Les méchants et les bons. En défense de Philippe Pascal, inspecteur de l’Urssaf.

Il y a une vingtaine d’années, au gré de mes déplacements militants en province, on m’avait invité en Saône et Loire, à une réunion informelle de fonctionnaires des « corps de contrôleurs ». Un court moment, je n’en avais pas vu l’intérêt dans mon planning chargé, et puis je m’y étais rendu.  Il y avait dans la salle des agents de la direction de la concurrence et de la consommation, des agents des impôts, des inspecteurs des lois sociales en agriculture, des douanes, de la médecine du travail, de l’inspection du travail et invités, des agents des mines, des affaires maritimes, de la sécurité routière, de l’Urssaf, des APAVE, de la CRAM, du BTP.

Je dois dire que j’ai participé ce jour-là à une des plus importantes réunions de ma vie reliant à la fois mes activités militantes et professionnelles. Parce que ce qui s’est passé au cours de la longue discussion qui s’est tenue tout un après midi, a été spectaculaire et démonstratif aux yeux de tous : sans services de contrôle, sans  agents de contrôles spécialisés, il n’y a pas de loi, il n’y a pas de République.

On a tous constaté d’abord, que nous étions en nombre insuffisant pour exercer nos contrôles : nulle part nous n’avions les effectifs pour réaliser les missions qui nous étaient confiées. Délibérément l’état ne se donne pas les moyens de faire appliquer le meilleur de ses lois dans  tous les domaines, de l’impôt, du travail, du commerce, de la santé,  de la sécurité…

Les agents des douanes nous ont enseigné qu’ils n’étaient que quatre dans le port du Havre et qu’il y avait l’équivalent de 170 km de containers,  que n’importe quoi passait au hasard, de la mélanine dans du lait frelaté, et des trafics de terre rare. Il y avait 200 agents à Calais pour les personnes au tunnel sous la Manche mais personne dans les grands ports de transit du pays tout entier.

Les agents de la concurrence et de la consommation, nous ont expliqué qu’ils n’étaient qu’une poignée, alors qu’on leur faisait faire un « contrôle » dans les huiles malsaines des marchands de frites ambulants, sur les plages ou lieux touristiques, que ça servait à un reportage annuel, marronnier, de TF1,  mais qu’ils n’avaient aucun moyen de protéger les consommateurs de centaines de milliers de points de vente  où les surgelés étaient décongelés dix fois de suite, et ou la viande de cheval remplaçait la viande de bœuf. Ils précisèrent que dans les restaurants meme ayant pignon sur rue, un salarié sur quatre n’était pas déclaré.

Les agents des impôts racontèrent comme la diminution de leurs effectifs allait à l’inverse de la hausse de la fraude et de l’optimisation fiscale, comment les ordres directs de la hiérarchie épargnaient les plus riches et les plus fraudeurs, pourquoi l’état perdait ainsi volontairement plus de 50 milliards par an

Les agents des contrôles en agriculture, montraient comment c’était difficile de faire face aux contrôles des caisses de la MSA, mais aussi face aux abus de produits toxiques, pesticides pourtant bien connus, mais aussi difficile de faire face à l’abus de vendangeurs, cueilleurs,  ouvriers agricoles clandestins, deux contrôleurs, Sylvie Trémouille et Daniel Buffière avaient été abattus le 2 septembre 2004, à Saussignac, en Dordogne, par un exploitant qui avait des dizaines d’immigrés non déclarés dans ses champs.

Des médecins du travail expliquèrent combien la belle médecine du travail (et scolaire au passage) avait été dénaturée puis détruite : c’était la meilleure prévention, une spécialité adaptée aux postes de travail, aux risques physiques et psycho sociaux. Elle avait été marginalisée (fin des médecins spécialisés, fin des infirmiers, services de santé sans professionnels qualifiés ni protégés  vis à vs des patrons) et allait être totalement supprimée.

Des représentants de la CRAM  expliquèrent qu’ils avaient encore le pouvoir de faire des injonctions immédiatement activables pour le calcul des cotisations sécurité employeurs, mais les hiérarchies en freinaient l’utilisation. Plus il y avait besoin de contrôle et de sanctions face à des employeurs sans scrupules uniquement motivés par « les délais », par l’argent, moins il y en avait.

Les agents des organismes privés spécialisés agréés type Apave, Socotec, eux mêmes illustrèrent les difficultés de faire leur travail, alors que les prix des vérifications techniques ne cessaient de grimper de façon prohibitive. Les patrons se dérobaient à leurs obligations autant qu’ils le pouvaient.

