Le Premier ministre Manuel Valls s’est lancé dans une série de nouvelles opérations d’envergure contre le droit du travail afin de « baisser le cout du travail ». Il présente cela en accusant le code du travail « d’être trop complexe parfois même illisible » et il propose de remplacer les lois par des contrats, « élargir la place de l’accord collectif par rapport au code du travail ». Il n’en restera plus qu’un socle commun minimum, le reste se réduisant à des recommandations, et le tout se fondant « au plus près des besoins » par des « accords » entreprise par entreprise. Cela devrait être soumis au vote avant l’été 2016
Manuel Valls a donc demandé à Jean-Denis Combrexelle (qui avait déjà passé par ordonnance, à l’acide, le code du travail, sous la droite, le réduisant sous prétexte de simplification, pour le compte du Medef, entre 2004 à 2008) un rapport de 44 mesures pour mettre fin à l’ordre public social, à l’état de droit dans les entreprises, et le remplacer par des « contrats » multiples et aléatoires, au niveau des entreprises ou de « gré à gré » entre les patrons et leurs salariés.
Manuel Valls a aussi demandé au DRH d’Orange, Bruno Metting de théoriser en 36 « préconisations » la fin des droits essentiels du travail (salaire et horaire), d’inventer, sous prétexte de « révolution numérique » des « entreprises étendues » avec très peu de salariés et beaucoup « d’indépendants » à la tâche, à la mission, au chantier.
Manuel Valls annonce maintenant pour le 1er janvier 2017 ce qui devrait être, selon lui, “la grande réforme sociale du quinquennat » : un “compte personnel d’activités” sous forme d’une carte à puce ad vitae qui regrouperait divers « comptes » individualisés acquis tout au long de la vie professionnelle. Compte personnel de formation, compte pénibilité, compte épargne temps, compte chômage rechargeable, compte jours enfants malades, compte congés parentaux, compte portage d’assurances complémentaires. Etc.
Près de 14 ou 18 comptes sont imaginés et énumérés, bien qu’ils soient aussi imprécis dans leur définition, les uns que les autres : un « droit à l’accompagnement », un droit au bilan professionnel, un droit à l’obtention de « briques de compétence », un droit à un « bouquet de services » sur mesure et individualisé, un droit à une « deuxième chance »
“L’idée de ce nouveau « compte personnel d’activité » – selon ses services de presse - le « CPA », (il va falloir s’habituer à cet acronyme), c’est de pouvoir mettre tout ça dans un seul compte, qui suivrait le salarié du début à la fin de sa carrière. Même s’il change plusieurs fois d’employeur. Même s’il passe du privé au public ou inversement. Et il est même question de pouvoir convertir des points d’un compte à un autre. Par exemple transformer des heures de compte épargne temps en heures de formation.”
Mais pour l’heure, ça tangue sec : le CPA recensera essentiellement les droits déjà existants des salariés, selon Pierre Gattaz qui a bien précisé que cette » nouvelle conquête sociale » devra être « mieux de droits, pas plus et évidemment et surtout pas plus de financement »
Cela nous est présenté comme la « sécurité sociale professionnelle » :
Mais bien sur cela n’a rien à voir : la « sécurité sociale professionnelle » implique de mieux garantir les emplois, de contrôler les licenciements pour qu’ils soient motivés, de garantir le revenu en cas de chômage, et de permettre une formation de qualité qui permette de retrouver un emploi en progressant en qualification et en salaire. Travailler mieux, tous, moins, en gagnant plus et avec davantage de sécurité d’emploi. Sachant qu’aujourd’hui, 85 % des contrats sont en CDI et que la durée de ceux ci s’est allongée de 20 % en 20 ans et sachant que les salariés qui produisent le plus sont les salariés les mieux formés, les mieux traités les mieux payés, et non les flexibles, ni les précaires. La sécurité sociale professionnelle doit donner une sécurité de l’emploi à vie à tous, assurer les carrières et les compétences, garantir le temps libre et le bien être, et non pas fragiliser emplois, salaires et durées du travail.
Pourtant lorsque Manuel Valls propose un « nouveau CDI de transition et d’évolution professionnelle » et une « carte à puce ad vitae » on devine le contraire !
Le problème à ce qu’on peut en comprendre, c’est que dans ce nouvel et étrange CDI, il n’y a ni « sécurité » » ni « social », ni « professionnel ». Cela se présente au contraire, comme une sorte de filet de rattrapage à la flexibilité permanente qui deviendrait la vie des salariés. Il n’est fait mention d’aucun « droit » ni précis, ni contrôlé, ni sanctionné.
