Dette publique, taux d’intérêt négatifs (et retraites)

Dette publique, taux d’intérêt négatifs (et retraites)

L’injonction de résorber la dette publique, régulièrement relayée par le service public audiovisuel[1], dissimule leprojet idéologique de désengager socialement l’Etatet, avec les politiques monéraires anti-inflationnistes, conduit à des politiques économiques favorables aux ultra-richeset défavorables au reste des citoyens (actifs et retraités).

1. La dette publique est particulièrement suivie par l’exécutif et les médias

Et pour cause : elle relève des très télégéniques« critères de Maastricht » qui fixent un seuil de 60% du PIB. Ce seuil n’a pas le moindre sens économique ou financier(il a d’ailleurs été allègrement franchipar la plupart des pays de l’U.E. suite à la crise de 2008), ne serait-ce que dans son rapport au pourcentage du PIB – comme le montre bien Jacques RIGAUDIAT[2], si j’ai 1700€ de salaires et achète une voiture à 20 000 €, je vais emprunter sur 20 ans ; comparer ces 20 000 € à mon salaire annuel n’a aucun sens ; dans le cas de la dette publique, il faudrait diviser celle-ci par par huit avant de la rapporter au PIB, la durée moyenne des emprunts des administrations publiques est de huit ans.

Pourtant, ces critères ont été intégrés avecle TSCG. de 2012[3]à notre Constitution[4].

La place prise par la dette dans le débat public ainsi que son instrumentalisation récente en Grèce – les politiques d’austérité imposées par la Commission et ses alliés de la finance, loin de se justifier économiquement (elles ont accru la dette) visaient à empêcher de montrer qu’une politique alternative pouvait être menée en Europe – illustre le caractère débile de notre sytème démocratique représentatif, amputé de sa souveraineté sur la sphère économique publique.

2. Pourtant, la dette publique en France aujourd’hui n’est pas un problème

- la dette publiquefrançaise dans son ensemble est aujourd’hui de l’ordre de 2300 Md€, soit environ 100 % du PIB et 30 000 € env. par habitant. Cependant, l’Insee (données 2016) nous rappelle que les actifs détenus par les administrations publiques, eux, sont de 3220 Md€ […], donc supérieurs au passif. Contrairement à ce que l’on veut nous faire accroire, l’endettement ne sert pas à jeter de l’argent par les fenêtres : « au total, nous ne laissons pas à nos enfants une dette mais un patrimoine précieux : des hôpitaux pour être soignés, des crèches, des maternelles, des lycées et des universités pour se former, des bibliothèques et des musées pour se cultiver ! »[5]

- Jacques RIGAUDIAT notamment montre bien par ailleurs :

* que la crise des subprimesen 2008 aux Etats-Unis était une crise de la dette privée ;

* que l’Espagne ou l’Islande par exemple, bien que vertueuses budgétairement, ont été frappées par la crise bancaire ;

* que la France est loin d’avoir atteint un « plafond » : le Japon actuel a une dette publique qui frise les 250 % du PIB ;

* des secteurs présentés par la doxapolitico-médiatique comme « contribuant » à la dette publique, en particulier la Sécurité sociale, sont au contraire des « vaches à lait » pour la collectivité – l’équilibre devrait être atteint dès 2024, horizon auquel les fonds consacrés au désendettement pourraient utilement être ré-employés, par exemple pour accompagner la dépendance[6].

* du fait de la crédibilité (notamment fiscale) de notre pays et de la stratégie de taux négatifs (cf. infra-, 3-), la charge de la dette ne cesse de diminuer : en 2008, lorsque l’endettement de la France était de 65 % du PIB, la charge de la dette était de 57 Md€aujourd’hui, alors que la dette représente 100 % du PIB, la charge de la dette rapproche 40 Md€.

3. En revanche, les taux d’intérêts négatifs actuels et leur traitement par le Trésor public sont un problème

Du fait du déversement de masses de liquidités sur les acteurs et les marchés financiers par les banques centrales suite à la crise de 2008, le taux des obligations (à dix ans) est devenu négatif en France[7] : avec un taux à – 0,4 % comme en juillet dernier, le pays ne rembourse pour un emprunt de 100 000 € que 96 000 €. Cependant :

3.1. La gestion des conséquences de ces taux négatifs par le Trésor constitue un scandale démocratique :

- alors que la charge de la dette (intérêts d’emprunt) devrait être encore allégée de 2 Md€ par rapport aux prévisions de la loi de finances 2019 (annonce du ministre de l’Action et des Comptes publics cet l’été), voire de 22 Md€ d’ici à 2021 (si la tendance était durable, selon le rapporteur du budget à l’Assemblée nationale), aucun redéploiementd’ampleur de cette manne budgétaire n’est prévu ;

