RPS

Il m’a été donné d’assister à une réunion de « restitution » d’échanges sur les pratiques professionnelles de l’inspection du travail en Ile de France. C’était organisé par la DRTE et le ministère, et 250 contrôleurs et inspecteurs étaient présents ce jeudi 18 mars au matin dans un amphithéâtre de l’Asiem. La réunion était ouverte par le professeur Yves Clot et deux psychologues aux discours à l’eau tiède. C’était le fruit, paraît-il, d’un an d’enquête sur nos pratiques professionnelles, à partir d’un « échantillon » de dix agents de contrôle.

Ce ne fut pas seulement décevant mais pire : car le professeur Clot, fort estimable au demeurant, commença par parler des RPS.

RPS. Il y a comme ça des sigles qui naissent. Ou du moins certains les utilisent-ils comme s’ils étaient nés de longue date et utilisés de façon évidente.

Les « RPS » : il m’a fallu un temps pour digérer l’info en écoutant les questions à ce sujet. Comment y faire face ? Qu’est-ce que cela apportait de plus, comme charge et objectif, dans nos contrôles en entreprise ?  Pour les aborder de manière prioritaire, quelles méthodes nouvelles devions-nous utiliser ?

À ce stade, je ne savais toujours pas ce qu’étaient les « RPS » bien que surpris par la fréquence avec laquelle ces trois lettres étaient utilisées dans la bouche du professeur. L’animateur, puis les deux psychologues reparlèrent de ces « RPS » préoccupants. La réunion était-elle consacrée aux « RPS » ?

RPS ? Rassemblement des sans papiers ? Révolte des sous prolétaires ?  Revanche sur les patrons ? Réveil des syndicats partout ?  Rage des salariés pas payés ?

Il fallait que je fasse un effort pour décortiquer cette langue de bois. Je demandais à ma voisine, craignant d’être ridicule. RSP ? « Risques Psycho Sociaux ». Voilà comment le syndrome Orange France télécoms se décline dans les services de l’inspection : on fait face aux « RPS ».

C’est la suite des « priorités » données par la DGT (sic, « direction générale du travail ») et le ministre Darcos. Circulaire après circulaire, les consignes sont données : « - Vous devez étudier les RSP dans les entreprises ».

Remarquez, c’est un progrès. Car hier, il n’en était pas question : quiconque parlait des « relations sociales dans les entreprises » (expression antérieurement utilisée) se voyait ignoré, « c’était du roman », on entendait dire que ce n’était pas le boulot de l’inspection et celle-ci était appelée à se concentrer sur d’autres « actions prioritaires » du type amiante, plomb, TMS, (troubles musculo squelettiques) chantiers, EPI, (équipements protection individuelle)…

Ainsi la priorité à l’hygiène-sécurité semble laisser relativement place, dernière mode, aux « RPS ». C’est une bonne chose : car, bien évidemment, les mauvaises relations sociales dans l’entreprise sont la cause de  la hausse des accidents et maladies professionnelles, presque de façon mécanique. Les méthodes de gestion du personnel introduites cette dernière décennie pour accroître la productivité ont des effets en cascade, catastrophiques en matière d’hygiène-sécurité au travail.

Occupons nous donc des « RPS ».  Mais le simple fait de les banaliser, de les isoler, codifier, classifier en trois lettres « RPS » désincarne le phénomène. On sent déjà qu’on a réduit l’affaire à une technique, une pratique isolée de toute racine économique et politique. Comme le « stress » et les « TMS », cela va être mis a toutes les sauces et perdre tout goût. Pourtant au fond, « RPS », c’est le synonyme de « lutte de classes », ce n’est que le produit de la guerre économique menée pour « faire travailler plus »  à moindre coût des millions de salariés. Les « suicides » à France télécoms ne sont que le résultat d’une victoire des actionnaires qui ont réussi à dénoyauter l’entreprise, à supprimer 60 000 postes, à augmenter les profits au maximum, et à acculer des milliers de salariés au désespoir. C’est une situation facile à résumer : des femmes et des hommes se suicident au lieu de se syndiquer  et de créer le rapport de force pour virer leurs patrons, hausser leurs salaires, baisser leurs cadences.

Obligés quand même, par l’ampleur du drame, d’au moins faire semblant de donner une réponse, le ministère oriente donc l’inspection vers le traitement des « RPS ». Les trois lettres, et le ton docte qui va avec, servent à aseptiser l’affaire. À la fois, on va mobiliser toutes les techniques de la psychologie, de la sociologie, de la psychiatrie, de la santé au travail, à la fois on va soigneusement éviter de parler du « fond » : l’intensification de l’exploitation du salariat, la hausse forcenée des marges des actionnaires, la violence des « managers », la destruction des résistances syndicales, l’absence de négociations collectives garantissant les salaires, les contrats, carrières et promotions. Les « RPS » vont être traités individuellement comme le veut le Medef avec tout ce qui touche au travail, et non pas collectivement dans le cadre des rapports de force existants entre les classes sociales.

(Lire bientôt « Nouveaux carnets d’un inspecteur du travail, 320 p,  19,90 euros  Ed. JC Gawsevitch, parution le 30 mars, en librairie le 9 avril)

3 Commentaires

  1. Posted 20 mars 2010 at 13:34 | Permalien

    Ahurissant, mais pas tellement étonnant…nous ne sommes pas si loin de l’idéologie du 3ème Reich…j’ose le dire…mais tout est dans la « douceur » de l’ignominie… à vomir
    Nous attendons « la fronde » après les régionales… avec impatience maintenant.

  2. Tchavolo
    Posted 21 mars 2010 at 21:44 | Permalien

    Toujours la Lingua Tertii Imperii de Klemperer ou, peut-être, sa déclinaison française la Lingua Quintae Respublicae (version Éric Hazan) ! La froide violence des SPA.(sociopathes administratifs) a encore frappé et touché le matériel humain…

  3. Posted 22 mars 2010 at 11:25 | Permalien

    Je partage tout à fait votre analyse, en tant que médecin du travail. Nous (les médecins et les inspecteurs) avons la visibilité en direct d’un champ de guerre dans lequel on ne peut même plus dénombrer les blessés, les ahuris qui ont vu passer la bombe juste à côté d’eux, et quand on arrive, nous à trouver quelque parole, elle ne trouve aucun écho réel. On envoie les inspecteurs sur les RPS (et non les RSP), sans dire que le nombre d’inspecteurs ne permet plus de faire face pour que le droit du travail soit respecté, et que la réforme de médecine du travail qui se profile est une désolation. La déconstruction est en marche, quel avenir pour ceux qui restent?
    Sentinelle
    PS il me semble que vous avez connu le « carnet d’un inspecteur du travail » c’est à partir de ce blog que j’ai construit le mien. Comme quoi, nos initiatives sont parfois des graines mises à germer…!

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