sauvez la médecine du travail : le travail, c’est pas la santé

Certains raillent ce gouvernement ou sa majorité parlementaire. Il vaut mieux  prendre la mesure de son action, d’une constance inouïe. Au détriment des salariés, mais d’abord des ouvriers et des employés.

Le démantèlement de la médecine du travail s’inscrit dans ce programme, prophétiquement annoncé par l’ex vice-président du Medef, Denis Kessler, en octobre 2007, dans Challenge : «Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ». Alors ce gouvernement casse.
Jusqu’à l’absurde.

Avant 2010, nous pensions que les accidentés du travail étaient des victimes. Les victimes d’une guerre économique innommée qui prend l’intérieur des entreprises pour théâtre des opérations. Des victimes de masse : 720 150 accidents avec arrêt par an, 46 436 incapacités permanentes, 700 morts, 4 500 mutilés. Des victimes mal indemnisées qui perçoivent 80 % puis 60 % d’un salaire faible, lié aux métiers d’exécution qu’ils accomplissent. Nous avions tort. Les accidentés du travail étaient des privilégiés. Les députés UMP ont légiféré et soumis
à impôt leurs indemnités jusqu’alors épargnées. Gain : 150 millions d’euros. Quand en 2009, 464 dispositifs d’optimisation fiscale ont donné 70 milliards d’euros aux contribuables les plus riches. Sans compter le bouclier fiscal, les baisses de l’impôt sur la fortune et sur les droits de succession, le prélèvement forfaitaire libératoire sur
les dividendes…Sur un chantier, Christian a eu le bras broyé. Michel s’est fait amputer de deux doigts par sa machine. Sarah ne peut tenir les objectifs assignés, elle est en dépression. Fiscalement, c’étaient des privilégiés !

Le travail – l’intensification du travail, le new management – ce n’est pas la santé. Depuis 1995, les maladies professionnelles ont doublé. Les troubles musculo-squelettiques, les cancers professionnels explosent. Avec la multiplication des postes intenables, les dommages psychologiques ruinent toujours plus de vies (et de familles). Les conditions de travail se dégradent à mesure que s’avive la course aux bénéfices, qui génère en cascade une sous-traitance à bas prix. Résultat : en 2010, les firmes du CAC 40 dégagent 82,5 milliards d’euros de profits (85% de plus qu’en 2009).

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La « crise du travail » n’a pas les mêmes effets pour tous. On dénombre 35 000 maladies professionnelles par an, 10% des cancers sont liés au travail, près de 400 suicides.  Mais en 2002,  un rapport  officiel  jugeait  les maladies professionnelles sous-évaluées de 70%. Ce sont des chiffres ? Non, ce sont des vies. Des vies de douleurs, d’angoisses, recluses souvent. Des vies où se soigner devient mission impossible. Des vies où « joindre les deux bouts » c’est « rogner sur tout ». La France est championne d’Europe (eu égard aux pays fondateurs) des inégalités de santé au travail. Un ouvrier non qualifié a trois fois plus de risque de mourir d’un cancer, d’une maladie cardiovasculaire ou de mort violente qu’un cadre supérieur. Un tiers des maladies touchant les ouvriers sont liés à leur métier contre 10% chez les cadres.

S’imposait d’accroître le nombre, les marges d’action, l’indépendance, des médecins du travail et des inspecteurs du travail. Mais depuis plus de vingt ans est organisée la pénurie des médecins du travail. Ils sont 6500 pour « gérer » 16,5 millions de salariés du privé. Avec 600 postes vacants. En 2009, un médecin du travail sur deux avait plus de 55 ans, D’ici 5 ans, plus de 4000 seront en retraite ; près de 5600 dans 10 ans. Un médecin du travail dans un service interentreprise suit en moyenne 3050 salariés ! Dans 5 ans, 70% de ces services dépasseront 3300 salariés par médecin. Une charge de travail qui espace les visites « normales » au minimum tous les trois ans et qui rend impossible la surveillance médicale personnalisée. Alors que l’actualité apprend que dans des organisations du travail  en perpétuelles restructurations (à France Telecom, Renault, La Poste, EDF, Gaz de France, la grande distribution, etc…), seules des visites fort rapprochées aident à dépister et alerter, sur les effets pathogènes des mobilités forcées ; des harcèlements liés aux contrôles accrus ; des postes différents à intégrer, parfois empilés (tenir la caisse, ranger la réserve, gérer les stocks, servir et conseiller les clients, dans les commerces de grande distribution, notamment). Cette année, 500 médecins du travail partent à la retraite, seulement 100 postes sont ouverts à l’internat. La proposition de loi n°106 sur la médecine du travail adoptée par la majorité sénatoriale, le 27 janvier, ne préconise pas de relever le numerus clausus réservé à la spécialité en faculté. Elle reprend le « cavalier parlementaire » sur la médecine du travail introduite par les députés UMP dans la loi sur les retraites et jugé irrecevable par le conseil constitutionnel.

