si Macron est en guerre c’est contre le salariat

 

 

 

Annonces de Macron

 

Une parenthèse, et non un tournant

 

Dans son « adresse aux Français », le jeudi 12 mars, Emmanuel Macron déclarait qu’il y a « des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». Il ajoutait : « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie à d’autres est une folie ». Mais qui est le plus fou des deux : le fou ou celui qui le suit ?

 

Cette « adresse aux Français » a tout d’une autocritique de la politique menée depuis 2017. En prenant au pied de la lettre les déclarations du président de la République, il était tout à fait possible de penser que ce dernier remettait en question le cap qu’il tient, malgré la montée des oppositions, depuis son élection. Cette politique consistait, en effet, à marchandiser tout ce qui pouvait l’être : la santé, l’éducation, la culture, les transports, la retraite… Elle consistait également à faire de la France un pays « attractif » pour les capitaux en acceptant de sacrifier nos normes sociales et environnementales à des traités de libre-échange comme le CETA, passé entre l’Union européenne et le Canada et accepté par Macron.

 

« J’ai changé », saison 2 ?

Cette « adresse aux Français » annonce-t-elle, pour autant, un tournant dans le quinquennat, voire une remise en cause du capitalisme ? Pour répondre à cette question, il serait sans doute bon de faire un petit voyage dans le temps et de revenir à la crise financière de 2007-2008 et à ses suites.

En 2008-2009, déjà, tout devait changer. Le 25 août 2008, dans son discours de Toulon, Nicolas Sarkozy déclarait : « L’idée de la toute-puissance du marché qui ne devait pas être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle ». À la sortie du G20 de Londres, en avril 2009, le même Sarkozy déclarait : « Les paradis fiscaux, le secret bancaire. C’est terminé ».

Mais aussitôt la crise financière passée, les promesses ont été oubliées et l’addition présentée aux salariés. La suite est connue : le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) pour « rassurer » les marchés financiers, était signé en mars 2012 par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. L’addition était présentée au salariat afin de permettre aux actionnaires de retrouver, puis d’augmenter leurs dividendes.

Les « Panama Papers » et tant d’autres scandales l’ont mis en évidence : les paradis fiscaux sont plus que jamais une pièce essentielle de la mondialisation libérale.

 

Éternel retour

La séparation des banques sous François Hollande s’est réduite à une mascarade. La loi bancaire ne scindait pas les mastodontes bancaires entre banques spéculatives et banques de dépôt utiles à l’économie, les dernières devant être les seules à bénéficier de la garantie de l’État.

Pour « rassurer » les marchés financiers, répondre aux règles néolibérales de Bruxelles et attirer les capitaux, les gouvernements de Sarkozy, Hollande et Macron ont taillé à coup de serpe dans les acquis sociaux : les services publics, la Fonction publique, l’assurance-maladie, le Code du travail, la fiscalité progressive, le financement de la Sécurité sociale, l’assurance-chômage et, finalement, avant le déclenchement de la pandémie, la réforme des retraites.

Ces politiques (suppressions des lits, tarification à l’activité, travail à flux tendus, mépris répétés des cris d’alarme des soignants…) ont laissé l’hôpital dans un état tel qu’il est difficile de penser qu’il puisse faire face à la pandémie. « On a mis l’activité au service de la gestion au lieu de mettre la gestion au service de l’activité. L’épidémie remet les compteurs à zéro. C’est la démonstration qu’on ne peut pas gérer un hôpital comme une entreprise », affirme le professeur émérite André Grimaldi, ancien chef de service à la Pitié-Salpêtrière.

 

État et néolibéralisme

Contrairement à ce que pourrait faire croire la fable communément admise, le néolibéralisme n’hésite pas à faire intervenir l’État. Cette intervention est même souvent un besoin impérieux pour le patronat et pour les actionnaires. Ceux-ci disqualifient pourtant quotidiennement, via les médias qu’ils contrôlent, les incursions des pouvoirs publics sur leur plates-bandes dès qu’elles semblent susceptibles de remettre en cause, ne serait-ce que de façon infinitésimale, leurs intérêts.

Le projet de loi sur les retraites en était une nouvelle démonstration : il commençait par imposer l’étatisation du système de retraites pour mieux pouvoir le privatiser en laissant une part de plus en plus importante du financement des retraites aux fonds de pension, au fur et à mesure de la montée en charge des réductions du montant des retraites,.