Des agents de l’OPPBTP décrivirent leur situation : recul des formations, des moyens donnés d’éducation et de prévention, des mentalités et des vigilances face aux risques d’accident du travail, tentatives permanentes d’alléger les couts de sécurité intégrés, d’excuser les fautes patronales, avec la précarité, l’intérim qui augmentaient le nombre d’accidents.

Moi comme inspecteur du travail, je participais à renforcer ce tableau d’ensemble : manque d’effectifs, des textes de loi insuffisamment précis et coercitifs, une hiérarchie gagnée à la compétitivité des entreprises au détriment des salariés, des institutions représentatives du personnel, des syndicats. Les protections collectives reculaient partout. Un patron sur deux était un délinquant et ne payait pas les heures supplémentaires.

Et l’agent de l’Urssaf mit la cerise sur le mauvais gâteau : la fraude aux cotisations sociales salariales et patronales, au versement du « salaire brut et super brut »  était énorme, le travail illégal considérable et les moyens de contrôle aléatoires au nom de l’emploi, des tolérances, des zones de non droits et finalement d’un laisser faire grandissant. Même sur le salaire, même sur les ressources de la Sécu,  l’absence de contrôle était criante.

Au fur et à mesure des interventions, on avait tous envie que tout ça marche, car c’était la vie quotidienne des gens qui était en cause. Que de blessures, de malheur, de misère, parce que pas assez d’éducation, pas assez de sens civique, pas assez d’honnêteté ! On se sentait pourtant tous indispensables, et capables de faire bien mieux.

Lorsque les deux collègues  contrôleurs en agriculture en Dordogne avaient été assassinés, des affiches avaient surgi « assez de contrôle ! » légitimant publiquement le double crime.

Un inspecteur du travail se faisait traiter de « gestapo » par un patron fraudeur pris la main dans le sac : invoquer la « défense de l’état de droit dans l’entreprise » le fait carrément exploser de rire ! Et des insultes ou agressions pleuvent sur les inspecteurs, on les a recensées, 80 fois par an.

Les contrôlés veulent frauder en liberté. La fraude fiscale était même devenue couramment l’objet de blagues favorables, un « jeu », un « sport » et elle atteignait déjà à cette époque plus de 50 milliards. La corruption s’étend, c’est la combattre qui devient mal vu.

Le médecin du travail était dénigré dans l’opinion comme ne « servant à rien » et de moins en moins de partons voulaient payer l’inscription à un centre de visites médicales obligatoires.

Les contrôleurs des transporteurs, avaient affaire à la fraude sur les « disques » qui permettaient pourtant d’empêcher les dépassements de vitesse, et d’imposer des repos aux chauffeurs, limitant les innombrables accidents dus aux poids lourds.

Les injonctions financières de la CRAM étaient dénoncées comme « arbitraires » à cause de leur efficacité immédiate, sans passer par le temps du juge. Les juges ne condamnaient jamais sévèrement les patrons même en cas d’accidents mortels et de « faute inexcusable ».

Quant aux cotisations sociales, elles faisaient l’objet d’attaques grossières et en règle, qualifiées de « charges », vilipendées par tous les employeurs, accusées de tous les maux par les économistes libéraux qui régnaient dans les médias, elles faisaient l’objet d’ »exonérations » sans que personne ne s’indigne comme il le fallait. S’il y avait si peu de syndicalistes, c’est que la chasse aux sorcières des patrons les frappait durement

Comment, exercer ainsi, à contre courant le métier d’agent de contrôle, le plus mal vu de tous les fonctionnaires mal vus ? L’idéologie libérale dominante conditionnait les citoyens à refuser les contrôles, les charges, les procès verbaux, les radars, et ce, quelque soit leur fonction sociale, leur place dans le processus de production.

Et c’étaient bien sur ceux d’en bas qui en pâtissaient : les accidents du travail et la souffrance à la tache, ce n’était pas le lot des patrons.

Et le travail illégal, sans cotisation, sans contrôle, sans droit ni loi, ça ne faisait que le jeu des exploiteurs, jamais celui des exploités.

Bien sur, cet après midi là, il y a 20 ans, environ, on semblait découvrir la lune, ce qu’on se disait, ce qu’on illustrait, ce qu’on vérifiait de façon vivante, illustrée, intuitivement, tout le monde sait ça ou croit le savoir. Sans contrôle pas de respect des lois sociales. Sans respect des lois sociales, c’est la loi de la jungle et le triomphe des voyous. Toute société sans régulation, c’est Mad Max, la barbarie.