Alors à quoi sert donc cette étrange « carte ad vitae » qui retracerait toutes les étapes du parcours professionnel de chaque actif et ses droits à formation » ? (Rappelons qu’il s’agit de 150 heures sur toute la vie, moins d’un mois de formation)
« Ce sera l’équivalent inversé de la carte vitale car, à la différence de la carte vitale qui s’affiche pour le professionnel de santé, les informations et non pour l’usager, il s’agit ici de rendre lisibles pour l’usager les informations capitalisées sur son parcours ses formations ses expériences, ses compétences et ses qualifications ». (Rapport de Pascale Gérard, Secrétaire nationale du parti socialiste à la formation professionnelle) (La loi Macron prévoit aussi comme par hasard une « carte professionnelle » selon une autre directive européenne, pour « lutter contre le travail dissimulé dans le bâtiment »)
Mais qui va user, contrôler ce « compte personnel d’activités » ? Pas l’inspection du travail vu ses faibles moyens et pas la gendarmerie, donc seul le patron.
Sera-ce la carte du chemineau européen « détaché » ? Une nouvelle variante du « livret ouvrier » (qui a existé jusqu’à ce que les luttes ouvrières finissent par imposer à Napoléon III de le supprimer en 1856) ?
Les patrons non seulement exigent de licencier sans motif (le Medef veut dénoncer la convention 158 de l’OIT) mais ils exigent de « trier à l’embauche » (périodes d’essai allongées, multiplication de CDD, d’intérims avant embauche) : qui les empêchera de demander la « carte ad vitae » en préalable à tout contrat…
En fait la carte est là pour combler les « trous » d’un travail précaire à l’autre…
Et comme le nouveau « contrat de transition et d’évolution professionnelle » s’accompagne d’une facilitation des licenciements comme l’ont déjà développé les lois Sapin et Macron, on devine le système qui se met en place : une valse d’emplois à droits et salaires variables, limités à la mission, au chantier, à la tâche, avec une ceinture de sécurité compassionnelle de l’état pour les « trous » d’emplois, sous forme de « comptes » alimentés tout au long de la vie, inscrits et limités sur la carte à puce.
On sera ainsi parvenus au bout du contrat individualisé, la fin des droits collectifs, les droits « personnels » seront surement payés par l’impôt après que les cotisations sociales auront été selon le rêve du Medef « fusionnées » absorbées, puis supprimées.
La destruction progressive du code et des conventions collectives :
Derrière tout cela il y a la cohérence du Medef depuis la loi Fillon du 4 mai 2004, le renversement de la hiérarchie des sources de droit, la « recodification » de 2004-2008, les lois Bertrand (rupture conventionnelle individuelle… sans motif) l’ANI Medef du 11 janvier 2013, la facilitation des licenciements Sapin-Macron, la diminution des informations des IRP et des IRP elles mêmes, (exemple : Sapin, puis Rebsamen ont diminué drastiquement les informations des IRP sous prétexte que c’était « trop compliqué » pour les patrons, et voilà que Valls invente une carte à puce sophistiquée pour les informations « personnelles » ? incroyable, non ? ), la suprématie du contrat sur la loi, du contrat d’entreprise sur le contrat de branche, jusqu’à la « personnalisation » finale du contrat de gré à gré, son individualisation, tout cela induit après la remise en cause de l’article 2064 du code civil et du 8 février 1995 dans la loi Macron ouvrant à des « contrats civils » ?
La bataille idéologique concomitante de la droite et de Gattaz contre le code du travail est liée à l’encouragement à des « auto entrepreneurs » sous traitants bidons ? Le rapport Bruno Mettling commandé et vanté par Manuel Valls prévoit des entreprises « étendues » avec peu de salariés et une nébuleuse d’indépendants autour. Attali le mentor de Macron prévoit « une société ubérisée ». Il explique que « seule l’élite sera salariée ». Macron prévoit une « société sans statuts, société non statutaire ». Leurs plans sont limpides.
Nathalie Kosciusko Morizet, résume tout ça en une seule phrase : « Le débat sur les 39 h est un débat de 2002, le sujet aujourd’hui c’est le travail indépendant ». Elle vous lâche le morceau : les nouveaux idéologues de la droite font campagne non plus seulement contre les droits du salariat, mais contre le salariat lui même et ils l’écrivent tous les jours dans Les Echos, le Figaro. L’Opinion titre régulièrement sur « la fin du salariat ». Et la synthèse se dessine : vous n’aurez plus un contrat de travail mais une carte a puce ad vitae !
La fin du salariat ?
