SH 55 : Un bras broyé

Dans ces cas-là, on évoque un « arbre des causes » : un ensemble de facteurs a poussé à ce que l’accident ait lieu ce 12 août 2009, sous la pyramide du Louvre, galerie du Carrousel, 99 rue de Rivoli, dans cette boutique ultra-moderne et hyper chic qu’Apple veut construire.

Le salarié de 48 ans a eu le bras broyé alors qu’il contribuait à la pose d’un panneau de revêtement mural en inox de 4 m 50 sur 1 m 10 pesant 250 kg. Le panneau devait être élevé à 5 m 60 par une grue « araignée » dotée d’une flèche tromboscopique qui l’avait saisi avec quatre ventouses : l’opération se passait quasi dans le noir, avec beaucoup de bruit autour. Le chef de l’opération parlait italien mais pas le jeune grutier. Comme le panneau se présentait mal, les quatre salariés mal disposés dans la structure métallique où ils devaient l’accrocher, ont été obligés de tendre leurs bras pour le saisir et l’ajuster. Une contre-pression a fait lâcher les ventouses, le panneau a zappé, glissé, et en tombant, a écrasé le bras gauche d’un des ouvriers italiens : plaie ouverte, fractures multiples ouvertes, artère sectionnée, il a perdu son sang de longues minutes avant que les pompiers puissent écarter la grue, amener une nacelle, le désincarcérer, l’emmener. Sa situation était alors si grave qu’un moment, il fut question de l’amputer. Mais, il a pu in extremis être conduit à la Pitié-Salpêtrière et opéré avec inquiétude mais succès : il lui faudra six mois de ré-éducation et sans doute son métier de « monteur » lui sera t il difficile.

Manifestement le « mode opératoire » était lourd de dangers que nul n’avait voulu voir : lieux exigus, absence de plate-forme de travail stable et sûre, absence de gants et de ventouses manuelles, mauvaise estimation des capacités de la grue n’utilisant que 4 ventouses au lieu de 6 ou 8 pour ce panneau si lourd, un grutier qui n’a pas le CACES (certificat d’aptitude à la conduite d’engins de sécurité), des salariés stressés par les délais et la complexité de la tâche.

À cela s’ajoute qu’il n’y a pas eu de « plan particulier de sécurité » préalable, pour la bonne raison que la société italienne des monteurs ne figurait pas sur les registres officiels des maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage, que 3 des 8 ouvriers, dont la victime, étaient d’une autre société italienne sous-traitante inconnue. Travail dissimulé ? L’enquête se poursuit pendant que les deux panneaux restent à poser selon un mode opératoire à inventer : les solutions se succèdent et présentent des risques similaires.

On ne demande pas à Apple de se contenter de peintures sur les murs. Mais il suffirait pourtant de découper le panneau en trois, allégeant et facilitant sa pose, sans que rien ne change à l’œil des futurs visiteurs, vu que les panneaux d’en dessous sont eux-mêmes découpés en trois. Mais le « désigner » s’y refuse, il veut que ses 150 magasins dans le monde soient construits « pareil », même si, à cause de la disposition des lieux aucun ne ressemble à un autre. En fait architectes et « désigner » pensent rarement aux ouvriers qui construisent, la sécurité n’est pas pour eux incorporée à l’œuvre à bâtir. L’humain doit se plier à la complexité des plans et pas l’inverse. Le créateur va toujours plus loin (là, il y aura bientôt un escalier en vert entièrement suspendu au plafond…) Mais sans penser à la souffrance au travail. C’est ainsi qu’un ouvrier italien, pas déclaré sur notre sol, a failli y mourir et en sort abîmé à vie.

Gérard Filoche

One Commentaire

  1. Spirine
    Posted 7 décembre 2009 at 21:40 | Permalien

    Un escalier en vert ? Incroyable.

    Un mot d’architecte pour indiquer que contrairement à ce que vous dites, les « bons » architectes se posent toujours la question de comment les choses seront montées.

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