La politique économique menée actuellement a pour principale fonction de sauver le capitalisme : pour cela, tous les discours sont bons. Elle fournit par ailleurs quelques indices de ce qui nous attend.

 

Tout pour les entreprises !

Les échéances fiscales, le versement des cotisations comme des primes d’assurance sont reportées. Un plan de 45 milliards d’euros (dans un premier temps) pour permettre aux entreprises privées de passer ce cap difficile devrait être adopté.

Muriel Pénicaud a refusé, à plusieurs reprises, d’interdire les licenciements. Édouard Philippe et Bruno Lemaire ont affirmé que l’État pourrait prendre des participations, voire nationaliser temporairement des entreprises. L’objectif serait, comme d’habitude, de socialiser les pertes pour permettre aux actionnaires, dans un deuxième temps, de remettre la main sur une entreprise assainie aux frais de l’État.

 

Le minimum pour les salariés

Certes, les salariés percevront une allocation de chômage partiel égale à 84 % de leur salaire net et 100 % pour les salariés payés au Smic.

Mais le deuxième volet de la réforme de l’assurance-chômage, qui devait être mis en application le 1er avril 2020, n’est que suspendu. Quant à la première partie de la réforme, elle a été mise en œuvre le 1er novembre 2019 et restera en application, même si elle diminue les droits des demandeurs d’emplois, particulièrement ceux des plus fragiles.

Les salariés dont les droits ne sont pas reconnus – tels les livreurs de Deliveroo ou d’Uber Eats – n’ont qu’une protection minimum, et pour en bénéficier il faut que leur salaire de mars 2020 soit inférieur de 70 % à celui de mars 2019, alors que la plupart des livreurs ne travaillent que depuis quelques mois.

Le gouvernement demande – et n’impose surtout pas – aux entreprises d’attribuer une prime de 1 000 euros aux salariés au travail. 1 000 euros, ce n’est pas très cher pour risquer sa vie !Le but du gouvernement n’est pas de les protéger, mais de préserver les rouages de l’économie de marché, en attendant des jours meilleurs pour la « main invisible ».

 

Les oubliés du confinement

Nombreux sont les oubliés du confinement, même si le gouvernement a suspendu les expulsions jusqu’au 31 mai. Les effets du mal-logement sont démultipliés en période de confinement. La suspension de l’APL en cas d’impayés est maintenue. Quant aux SDF, aux personnes internées dans les camps de rétention ou les prisons, ils ne semblent pas être le premier souci du gouvernement. Pourtant, même si Macron estime que ces « gens ne sont rien », il devrait comprendre qu’ils peuvent être des vecteurs d’une grave pandémie susceptible de toucher beaucoup d’autres personnes, même « les gens qui réussissent »…

 

Attaques contre nos acquis

Déjà, sans la moindre vergogne, le gouvernement avait profité d’un Conseil des ministres, convoqué pour répondre à la crise sanitaire, pour annoncer le recours au 49-3 et mettre par-là même fin au débat sur la réforme des retraites à l’Assemblée. Et malgré la propagation catastrophique de la pandémie, le gouvernement continue.

Le projet de loi d’urgence sanitaire examiné par le Parlement prévoit que le gouvernement pourra légiférer par ordonnance pour que les entreprises des « secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou de la continuité de la vie économique et sociale puissent déroger aux règles du code du travail et aux stipulations conventionnelles relative à la durée du travail, au repos hebdomadaire et du repos dominical ».

Ce projet de loi ne précise pas quels sont les secteurs concernés et c’est donc dans toutes les entreprises qu’il sera possible d’imposer aux salariés de prendre une semaine de congés pendant leur confinement (plutôt que de bénéficier du chômage partiel) et de ne plus respecter ce qui restait des 35 heures. Le temps durant lequel pourra s’imposer cette « dérogation » n’est pas précisé, ce qui ne présage rien de bon.

Concernant les entreprises et les salariés, le titre du projet de loi est particulièrement trompeur : il ne s’agit pas d’instituer « l’état d’urgence sanitaire », mais de préserver les profits et de tout faire pour pouvoir retourner le plus vite possible au business as usual et aux priorités des actionnaires.

