Apprenti commis cuisine

Au boulot n°44

Reportage l’autre jour au journal télévisé sur la formation des jeunes commis cuisine. Des patrons s’y plaignaient de ne pas trouver assez de jeunes vocations, il y aurait 20 000 emplois vacants en dépit de l’apprentissage.

Souvenir de permanence de l’inspection du travail : un ouvrier du bâtiment, d’origine algérienne, était venu avec son fils. Agé et usé, le visage buriné par le travail de manoeuvre qui avait été le sien au moins quarante années durant, il regardait autour de lui, comme s’il était en un lieu où il ne devait pas être. Il avait mis sa plus belle veste. Ses mains tremblaient. Il semblait ne pas oser dire la raison pour laquelle il accompagnait son fils. Comme si c’était incongru. L’enfant, Ahmed, était frêle et beau, juste à l’âge où il hésitait entre baisser le nez devant l’autorité paternelle et celui où il se redressait comme un jeune homme fier. Lui aussi avait mis une belle chemise, blanche, et semblait embarrassé.

Prenant leur courage d’un même souffle, l’enfant et le père, sans se regarder, parlèrent en même temps avec les mêmes mots  : « – Il le bat » « – Il me bat ». L’enfant était apprenti, commis cuisine, dans un restaurant du IIIe arrondissement. Le gamin, quinze ans et juste un mois, était obligé par son patron de rentrer tard, parce que le patron ne le lâchait pas avant 1 h du matin parfois 2 h. « – J’ai peur pour lui quand il rentre entre 2 h et 3 h du matin, vous savez, monsieur l’Inspecteur, on habite en banlieue, à Aubervilliers, le patron ne lui donne rien pour prendre un taxi, il y a le bus de nuit, mais il est rare, il est long, Ahmed, il faut qu’il marche beaucoup, parfois, il arrive à trois heures et demie, quatre heures, moi, j’ai peur. Vous voyez, c’est pas bon, un gamin, tout juste 15 ans, qui rentre à quatre heures du matin à la maison. »  Et le patron le battait, ça faisait la deuxième fois, la première parce qu’il avait fait tomber deux assiettes, la seconde parce qu’il avait renversé un plat chaud. Des gifles.

« – Ahmed, il l’a dit à son centre d’apprentissage, mais ils n’ont pas écouté. Je crois qu’ils ne le croient pas monsieur l’Inspecteur. J’ai appelé, mais je m’exprime pas bien, il faudrait faire une lettre, mais je ne sais pas bien non plus. Moi, son père, je n’ai jamais, jamais levé la main sur lui, c’est un bon garçon, vous savez… »

De quoi vomir les politiciens qui ont cru faire leur notoriété auprès du patronat en rajeunissant l’âge auquel des mômes pouvaient être livrés à pareille exploitation. Ceux qui ont restauré le travail à 14 ans au lieu de 16 ans. Et même le travail du dimanche et de nuit à partir de 15 ans. Deux jeunes sur trois ne finissent jamais leur apprentissage, pas difficile de comprendre pourquoi, la mentalité de leurs tuteurs, le plus souvent, c’est : « – J’en ai bavé quand j’étais jeune, tu dois en baver aussi. »

Au lieu de jouer aux Thénardier du XXIe siècle, il y a bien des restaurateurs qui, s’ils les payaient bien, respectaient leurs droits tout en les formant, trouveraient tout de suite 20 000 jeunes qui auraient envie de travailler chez eux.

Gérard Filoche

2 Commentaires

  1. GENEVOIS
    Posted 9 septembre 2013 at 21:25 | Permalien

    Bravo pour ce que vous faites pour les « petites gens » qui ont tant besoin qu’on les protège et qu’on les défende contre l’arbitraire des puissants de ce monde qui ne changent guère à travers les époques<;;;

    mais comment pouvez-vous encore être "socialiste". Je pense que vous en êtes un vrai contrairement à certains de ceux qui nous gouvernent et s'abritent derrière ce vocable pour continuer la même politique d'oppression du peuple.

    Est-ce que cette mascarade va finir un jour ?
    J'aimerais tant voir cela. Je ne vois que continuation du système antérieur qui privilégie les nantis…

  2. Posted 8 septembre 2016 at 22:05 | Permalien

    bon article

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