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Ce texte va transformer la médecine du travail en médecine d’entreprise au service des employeurs. Il met en place un Service de santé au travail interentreprise (SSTIE) administré paritairement, qui fixera à tous les intervenants de santé, donc aux médecins (à l’indépendance par là réduite), des « contrats d’objectifs ». Mais quelles seront les
marges de définition des « contrats d’objectifs » pour un président de SSTIE, même d’origine syndicale, contraint d’appliquer la politique définie par l’Assemblée Générale des employeurs adhérents au SSTIE, et dans la limite de l’enveloppe budgétaire déterminée par cette Assemblée ? Car selon les articles L. 4622-1 et L.4622-5 de la loi, non modifiés par le Sénat, ce sont toujours les employeurs et eux seuls, qui sont chargés d’organiser les Services de Santé au Travail. Ils se regroupent en associations et créent des Services Interentreprises de Santé au Travail (SIST), dont les employeurs adhérents et non leurs salariés, fixent l’objet et les moyens. Il en existe près de 300, chargés du suivi de 93 % des salariés du privé.

La santé au travail  est donc confiée à des associations d’employeurs dont l’assemblée générale est la vraie instance décisionnelle. Comme l’indiquait la rapporteur de la proposition de loi au Sénat : « celui qui paie décide ». Les
employeurs deviennent juges et parties de la santé au travail. Autant demander à un automobiliste de se flasher lui-même en excès de vitesse. Les employeurs sont ceux qui créent les risques au travail, ils doivent le payer, mais sans contrôler ni décider des modalités de sa prévention et de sa réparation. Hier, dans les SSTIE, concernant le suivi de 14 millions de salariés en PME-PMI, les médecins étaient moins liés aux employeurs que dans les grandes entreprises. Ils fournissaient plus aisément aux salariés des justificatifs et certificats d’incapacité de travail, d’accident et de maladie professionnelle, permettant des recours. Autant l’avouer : c’est précisément ce que la loi veut restreindre et ouvrir davantage le secteur au privé comme en Belgique.
Les employeurs deviennent juges et parties de la santé au travail mais le Sénat leur donne moyen de se déresponsabiliser. Selon l’article L.4644, ils pourront choisir des « salariés compétents » (après quelle fast formation?) pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels dans l’entreprise. Qui portera le chapeau en cas de drames ? Qui est responsable d’une organisation du travail non-pathogène : l’employeur ou ses salariés ?

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La proposition de loi, sous couvert de pluridisciplinarité, multiplie d’autre part les « Intervenants en prévention des risques de santé » (infirmiers, internes, ergonomes, toxicologues). Mais quelles seront leurs libertés d’intervention pour se prononcer sur les risques et nuisances du travail sans disposer (à l’inverse des médecins du travail) d’un statut de salarié protégé, qui seul permet de résister aux pressions patronales ? Enfin, avec le nouvel article L.4622-2 du Code du travail, le médecin sera chargé de surveiller la santé des salariés, de participer à la veille sanitaire dans l’entreprise mais s’ajoute une nouvelle mission : aider l’employeur dans la gestion des risques. S’installe ainsi une « confusion des genres » qui déplace le rôle des médecins vers la co-gestion des entreprises, la co-gestion de l’employabilité, le conseil en management. Comment dans ce cadre, les salariés feront-ils confiance au praticien, pour lui exposer sans fard ce qu’ils subissent sur leur poste ? « Ne parlez pas d’acquis. En face, le patronat ne désarme jamais », disait Ambroise Croizat, le ministre du travail qui en 1946 installa la médecine du travail. Fils d’ou-
vrier, à l’usine dès l’âge de 13 ans, il avait été ajusteur. Les députés vont examiner le texte du Sénat. Il faut sauver la médecine du travail.
Là, on la démolit.

