Grève générale rampante mais explosive

 

Les mouvements sociaux sont souvent très puissants et semblent  atteindre un caractère révolutionnaire sans que rien ne garantisse qu’ils explosent. Ils relèvent d’une alchimie exceptionnelle où l’on observe différents facteurs qui se conjuguent mais qui souvent ne suffisent pas en eux-mêmes.

Il y faut la « touche »

Ce qui compte le plus c’est l’élément déclencheur, il est imprévisible.

On « sent » qu’on est « au bord » et on n’y est pas : c’est pourtant toujours un élément inattendu, spontané qui soulève, indigne, révolte les foules en masse. Ça ne se décrète pas et les « appels » d’en haut n’ont pas de prise, il faut que ça vienne d’en bas, comme une secousse sismique.

Le rôle des militants des syndicats, des associations et des partis, chacun à leur niveau, dans leurs sphères d’action respectives, est d’éclairer, d’expliquer, de « faire murir » mais pas de dicter. Dicter, ordonner, tempêter, ordonner ça ne se sert à rien, collons aux soubresauts de la terre en mouvement.

 

Comme les tremblements de terre, on sait où sont les failles, on sait quelles plaques tectoniques se meuvent, on parie sur les variations des cycles, mais seules les forces des strates de la matière en décident. Les luttes de classes ont des hauts et des bas, les affrontements sont parfois lents, permanents. Et puis le tremblement de terre surgit. S’il survient aujourd’hui en France il serait puissance 7 sur l’échelle de Richter, ça fera mal à la droite, aux capitalistes, ils auront à payer cher les souffrances qu’ils nous ont si durablement et collectivement infligées.

 

Ce que nous vivons en cet hiver 2022-23, offre toutes les caractéristiques qui conduisent à une crise révolutionnaire sans qu’on sache de jour en jour si elle va vraiment faire irruption. Ça vient de loin : plus de quinze années de reculs sociaux, ont été subies malgré de très grandes résistances, manifestations et grèves. Il y a de la matière  accumulée.

 

Par exemple, les batailles pour la défense des retraites remontent spectaculairement à nov.déc. 1995, au printemps 2003, à l’année 2010, à 2013, à 2019 et atteignent un point culminant en janvier-mars 2023. Les batailles pour la défense du code du travail, se prolongent de 2004-2008 à 2O13-2O16, puis en 2017. Les batailles pour la défense des services publics sont quasi annuelles pour l’hôpital, pour l’école, pour les transports en commun, pour les libertés face aux répressions policières de plus en plus systématiques et violentes. Les batailles pour les salaires sont devenues cruciales avec une inflation alimentaire qui atteint 25 %.  Syndicats ont mené chaque combat, plus ou moins unis, mais sans quasiment rien gagner depuis le CPE de 2006. Ils ont juste limité les dégâts, et bloqué la retraite par point de 2019.

 

Parce qu’ils n’ont pas gagné, les syndicats ont même été débordés par le mouvement des gilets jaunes : ce fut une révélation, un indicateur. La spontanéité et la force impétueuse de celui-ci a bousculé tous les habitus, et, du coup, fait peur au pouvoir, qui a matraqué violemment mais cédé superficiellement. Cet épisode a révélé la profondeur et la violence du séisme qui couvait.

 

Au plan politique, les élections ont traduit ces résistances sociales pendant toute la décennie 2010, et donné une majorité sans précédent historique à la gauche : 2 villes sur 3, 20 régions sur 22, 61 départements sur 101, la majorité de l’Assemblée, du Sénat et la présidence de la république ont basculé à gauche. Mais ce fut la plus grande des trahisons historiques, celle de 2012 à 2017 du quinquennat maudit Hollande-Valls, et ce fut suivi d’une période de destruction et d’une lourde division des morceaux de la gauche survivante. Les libéraux ont même cru gagner un renouveau de pouvoir surprenant avec un aventurier surgi de nulle part, Macron. Les capitalistes se sont enhardis et croient qu’il n’est plus nécessaire de négocier, qu’il leur suffit désormais de mépriser et de réprimer. Ils ont cessé d’écouter le social à la différence de ce qu’un Chirac faisait auparavant (en 1968, en 1986, en 1995, en 2006)

 

Depuis janvier 2023, la lame de fond est pourtant repartie : au point qu’une unité syndicale sans précédent s’est réalisée avec une des principales centrales qui ne bougeait plus depuis 2003. Treize syndicats avancent de pair déterminés.

