Retrouvez la chronique dans l’Humanité dimanche « au boulot » n°87 : mort au fournil

L’homme avait cinquante-sept ans. On n’est « pas fichu à 57 ans ». Trop facile de dire qu’il était « gros » ou qu’il « fumait » et se laissait aller au détriment de sa santé. À faire le cuistot 14 h par jour depuis 14 ans au fond d‘une pizzeria du IVe arrondissement de Paris, pour un salaire de misère, il est difficile d’entretenir sa forme. On n’a pas le temps d’aller faire du sport sur les « green », on mange, on boit, on fume comme on peut, pour tenir le coup. La chaleur du four est permanente, les postures de travail sont usantes, ça manque d’aération, d’espace. Le seul « horizon » est celui du guichet où l’on pose les plats et en se tordant le cou on peut voir un peu de la salle du restaurant. Il y a des coups de feu stressants quand tous les clients arrivent en même temps, puis des temps d’attente où l’on ne se repose même pas.
Alors quand René a eu une barre qui lui a fait mal à la poitrine, il n’y a d’abord pas prêté attention. C’est parce que la douleur augmentait qu’il a fini par s’inquiéter. Il a attendu évidemment que le gros du repas du midi soit passé, pour téléphoner, essayer de prendre rendez-vous, mais comme vous le savez, il y a de moins en moins de disponibilité chez les docteurs. Ne parlons pas du médecin du travail, il n’en connaissait pas. Le généraliste qui l’a reçu lui a dit de ne plus fumer, de moins manger, de se reposer : ça lui a fait une belle jambe à René. Il lui a été conseillé de prendre rendez-vous à l’hôpital, ce qui s’est révélé encore plus difficile. Finalement comme sa douleur au poumon ne passait pas, il est allé aux urgences, et on lui a fait une radio puis un scanner, ça a pris cinq heures, tout ça. Mais il en est sorti rassuré, René.
Il est revenu à la pizzeria, tout fier en montrant ses clichés : « - Je leur ai dit, j’ai mal, là, au poumon, ils ont regardé, et je n’ai rien, je n’ai rien ». Il ne s’est pas reposé, René. Pas eu le temps. Le patron trouvait déjà que son absence avait trop duré. Et ce soir-là, il y avait une énorme clientèle. Les pizzas, les pâtes partaient, le chiffre d’affaires explosait. Son cœur aussi a explosé, car c’était son cœur et pas ses poumons qui étaient en cause. À l’hôpital, ils n’avaient pas cherché au-delà. Pas le temps. Pas le personnel. Son travail de cuistot l’avait donc repris. À un rythme accéléré. Il s’est effondré tard le soir, d’un infarctus massif,  au milieu de la cuisine, des farines, des jambons, des ustensiles entraînés dans sa chute, alors qu’il se débattait encore contre la mort.
Après le départ des pompiers qui ont enlevé le corps, le patron n’a pas eu l’idée de déclarer un accident du travail. Bah, non il était cardiaque et ça ne se savait pas, c’est tout. Quel lien avec les durées et les conditions de travail ?
Il n’existe pas d’étude sérieuse, de dépistage, de prévention, sur les rapports entre les AVC et le travail. 150 000 crises cardiaques par an et 100 000 accidents vasculaires : entre un tiers et la moitié sont liés au boulot. Au « vrai » travail.

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