Petits commerces et grande distribution, nulle équité, jamais

Regard d’une fille de commerçants qui a bien grandi

Deux jours que Bruno Retailleau organise habilement la défense de l’équité entre les commerces. Pas la défense des petits commerces et des bourgs, non. La défense de la libre concurrence. La droite et les commerces… comme la droite et les agriculteurs… La droite qui pense que tous les commerces se valent, que toutes les cultures se valent. La droite qui accompagne les changements, s’en accommode mais surtout n’enclenche rien, ne critique jamais rien, ne prend pas position. La droite de la liberté d’entreprendre et de réussir. Réussir soi sans jamais s’interroger sur : réussir, au détriment de qui ? Qui refuse d’interroger le système. La droite vendéenne devenue dans la presse fer de lance du soutien aux petits commerçants obligés de fermer quatre semaines dans les bourgs des villages et villes. Parce que COVID.

Cette même droite qui ne dénonce pas aujourd’hui l’implantation d’Amazon, pire qui l’accompagne en jetant toutes les critiques d’un revers de main, au nom d’une sacro-sainte antienne dont on sait pourtant qu’elle est fausse, la création d’emplois. Création d’emplois de Bezos quoiqu’il en coûte. Disparition des sols et de la culture des terres. Prix à payer pour les salariés à bas coûts et aux conditions de travail scandaleuses. Retour sur investissement nul pour un Bezos qui ne paie pas ses impôts. Création d’emplois de Bezos pour Bezos. Au détriment de nous tous.

Cette même droite qui dans les années 1990 louait le nouveau modèle dit de grande distribution. Parce que c’était l’avenir. Qui autour de la famille Leclerc obtenait la libéralisation des prix des carburants. Ce même Leclerc qui échouait sur la remise en cause du prix unique du livre, et c’est tant mieux ! Celui là-même qui voulait casser tous les prix, vendre de la pharmacie… mais à quel prix justement ? Celui des fermetures des officines et des boutiques en villes. Commerces de bouche, de fringues, quincailleries.

Le libéralisme apprenait tranquillement à diviser pour mieux régner. Diviser les gens, entre consommateurs et salariés. Les uns se satisfaisant des prix bas à l’achat sans se soucier des conditions de travail des autres. Comme s’ils n’étaient pas un. Comme si les conditions du travail d’un secteur entier, celui de la grande distribution : salaires au minimum, temps partiels subis, horaires à rallonges, n’auraient aucun impact sur le reste du monde. Sur les conditions de travail du reste du monde. Comme si la puissance de la grande distribution ne devenait pas telle qu’elle imposerait bientôt tout aux producteurs et transformateurs.

Les élus qui crient aujourd’hui à l’inégalité de traitement des petits et des grands alors qu’ils l’alimentent au quotidien. Qui inaugurent des centres commerciaux toujours plus grands, toujours plus beaux et qui t’assènent aujourd’hui d’aller acheter dans les boutiques, pour sauver ton voisin. Sauf que le système qu’ils ont entretenu ne te permet plus d’aller dans le commerce d’à-côté où tout y est plus cher. Et encore, ça c’est quand il en existe encore car, la plupart du temps, il n’y a même plus de boutiques à-côté.

Ils nous ont divisés. Les salariés mal rémunérés, clients de la grande surface du coin en rentrant du taf. Tout sur place, petits prix, caddie rempli. Dont le salaire arrive à suffire justement parce que, heureusement, à Carrefour, Lidl ou Leclerc c’est pas cher. Ils nous ont divisés. Les agriculteurs mal rémunérés, clients eux-mêmes de la grande surface pour les mêmes raisons. Un serpent qui se mord la queue.

Et voilà qu’aujourd’hui, on t’intime de faire tes courses là où tu n’as financièrement pas les moyens d’aller acheter. On te ferme le rayon livres de la grande surface alors que la bibliothèque de ton bled a les portes closes. On te ferme le rayon livres de la grande surface alors que c’est le seul endroit à des bornes à la ronde où tu peux acheter un bouquin pour tes gamins.

Voilà que tu te retrouves plongé dans un truc plus grand, qui te dépasse et qui fait système. À force de complaisances, à force de considérer que tout accompagner, dans le respect de ce qu’est chacun, petits et gros commerçants, les élus ont laissé tomber les petits. Bruno Retailleau a déclaré au Sénat cette semaine qu’il fallait “rétablir l’équité entre les commerces”. Or, d’équité, il n’en existe aucune. Défendre les petits et les grands, c’est laisser gagner les grands. Et regarder les petits baisser les volets de leur boutique tant aimée les uns après les autres. En politique, ça s’appelle le libéralisme et c’est un choix qui, s’il en enrichit quelques-uns, collectivement, nous coûte cher.

 

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