A ce moment-là, en dépit de mes déjà 15 ans de métier, je me rappelle mes tripes nouées et mon indignation vibrante. J’en suis sorti, renforcé sur l’importance de nos métiers, de nos fonctions, de notre rôle, et la compréhension de ce que pourrait être un fonctionnement d’un état citoyen qui deviendrait démocratique. (1)

Je n’avais pas imaginé  que quelques années plus tard, la situation se dégraderait au point que les patrons se sentent libres de mettre en cause, « les contrôleurs et inspecteurs «  que nous étions. Ils ont pourtant, depuis, exigé moins d’effectifs, moins de formation, moins de lois, moins de contrôle, moins de sanctions.

Personnellement j’ai eu à subir alors que j’exerçais pleinement et professionnellement mes fonctions, en tant qu’inspecteur du travail, d’une série de plaintes d’employeurs d’une riche société de cosmétique de la rue de la Paix, m’accusant invraisemblablement d’avoir « entravé » leur Comite d’entreprise. Mon administration alors dirigée par le libéral JL Combrexelle de sinistre mémoire, me refusa la « protection fonctionnelle » et refusa de me défendre, pire elle me chargea. Il me fallut faire collecte et campagne pour obtenir un soutien financier et d’opinion : cela dura entre 2004 et 2013 (avec la salarié syndiquée dont j’avais été amenée à prendre la défense juridique) soit 9 ans et 14 procès ! J’ai gagné les 14 procès, et seulement alors l’administration finança ma défense. Mais quelle souffrance !  Pour les patrons c’était un moyen de vengeance, de détournement-renversement  de la loi, et je n’ai pas été le seul agent de contrôle ainsi accusé, la porte fut largement ouverte aux procédures « à l’envers »

C’est ainsi que ce qui est arrivé à Philippe Pascal, doit s’étudier et se comprendre.

Qu’un inspecteur de l’Urssaf soit mis en cause « à l’envers » par un patron voyou, cela devait arriver, mais on ne doit pas laisser s’installer cela dans l’air du temps. C’est ainsi qu’il faut défendre Philippe Pascal et faire avec lui, en sa faveur, un exemple : que les patrons voyous paient et non pas ceux qui ont pour tâche de leur faire respecter les lois sociales. Même si le mot « social » écorche la bouche du patron voyou.

Philippe Pascal a fait le magnifique métier d’inspecteur pour que notre protection sociale, à nous toutes et tous, à  18 millions de salariés,  existe.

Sans cotisations sociales, pas de Sécurité sociale !

Un beau film de Gilles Perret «  La sociale »  raconte « la Sécu » issue du conseil national de la résistance, des rapports de force sociaux de l’après guerre. Il décrit le salaire net, pour vivre, au  jour le jour, et le salaire brut, pour vivre toute la vie : ce n’est pas une charge c’est un bonheur. C’est nous les salariés (90 % des actifs) qui produisons les richesses de ce pays et qui n’en recevons pas la part salariale que nous méritons.

Par les temps qui courent le patronat veut baisser démesurément le coût du travail, Emmanuel Macron a publie dans on livre « Révolution » un programme simpliste : il veut une société post salariale, sans statut, sans loi, ni droit, il veut « ubériser », faire une France start up, ou le contrat commercial remplace le contrat de travail. Cela veut dire mettre bas  tous les aspects protecteurs du statut du salariat : le code du travail, les conventions collectives, la médecine du travail, la justice du travail, l’inspection du travail, les institutions représentatives du personnel, CHSCT, CE, DP, DS, et supprimer les cotisations sociales.

Pour cela, il faut promouvoir le « laisser faire » pour ceux d’en haut et il faut réprimer, sanctionner eux d’en bas, qui résistent, les syndicalistes et les élus des salariés, les gilets jaunes et les citoyens respectueux des droits et obligations républicaines, il faut minorer et supprimer les fonctions de contrôle et de sanction

Mais ils n’y arriveront pas. Un immense besoin démocratique l’emportera. Les citoyens ont besoin de respect, de solidarité, pas de fraude, pas de pillage, ni de sauvagerie, ni de triche généralisée. C’est un immense combat historique qui est en cours, il n’est pas encore gagné pour les méchants, il n’est pas perdu pour les bons.

Gérard Filoche

 

(1) J’ai rédigé suite à cette réunion, un roman policier, paru sous le titre  « Cérium »  Ed du Cherche-Midi) où les agents qui font triompher la justice ne sont pas des policiers, mais un corps de contrôleurs de différents secteurs et domaines.

 

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