s’y rattachant appartenant à la société Hachette seraient dévolus à la nouvelle société.

 

Sentant passer le vent du boulet et s’adaptant aux circonstances avec une grande intelligence, caractéristique constante d’Hachette, les dirigeants préconisent, par courrier du 9 février 1946, de créer une société mixte de gestion, c’est-à-dire une société coopérative qui confierait à Hachette la gestion de l’entreprise de diffusion de la presse.

 

C’est ce texte qui a très certainement servi de base à André Schmidt, ami d’enfance et beau-frère de Jacques Chaban-Delmas pour rédiger, dans le plus grand secret, le texte initial de la loi Bichet, comme l’histoire nous le révèlera beaucoup plus tard.

 

Ce projet de loi était soutenu par les démocrates chrétiens et les conservateurs regroupés dans le MRP (c’était compliqué à cette époque de se réclamer ouvertement de la droite, assimilée alors au pétainisme et au pouvoir vichyste).

 

Habilement présentée comme une loi conçue pour « échapper à la tyrannie d’Hachette », ce texte portait sur la création de « sociétés coopératives de messageries ».

L’article 2 stipule que le groupage et la distribution des journaux et publications ne peuvent être assurés que par des sociétés coopératives.

Par contre, l’article 4 indique que « si les sociétés coopératives décident de confier l’exécution de certaines opérations spécialisées à des entreprises commerciales, elles devront s’assurer le contrôle de la gestion de ces entreprises » (le terme « certaines opérations » sont un doux euphémisme, en fait il s’agit de la totalité des opérations de distribution).

 

Entre les deux groupes de textes, il y a une opposition de principes évidente :

 

Dans le cadre du projet d’A. Gazier, une seule société dite « Coopérative des Messageries de la Presse » est chargée du monopole de distribution de journaux à Paris.

 

Le projet de R. Bichet tend, au contraire à la création d’« Entreprises de Messageries de la presse » soumises à un statut de coopérative.

 

Lors de la 1èreséance du 27 mars, Fernand Grenier (PCF) s’oppose avec virulence au projet Bichet : « La pluralité des messageries est, pour Paris, un non-sens économique, un gaspillage inouï de force et d’argent ». Il démontre également que les grands journaux pourraient créer une coopérative et en refuser l’accès à ceux qui se vendent moins bien.

 

Concernant l’article 4, il souligne avec lucidité qu’en réalité, les coopératives ne pourraient confier les travaux de distribution qu’à la société Hachette, seul appareil technique de diffusion à deux branches : « l’Expéditive » ou les installations (qui sont simplement réquisitionnées et non pas confisquées) de la rue Réaumur.

 

De son côté, Robert Bichet rétorque que « le projet Gazier aboutirait à un monopole quasi politique, qu’il ne veut ni d’un trust vert (Hachette), ni d’un trust rouge, que lui-même et ses collègues ne désirent pas que la presse obéisse à l’avenir à un gouvernement et à une majorité de passage ».

 

À l’issue de cette première séance, le projet Gazier est soumis au vote : le nombre de votants étant de 574, la majorité absolue était de 288. 280 députés se sont prononcés pour l’adoption et 294 contre. C’est donc avec une faible majorité de 14 voix que le projet Bichet sera soumis à l’examen de l’Assemblée. Il eût suffi de 8 voix pour que ce soit le projet Gazier. La discipline de vote a fonctionné sur les bancs du MRP.

 

L’article 4, Cheval de Troie de la sous-traitance

 

Lors de l’examen de la loi Bichet, les orateurs de gauche ‒ Fernand Grenier et René Thuillier (PCF), Charles Lussy (SFIO), Emmanuel d’Astier de La Vigerie (apparenté communiste) ‒ s’acharnent avec ténacité, article après article, par amendements et sous-amendements, à modifier la rédaction première des textes, perturbant ainsi fortement le déroulement des séances, au point qu’au troisième jour, le président de l’Assemblée ne sait plus quel était le bon texte.

 

Malgré leur acharnement, ils ne pourront imposer leurs amendements sur la sous-traitance des travaux.

 

Ainsi l’amendement de Fernand Grenier, dont l’article 2 avait pour objet de mettre aux mains des coopératives de presse elles-mêmes la distribution des journaux pour qu’elles les exploitent directement, est rejeté.