Dans un film, Queimada (de Gilles Ponte Corvo), une révolte d’esclaves menace les grands propriétaires terriens. Ceux ci les massacrent à coups de fusils. Mais un propriétaire avisé, Marlon Brandon, leur suggère « Libérez vos esclaves ! Ils vous coutent cher, vous êtes obligés de les entretenir, eux leurs familles, leurs vieillards, de la naissance à la mort, ils sont à votre charge, libérez les, faites-en des salariés, vous ne les paierez que lorsque vous aurez besoin d’eux, ça vous coutera moins cher, vous n’aurez plus de charges ». L’immédiat après esclavage pour le salariat fut terrible, droits collectifs interdits et réprimés, des journées de 17 h, et pas droits, de protection pour la vie hors travail – hormis la compassion des hospices où on leur « comptait » les plats.
Il a fallu un siècle et demi de combats pour obtenir un code d’un travail, des conventions collectives, le paiement de cotisations sociales par l’employeur, un salaire net pour le travail productif et un salaire brut pour reproduire la force de travail. En même temps on gagnait des garanties de non-discrimination à l’embauche et des garanties contre l’arbitraire au licenciement : ca aussi ils veulent l’enlever, c’est pas prévu, pas plus que le décompte des heures supplémentaires ni les RTT dans la carte à puce. Et aussi des institutions représentatives du personnel : il n’en est même plus question, la “carte ad vitae a puce” remplacera vos délégués… Elle deviendra tellement importante qu’ils prévoient de vous la remettre solennellement à 16 ans au cours d’une cérémonie à l’école.
Maintenant et depuis longtemps le Medef ne veut plus du salaire brut. Il attaque chaque cotisation, les gèle (retraites, maladie, logement), les fait supprimer (allocations familiales) les rognent (handicapés, formation) les manipulent (accident du travail) les conteste ( cotisations chômage). Ils veulent revenir aux débuts du salariat : et certains oeuvrent à détacher les cotisations sociales du travail pour leur complaire. Ils ne veulent plus de code du travail Gattaz a déclaré « qu’il était l’ennemi n°1 des patrons » ! Il tentent d’organiser le retour au XIX° siècle sous prétexte de modernité : avec des loueurs de bras, des journaliers sans droit ni loi ni horaires ni salaires. Contrat zéro heure. Travail au sifflet. Des VTC partout : les pilotes de Ryan air sont auto-entrepreneurs et c’est un rêve de De Juniac ! L’horreur économique présentée comme la modernité.
Mais en conclusion disons-le : cela ne se fera pas.
L’usine à gaz des “comptes personnels” est déjà en difficulté avec le fameux compte “pénibilité”, la retraite par points de pénibilité ? Le « compte » pénibilité individualisé ? Quelle rotule, quel coude, quel poignet, quel TMS ? Quel degré de surdité ? Quel début de cancer figurera tôt ou tard sur la carte ad vitae ? C’est déjà quasi intolérable : étiqueter et payer l’individu pour ce qu’il souffre au lieu de lutter contre la souffrance pose question. Mais même ça le patronat ne veut pas. Au début il était prévu « 12 causes de pénibilités » c’est tombé à 8 causes, puis à 4 causes, et maintenant à 3 causes reconnues, les autres ont été écartées !
Mais pour illustrer avec un exemple : chez les éboueurs, l’espérance de vie moyenne est de 58 ans tellement il y a de cancers. Leur droit COLLECTIF à retraite était à 50 ans. Ce n’était pas un « régime spécial » c’était un DROIT COLLECTIF pour celui qui mourait à 55 ans ou à 95 ans. Là, avec des points pénibilité individuels, il faut trier chaque humain individuellement selon le degré avancé de la mauvaise santé ? Tout cela est impraticable et explosif, le patronat lui même s’en est aperçu et refuse de “compter les points”. Il en reviendra forcément à des droits collectifs et à des « intermédiaires » : les syndicats, les IRP, les médecins du travail, les inspecteurs du travail.
Si le patronat rêve de remplacer le salariat par des auto-entrepreneurs avec cartes ad vitae, ça ne marchera pas.
Même en Californie Uber a perdu, et Mac Donald se voit obliger de traiter ses franchisés comme dans la maison mère. Le National Board of Labour, à Washington a confirmé. Voila que la modernité est californienne et la réaction est macronienne. Ce qui va triompher ce sera de reconnaître les sous-traitants dans les mêmes conventions collectives que leurs donneurs d’ordre. Pas une société « macronisée ».