Eric Beynel, secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires
Martine Billard, députée, co-présidente du Parti de Gauche
Alain Carré, vice-président du SMTIEG-CGT
Odile Chapuis, médecin du travail
Sandra Demarcq, comité exécutif du NPA
Gérard Filoche, inspecteur du travail
Yusuf Ghanty, médecin du travail
Dominique Huez, président de l’association Santé et Médecine du Travail
Willy Pelletier, coordinateur général de la Fondation Copernic

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PROPOSITIONS
• Libérer la médecine du travail de sa subordination aux employeurs en instituant un établissement public indépendant chargé de la santé au travail
• Tripler le nombre de médecins du travail
• Imposer à l’employeur l’avis du médecin du travail sur le poste dans l’intérêt de la santé du travailleur sauf à motiver par écrit un éventuel refus et saisir l’inspection du travail
• Interdire les organisations de travail pathogènes par voie législative. L’Etat garantit constitutionnellement la protection de la santé au travail

8 Commentaires

  1. Posted 28 mars 2011 at 16:34 | Permalien

    Quand je lis la justesse de votre argumentation , j’m'dis qu’on devrait d’abord voter pour qui on veut comme ministre , et non pas pour qui on veut comme président .

    Puissiez vous, un jour, être ministre du travail .

  2. LeJeune
    Posted 28 mars 2011 at 22:18 | Permalien

    Intuitivement je me doute qu’il y a sous évaluation des accidents et maladies du travail. Quand un professeur de médecine vous dit vous avez ce cancer il est sans doute dû à votre activité professionnelle mais il vous sera pratiquement impossible de le prouver…
    70% de sous évaluation c’est beaucoup et cela ne va faire qu’empirer… Comme quoi le principe de précaution ne s’applique partout ni tout le temps. En matière de médecine du travail les décideurs devraient être les vrais payeurs c’est à dire ceux qui y laissent leur santé!

  3. Lejeunec
    Posted 29 mars 2011 at 22:07 | Permalien

    Effectivement, le travail ça fatigue, c’est dingue non? vraie grande découverte ma foi … ah quelle serait belle la vie, derrière un bureau, 8h/16h jusqu’à la retraite pénard après un bon petit job pénard … on en serait encore à la pierre taillée hélas …

  4. Posted 30 mars 2011 at 9:12 | Permalien

    LEJEUNEC =TOTOR = BEBERT

    En somme , n’assume pas .
    Manque de courage ou syndrôme de la cour de récré ? .
    Le goût du harcèlement peut démarrer très jeune .
    A son âge , pourtant …

    http://www.inrs.fr/inrs-pub/inrs01.nsf/IntranetObject-accesParReference/INRS-FR/$FILE/fset.html

  5. Anonyme
    Posted 30 mars 2011 at 15:45 | Permalien

    Bien peu de patrons bien peu de banquiers sont victimes d’accident du travail et le travail pénard est bien souvent d’abord pour eux.
    @lejeuneC.. devrait relire les propositions faites en fin de billet par G.FILOCHE et pour lui je les reprends ici:
    => Libérer la médecine du travail de sa subordination aux employeurs en instituant un établissement public indépendant chargé de la santé au travail
    => Tripler le nombre de médecins du travail
    => Imposer à l’employeur l’avis du médecin du travail sur le poste dans l’intérêt de la santé du travailleur sauf à motiver par écrit un éventuel refus et saisir l’inspection du travail
    => Interdire les organisations de travail pathogènes par voie législative. L’Etat garantit constitutionnellement la protection de la santé au travail.
    Pour ma part j’y souscrit pleinement car elles permettraient d’éviter que tant de travailleurs productifs et utiles à la société soient abimés souvent à leur insu (comme dans le nucléaire par exemple).

  6. coconut
    Posted 1 avril 2011 at 23:00 | Permalien

    dans ce pays on pleure quand on pas de travail, on pleure quand on a du travail … assistés dans l’âme, hors le RSA pas de salut … c’est une honte ! en 45 on s’est retroussé les manches, si on s’était contenté de pleurer pour des allocations on en serait où ???

    il faut supprimer TOUTEs les allcations ! tout pour les travailleurs rien pour ceux qui se cntente d’attendre la fin du mois en ragardant la télé

  7. loic
    Posted 4 avril 2011 at 8:29 | Permalien

    @coconut : Et que fais tu des travailleurs pauvres ? Tu sais, cette nouvelle catégorie de gens qui travaillent 50h par semaine et qui ont pour seul toit leur voiture ou un squat ?
    L’exploitation patronale n’a plus de limite et pour certains travailler dur ne suffit pas…

  8. Arriba
    Posted 9 avril 2011 at 20:04 | Permalien

    s’ils travaillaient plus ils gagneraient plus!
    s’ils avaient bossé à l’école plutot que de se taper de la play station à longueur de journée ils auraient un job à 3 ou 4 fois le smic comme tout le monde

    maintenant c’est à nous de payer leur rsa et leur cmu ! c’est la meilleure!

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  1. [...] aurait pu être en mesure de travailler sur ce sujet est hélas (pas de bol, hein…) en voie de démantèlement : la médecine du travail. Le gouvernement ayant décidé de confier ses missions à des [...]

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