 

Mais surtout, les députés de gauche ‒ Lussy, Grenier, Thuillier, d’Astier de La Vigerie ‒ ont la grande intelligence de comprendre que l’article 4 dit en substance que si les coopératives décident de confier l’exécution de certaines opérations techniques, ce serait le plus dangereux et ouvrirait la porte à la reconstitution du trust des messageries et à la sous-traitance en cascade.

 

Cet article 4 indique notamment « si les sociétés coopératives décident de confier l’exécution de certaines opérations matérielles à des entreprises commerciales, elles devront s’assurer une participation majoritaire dans la direction de ces entreprises. » Par voie d’amendement, M. d’Astier de La Vigerie propose de supprimer cette partie du texte en argumentant, à juste titre, qu’ « au moment où cette loi sera promulguée, il n’existera qu’une seule entreprise commerciale capable de passer contrat avec les coopératives : c’est l’entreprise Hachette et que M. Bichet aura permis la réintégration du monopole Hachette sous forme d’entreprise commerciale ayant à charge la distribution ». L’amendement soumis au scrutin est rejeté.

 

L’article 4 de la loi Bichet est bien le plus nocif et mérite que l’on s’y arrête.

 

Ainsi, aujourd’hui, en 2018, se mettant en conformité avec l’article 4 de la loi Bichet (voir plus haut), deux coopératives ‒ la Coopérative des Magazines et la Coopérative des Quotidiens ‒ possèdent respectivement 75 et 25 % des parts de la Société par Actions simplifiée (SAS) Presstalis.

 

Tout éditeur de quotidien ou périodique qui souhaite que son titre soit distribué avec d’autres titres pour bénéficier des économies d’échelle, adhère à une coopérative, conformément à l’article 2 de la loi Bichet.

 

Ces coopératives passent contrat avec la société commerciale Presstalis, dans laquelle elles sont majoritaires, pour que celle-ci effectue la distribution et le retour des invendus.

 

De son côté, Presstalis, société commerciale de droit privée, n’est pas soumise aux obligations de la loi Bichet, donc libérée de l’obligation de s’assurer une participation majoritaire dans les entreprises de logistique auxquelles elle rétrocède à son tour les travaux de distribution.

 

C’est ainsi que les dirigeants des NMPP, puis de Presstalis, ont vidé les ateliers de la production et réduit les effectifs au maximum, en confiant la quasi-totalité des travaux de distribution des magazines à des sociétés comme Geodis ou autres.

 

Le problème majeur des salariés de la distribution de la presse, c’est la sous-traitance. Et c’est l’article 4 qui le permet. D’Astier de La Vigerie avait bien raison de demander la suppression de la deuxième phrase de l’article 4 et Fernand Grenier avait bien raison de demander que les coopératives soient tenues d’effectuer elles-mêmes la distribution des journaux.

 

Mais revenons en mars 1947.

 

Des amendements très importants, déposés par les députés communistes sont adoptés par les députés dont celui de René Thuillier à l’article 6 :

 

« Devra être obligatoirement admis dans la société coopérative tout journal ou périodique qui offrira de conclure avec la société un contrat de transport (ou de groupage et de distribution) sur la base du barème des tarifs ».

 

Cet amendement, conquis de haute lutte, en fait un article majeur : c’est l’article qui proscrit la censure et la discrimination, qui garantit la liberté d’expression, la liberté de la presse, l’impartialité de la distribution, le pluralisme de la presse.

 

Finalement, au bout de trois jours d’affrontements, les communistes et les socialistes estiment que le projet amendé offre le minimum de garanties auxquelles ils croient prétendre et votent le projet Bichet en faisant les plus extrêmes réserves sur l’avenir.

 

Le 20 juillet 2011, une opération de contournement du système coopératif est opérée avec l’introduction dans la loi du 3e alinéa de l’article 18-6 permettant la mise en place d’une distribution de la presse quotidienne nationale à travers la presse quotidienne régionale, sans adhérer à une coopérative, en contradiction avec l’article 2. C’est un échec retentissant en province. Par contre, en Île-de-France, le groupe LVMH avec Les Echos / Le Parisien avec Proximy et le Figaro, avec Promoporte, ont créé des entreprises de distribution parallèles dans les localités bien desservies et profitent du système coopératif pour les zones plus difficiles d’accès.