A Paris, les chauffeurs de chez Uber viennent de se battre ensemble, ils ont, occupé les locaux d’ Uber et se syndiquent, ils cherchent même à prendre en main en autogestion, leurs « applications ». Entre Bernard Cazeneuve qui a fermement déclare “Uber illégal” en juin 2015 et Emmanuel Macron qui promeut depuis ses déclarations de décembre 2014 (lors de la conférence LeWeb, ou il est questionné par Loïc Le Meur et Grainne Mac Carthy) une “société ubérisée “, une « société non statutaire », c’est Macron qui perdra.
Ce qui va triompher, ce qui est moderne, et nous allons y aider, en refusant cette « carte a puce ad vitae », ça va être de renforcer les droits collectifs pas de les individualiser, d’obtenir des garanties indexées sur nos travail et nos salaires, pas de les diluer dans des comptes aléatoires. Nous allons mener campagne « pour que vive le code du travail ! »
Les VTC seront reconnus salariés contre Uber. Les pilotes de Ryan air ne seront plus forcés de s’humilier à se déclarer auto-entrepreneurs. Le donneur d’ordre sera responsable de ce qui se passe sous ses ordres. Les sous-traitants seront alignés sur la convention collective du donneur d’ordre. Les « franchisés » seront intégrés dans l’ “unité économique et sociale”. De Juniac ne réussira pas à imposer une carte à puce individuelle aux pilotes d’Air France, ils garderont des horaires collectifs.
Le salariat est trop puissant.
Il fait 93 % des actifs. Les « indépendants » rêvés par Kosciusko Mörike ne sont pas l’avenir, ils sont le passé. Le capitalisme développe le salariat. Les « offensives » idéologiques actuelles sur la destruction de celui-ci ne sont pas étayées. De 1945 à aujourd’hui les « indépendants » sont passés de 45 % à 7 %, leur RSI ne fonctionne plus et devrait rentrer dans la Sécu, pas l’inverse ! Le salariat est passé de 45 % a 93 % et c’est une tendance mondiale ! L’OIT dit qu’il y a un milliard de salariés de plus dans les derniers décennies : le travail informel recule partout.
Des petits malins Uber ou Blablacar essaient quand même au passage, in extremis, de piquer des milliards « au bluff » sur ce qui existe encore de travail humain non marchand, d’échanges, de partages traditionnels, auto stop, co-voiturage, échanges d’appartements, ou repas cuisinés, profitant de la générosité humaine pour la taxer au passage de façon privatisée. Mais ce n’est pas l’avenir non plus. Le numérique devra et sera mis au service des humains et du contrôle facilité et renforcé des durées du travail et des salaires correspondants.
Gérard Filoche
Lire :
Rapport « le compte personnel d’activité » pierre angulaire de la sécurité sociale professionnelle » de Pascale Gérard (secrétaire nationale à la formation professionnelle du Parti socialiste).
« Uber la prédation en bande organisée » de Laurent Lasne – Editions le tiers livre
« Ubérisation = économie déchirée » de Bruno Teboul et Thierry Picard – Editions Kawa
Cf : débat avec Bruno Teboul, Laurence Parisot, in « flashstalk » France O et LCP
2 Commentaires
Encore une vallsoperie préparée par ce gouvernement avec le consentement des députes élus en 2012 par la gauche.
Dans ces conditions, le pacte de fraternité de Cambadélis ne doit faire que flop, d’ailleurs pourquoi chercher le soutien dans les urnes de ceux qu’ils qualifient de voyous dans les entreprises ?
Qu’ils aillent se faire embaucher au Medef chez leurs amis de classe et laissent les ouvriers dormir en famille.
Leur chantage au front national ne sera plus suffisant, il faut maintenant sortir ces maîtres chanteurs du terrain politique de la gauche.
« Ras le bol »
Unité à gauche sur un programme social.
Pour pouvoir essayer de gagner à gauche, il faut que chacun soit reconnu à la place qu’il occupe, sinon « y a un loup ».
Il faut du travail vivant et non marchand. Je suis entièrement d’accord avec vous. Cependant, même si vous n’en parlez jamais, la vraie radicalité, ce serait enfin de prendre en compte nos milieux! Car, on peut défendre le salariat, le code du travail, mais quand on produit de la merde, on produit de la merde!
Notre société basée sur la production inutile, superflue, ne peut continuer!
Tôt ou tard, ce ne seront pas des politiques, des industriels, ou autres qui feront capoter le système, mais le saccage irréversible de notre planète.
Qu’on le veuille ou non, nous devrons collectivement revoir notre mode de vie et aller à l’essentiel! Avoir pléthore d’objets inutiles, gadgets électroniques, amène-t-il plus de bonheur? NON!!!