 

« Restez chez vous, mais allez travailler ! »

Cette injonction met à nu la politique de Macron. Elle est, d’abord, totalement contre-productive dans la lutte contre la pandémie. Beaucoup de personnes ne prennent pas au sérieux la nécessité de rester confinées, pourtant essentielle, parce qu’elles ne peuvent pas comprendre que Macron leur dise à la fois de rester chez eux et d’aller travailler (ou d’aller voter).

Elle n’a pas, ensuite, pour objectif d’aider à la lutte contre le coronavirus mais d’essayer de préserver les profits. Édouard Philippe et Bruno Lemaire insistent sur le télétravail, mais la ministre du Travail elle-même reconnaît qu’aujourd’hui, seul un salarié sur trois pourrait travailler ainsi.

Le gouvernement insiste également sur la nécessité de maintenir les services essentiels : nourriture, eaux, gaz, électricité, voiries… Mais il laisse au patronat le choix de décider ce qui est essentiel. C’est ainsi qu’Amazon, la Poste, Uber Eats, Deliveroo, les chantiers navals, l’industrie automobile et bien d’autres entreprises qui n’ont rien d’essentielles pour faire face à la crise sanitaire continuent à produire. Partout où le patronat le veut, l’activité continue et le gouvernement laisse faire et encourage : le profit avant tout.

Le gouvernement affirme que les salariés travaillent uniquement quand les règles de protection sont respectées. En réalité, après la suppression des CHSCT et les coupes claires dans l’Inspection du travail, les contrôles sont extrêmement difficiles. Ce n’est que lorsque les salariés exercent leur droit de retrait ou font grève (comme en Italie) que les employeurs cèdent. Les salariés, cependant, ne peuvent exercer leur droit de retrait que s’ils ont le rapport de forces pour le faire ; autrement ils prennent le risque de ne jamais être payés si un tribunal décidait qu’ils avaient exercé à tort ce droit et qu’ils encouraient donc un licenciement. Beaucoup de salariés vont donc travailler avec la peur au ventre. Il n’est cependant pas sûr du tout que, quand le pic de la pandémie sera atteint, beaucoup de salariés ne préféreront pas sauver leur vie plutôt que leur emploi.

 

« Nous sommes en guerre »

Le président de la République ne tire pas, cependant, les conclusions de l’état de « guerre » qu’il a déclaré.

Les salariés dont les métiers ne sont pas indispensables à la survie de la société pendant la pandémie doivent rester confinés. Les salariés des secteurs essentiels à la survie de la société doivent être dotés de protections véritables (masques efficaces, gel, vitres de protection, organisations du travail permettant de respecter les distances de sécurité…) vérifiées par les organisations syndicales et les institutions représentatives du personnel.

Une partie de l’appareil productif doit être réquisitionné et, si besoin, transformée pour lutter contre la pandémie, sans attendre que d’autres milliardaires imitent Bernard Arnaud, qui se paie le luxe de faire la charité aux hôpitaux parisiens en leur offrant du gel hydro-alcoolique issue de trois de ses usines de parfum.

Personne ne peut croire qu’il ne soit pas possible de produire les millions de masques FFP2 dont les hôpitaux ou la médecine de ville ont besoin et de fabriquer les respirateurs qui font cruellement défaut dans les services de réanimation. Quand une « guerre » est déclarée, l’État ne doit-il pas transformer l’économie de temps de paix en « économie de guerre » et armer ceux qui sont en première ligne : les soignants et ceux qui travaillent dans les secteurs essentiels au maintien d’une vie sociale minimum ?

 

Jean-Jacques Chavigné


 

2 Commentaires

  1. Hubert SAUNER
    Posted 27 mars 2020 at 17:45 | Permalien

    Un seul commentaire que m’impose votre suggestion d’imposer à toutes les entreprises une prime de 1000 €.
    C’est confortable d’être généreux avec l’argent des autres ?
    Bon confinement, puissiez vous le vivre un peu en silence, comme de toutes façons vous n’êtes pas entendu…

  2. Posted 27 mars 2020 at 23:31 | Permalien

    vous n’avez pas lu ou pas compris, je suis contre les primes, ça c’est Macron, pas moi
    je suis pour des hausses de salaires, nets et bruts, de 300 eruos pour tous, a commencer par les soignants et les caissières
    j’ai vu ce soir les policiers applaudir les soignants… vous savez quelle est la différence de salaire entre un policier et un soignant ?

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