 

Pourquoi défendre aujourd’hui cette loi de compromis menacée d’être abrogée ?

 

Parce que les principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de solidarité issus de la loi Bichet et véhiculés par le système coopératif constituent la meilleure garantie de la liberté d’expression énoncée par la loi du 29 juillet 1881 et consacrée par le Conseil constitutionnel.

 

Parce que, 70 ans plus tard, les trois principes issus de cette loi ‒ impartialité, égalité, solidarité ‒ continuent de gouverner le circuit de distribution de la presse en lui assurant à la fois sa cohérence, son efficacité et son originalité.

 

Parce que le système de distribution de la presse, unique au monde, est le plus économique et le plus performant des pays européens.

 

Parce que son abrogation au bénéfice des contrats passés de gré à gré nous ramènerait aux pratiques des Messageries Hachette en 1897, quand elles se réservaient le droit d’accepter ou de refuser la diffusion d’une publication, quand elles négociaient de gré à gré avec les éditeurs en appliquant des conditions de prix différents en fonction des coûts de distribution de chaque titre. Ce serait donc la fin du principe de péréquation qui permet aux journaux à faible tirage de bénéficier des mêmes tarifs que ceux accordés aux journaux à fort tirage. Ce serait la fin du pluralisme et de son rôle essentiel dans le fonctionnement démocratique, qui entrainerait la disparition de milliers de titres et mènerait à une catastrophe industrielle majeure avec la perte de dizaines de milliers d’emplois.

 

merci à Yann Volant

 

Pour la défense de la loi Bichet sur la distribution de la presse

Le SNJ-CGT s’associe à l’appel à rassemblement devant le Sénat le mercredi 22 mai, lancé par le SGLCE-CGT pour la défense de la loi Bichet.

Comme nos camarades du SGLCE, nous exigeons le maintien de cette loi qui, depuis 1947, encadre la distribution de la presse en France.

Le gouvernement a en effet lancé depuis avril une procédure accélérée pour son projet de loi sur la distribution de la presse, dont l’objectif est d’abroger l’actuelle loi Bichet, en passant en force comme sur nombre d’autres sujets.

Comme le rappelle le SGLCE, ce projet de loi vise à « libéraliser le secteur en mettant fin à la solidarité et à l’égalité de traitement entre les titres de presse qui permettent aujourd’hui à chacun d’entre eux d’être présent sur tout le territoire, tous les jours et ce, quels que soient leurs moyens financiers. Dans ce nouveau monde ouvert à la concurrence, nombre de titres disparaîtront, faute des ressources nécessaires pour se faire distribuer.

Les autres devront se conformer aux offres des opérateurs dans une relation purement commerciale, comme avec n’importe quelle marchandise. »

Le SGLCE résume ainsi les risques : « Ce projet, s’il allait à son terme, ouvrirait ainsi la distribution de la presse aux forces de l’argent, et plus rien n’empêcherait alors le retour d’un monopole privé comme c’était le cas avant l’instauration de la loi Bichet. Loin d’être une modernisation du système de distribution, ce projet de loi est, tout simplement, un véritable retour en arrière. »

Mobilisons-nous pour combattre cette régression, qui concerne les journalistes, comme tous les salariés de la presse, quels que soient les statuts et les métiers.

Rendez-vous mercredi 22 mai à 10h30 devant le Sénat : 16 rue de Tournon à Paris (métro Luxembourg)

 

Montreuil, le 20 mai 2019.


 

 

 

One Commentaire

  1. Gili
    Posted 23 mai 2019 at 20:25 | Permalien

    Cela fait 25 ans au moins que cette loi est mise à mal par les plus gros éditeurs entre autres et les différents gouvernements de droite et de «gauche»n’ont jamais défendu comme ils auraient dû l’égalité de traitement des quotidiens et des publications. La résistance acharnée des camarades de la CGT a permis de retarder l’échéance. Aujourd’hui la résistance existe encore mais les effectifs sont au plus bas. Continuons à nous battre sur un plan politique ,la démocratie et la liberté de s’informer en dépendent. Courage à vous tous.

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