Au plan politique, malgré des bisbilles infantiles et superflues, les forces de gauche se sont unies dans la NUPES, et offrent une nouvelle perspective politique, celle qui manquait cruellement depuis dix ans.

On a donc eu des manifestations 2 millions le 19 janvier, 2,8 millions le 31, 2 millions le 7 février, 2,5 millions le 11, 3,5 millions le 7 mars, et environ 4 à 5 millions ont manifesté au moins une fois… C’est du jamais vu.

Tout est, en apparence, disponible pour une crise révolutionnaire. Pour ceux qui ont de l’expérience et qui analysent soigneusement, ils savent que tout est présentement possible.

Pour autant il n’y a pas encore, ce 12 mars, le « débordement » attendu et souhaité : ça ne part pas encore en flèche comme  les 13, 14, 15, 16 , 17 mai 1968. On a peut-être trop en tête le schéma 1936, ça démarre à Breguet et à Latécohère ?  ou le schéma 68 avec Sud-Aviation et Renault-Cléon ?  on attend que des grosses entreprises fassent phare ? C’est toujours la recherche du « détonateur » enflammant la plaine.

 

Sont-ce les difficultés salariales financières, l’inflation, la précarité, les défaites précédentes, qui freinent l’extension grève générale ?  En vérité non, le 7 mars a été énorme. Et si ça part, tout partira, difficultés financières ou pas, 245 000 manifestants à Marseille, une ville où il y a 33 000 fonctionnaires, ça indique que le privé participe en masse. Les jours de grève les taux de participation sont inégaux mais puissants en public comme en privé. Il y a eu 130 manifestants à Ouessant, et 200 à Groix, 1000 à Ploermel, 3500 à Abbeville… comme cela a été observé dans les villes petites et moyennes, le « plein » a été fait, des records incroyables, sans précédent ont été dépassés. 93% des actifs sont contre les 64 ans, 78 % des français sont contre, 68 % sont pour le retour aux 60 ans (ce qui est dans le programme de la NUPES). Le salariat est mobilisé dans son tréfonds. C’est là qu’il se dessine, qu’il se vérifie qu’il existe vraiment en tant que classe sociale puissante, majoritaire, du balayeur à l’ingénieur, de l’infirmière à la caissière, du métallo au cheminot, même si il est encore loin d’avoir la conscience nécessaire de toute sa puissance.

 

Mais une chose est davantage certaine il existe un doute profond, une crainte, une résignation : l’idée est cultivée qu’on ne peut pas gagner, qu’ils ne vont pas céder là-haut, qu’ils sont arrogants et brutaux et c’est d’ailleurs le point le plus fort de la propagande totalitaire des grands médias.  Leur réforme scélérate, mensongère, truquée, a été décortiquée, ridiculisée, discréditée, elle suscite une hostilité générale auprès de dizaines de millions de salariés, y compris ceux qui ne font pas grève, et ne manifestant qu’épisodiquement. Mais le doute est là. il ronge. Il paralyse. Il divise. Ce qui n’empêche pas  une rage sourde et féroce. Il faut que survienne un incident  symbolique. Ce sera alors une fantastique explosion. Laurent Berger le dit à sa façon :  « - Que faut-il faire pour être entendu ? » Il dit ne pas vouloir de violence mais s’étonne que le pouvoir choisisse de pousse à la violence en fermant toute issue. Les libertariens, les Hayek et Friedmann, les maitres à penser de Macron sont pour la violence, (ils accusent c’est nouveau, Berger d’être lui-même « violent »), l’Elysée étudie les hypothèses de « morts », cherche comment museler et réprimer si ça se traduit quelque part dans un soulèvement.

Leurs plans peuvent été déjoués à tout moment. Continuons, tenons bon, la tension est telle que le « détonateur » s’il survient, bouleversera la donne, ils seront alors noyés par des millions de manifestants et les entreprises, seront occupées et c’est le patronat à ce stade-là qui viendra frapper sur l’épaule de Macron pour lui dire « stop ». Soyons certains qu’ils négocieront alors pour sauver leur peau et leurs entreprises. Le fanatique de l’Elysée s’inclinera alors et on entrera dans une autre sphère, celle d’élections que nous pourrons gagner, enfin. Gagner sur les retraites c’est ouvrir un monde nouveau, celui d’un autre raz de marée. Celui d’une VI° république possible. Mais pour l’heure on se concentre : « retrait des 64 ans ».

 

 

 

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