- Par ailleurs, l’activité (normale) de réémission de l’agence France Trésor a permis dans ce contexte de bénéficier d’une manne de plusieurs dizaines de milliards d’euros qui a échappé aux circuits budgétaires traditionnels : « Depuis 2009, l’utilisation d’au total près de quatre points de PIB n’a donc relevé que de la seule décision du Gouvernement […]. Depuis 2014, ce sont ainsi chaque année un peu plus 20 Md€, – soient les budgets réunis des ministères du travail, de la justice, de la culture, de la santé et de la jeunesse et des sports – dont l’usage a échappé à toute discussion préalable du Parlement …. Pas franchement démocratique !»[8]

3.2. Les politiques monétaires « non conventionnelles » sont favorables au capital et défavorables citoyens :

- comme le note Patrick ARTUS [9],« la classe moyenne occidentale, et surtout les épargnants, sont les grands perdants de cette politique [qui ont] de plus en plus de mal à se constituer un […] capital pour [l]a retraite et [l]es enfants. Or, les taux négatifs vont peu à peu rogner ce capital. » ;

- si dans la zone euro, les prêts aux entreprises sont devenus moins coûteux :

* Les capitaux de plus en plus abondants n’ont pas conduit à une relance de l’investissement de long terme (ou au recrutement, l’augmentation des salaires, etc.) mais pour une grande part été investis en Bourse, dans des opérations de LBO, des montages financiers rémunérateurs – programmes de rachats d’actions pour faire monter les cours, versements à des fonds de private equity,acquisition d’obligations plus risquées (assorties de taux positifs) –, entraînant les marchés vers des niveaux de valorisation époustouflants et partant… ouvrant la voie à un krach ;

* certains (dont l’OFCE [10])  relèvent que les taux d’intérêt négatifs peuvent réduire l’investissement car ils réduisent les profits bancaires et donc l’incitation pour celles-ci de répercuter la baisse des coûts sur les taux emprunteurs ».

la rentabilité des activités de crédit étant érodée, les banques sont enclines à augmenter les frais bancaires, réduire la rémunération des dépôts et développer leurs activités de marché, les plus périlleuses.

- Les taux négatifs peuvent aggraver le chômage keynésien (cf. notamment les travaux de PALLEY[11]) ;

* en  stimulant (paradoxalement) l’épargne les ménages pouvant réagir à la baisse du taux d’intérêt en épargnant davantage pour maintenir leurs flux d’intérêts ;

- des taux négatifs sur les dépôts peuvent être perçus comme une forme de taxe sur ces derniers ; comme les ménages se sentent alors moins riches, cela peut générer un effet Pilou négatif sur la consommation.

 

arno

 


[1]Cf. encore récemment : mardi 10 décembre dernier, 20h50, France: Dans le piège de la dette (https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/1117811-dans-le-piege-de-la-dette.html)

[2]Conseiller-maître honoraire à la cour des comptes, il fut inter aliadirecteur de cabinet du Ministre de la fonction publique, J. Le Garrec (1986) Directeur des études et de la statistique de l’ANPE (1986-1988) et Conseiller social des Premiers ministre M. Rocard et L. Jospin. Il a publié en 2018 aux éditions du Croquant La dette, arme de dissuasion massive.

[3]Traité sur la stabilité, la coordination, et la gouvernance de l’Union économique et monétaire (T.S.C.G.), notamment son article 4 qui prévoit que le gouvernement doit s’engager à réduire sa dette publique au rythme d’un vingtième par an du montant excédent 60 % du PIB, soit pour la France : 100% - 60%= 40% à rembourser sur vingt ans, soit 2% du PIB par an, soit 50 Md€, auxquels il faut ajouter environ 40 Md€ d’intérêts, soit plus que le total réuni des budgets de l’Education nationale, de l’égalité du territoire et du logement, de la justice, de la santé, du travail, de la culture et de la jeunesse et des sports…

[4] loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques du 17 décembre 2012 qui modifie les procédures budgétaires conformément aux principes du TSCG.

[7]Ainsi qu’en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Finlande, aux Pays-Bas, etc.

[8]In « Dette publique : la manne secrète des primes d’émission », Mediapart, 31 juillet 2018 (https://blogs.mediapart.fr/jacques-rigaudiat/blog/310718/dette-publique-la-manne-secrete-des-primes-demission-0).

[11]Cités par Martin ANOTA in Alternatives écnomiques, 27/5/18 (https://blogs.alternatives-economiques.fr/anota/2018/05/27/les-taux-d-interet-negatifs-peuvent-aggraver-le-chomage-keynesien) – PALLEY, Thomas I. (2018), « Negative interest rate policy (NIRP) and the fallacy of the natural rate of interest: Why NIRP may worsen Keynesian unemployment », PERI, political economy research institute, working paper, n°463).

 

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