« Le Courrier Picard » : Gérard Filoche : réponses aux questions d’actualité

Publié le 04/12/2015

Propos recueillis par DENIS DESBLEDS

Gérard Filoche, ancien dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire, inspecteur du travail à la retraite, membre du bureau national du Parti socialiste, participe, mercredi 9 décembre, à 18 h 30, au Repaire d’Abbeville. Gérard Filoche est un farouche opposant à la politique menée par le Premier ministre Manuel Valls et le président Hollande, et réclame la démission d’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie. Son adhésion au Parti socialiste, les élections régionales, l’état d’urgence, la ferme des Mille vaches, le droit du travail : il confie ses convictions au Courrier picard.

 Gérard Filoche, lors d’une de ses interventions télévisées, à propos de la défense du Code du Travail.

Gérard Filoche, vous avez été dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire. Avez-vous adhéré au PS par entrisme, c’est-à-dire la volonté de changer ce parti de l’intérieur pour qu’il soit plus à gauche ?

Je ne suis pas entré au PS par entrisme, mais pour l’efficacité. Cela fait 53 ans que je suis syndiqué à la CGT. J’ai toujours défendu l’augmentation des salaires, le droit du travail, la retraite à 60 ans, une sécurité sociale pour tous, et des conditions de démocratie sociale qui permettent que, dans les entreprises, ceux qui produisent les richesses soient respectés et reçoivent la part qu’ils méritent. C’est ça qui m’a motivé toute ma vie, et qui me motive au sein du Parti socialiste. J’y suis entré parce que, finalement, c’était son programme, à l’époque. Je pensais que ce serait le meilleur endroit pour défendre, après beaucoup d’autres expériences, ce à quoi je crois.

Aujourd’hui, pensez-vous que c’est toujours le meilleur endroit ?

C’est même l’endroit privilégié, c’est là où toutes les questions se jouent, se débattent et se tranchent. Selon la façon dont le débat au sein du PS évoluera, la gauche évoluera ou pas. Imaginez que Manuel Valls réussisse à écraser ce qu’il y a de socialiste dans mon parti, vous aurez un désastre comme dans la gauche italienne. Imaginez que je gagne, et vous aurez la possibilité de sauver le Parti socialiste comme Jérémy Corbyn est en train de sauver le Labour party (NDLR, en Grande-Bretagne).

Vous êtes membre du bureau national du PS, et pourtant l’un des plus farouches opposants à la politique du gouvernement sur bien des points. Vous combattez la politique de François Hollande, vous appelez à la démission d’Emmanuel Macron. Pourquoi restez-vous encore au PS ?

Je suis socialiste, et il y a des gens qui veulent que mon parti cesse d’être socialiste. Je défends l’histoire, la continuité, je dirais même l’honneur de mon parti.

Pour les régionales, vous appelez à faire barrage au FN et à la droite. Mais si la gauche perd au premier tour, que va-t-il se passer, selon vous, et que direz-vous à l’électeur de gauche au second tour ?

C’est une question terrible, puisque le choix est entre se désister pour laisser passer un Xavier Bertrand qui nous fera du mal, ou ne pas se désister pour continuer à faire vivre la gauche au conseil régional, et risquer d’avoir une Le Pen qui nous fera encore plus mal. Vous me permettrez de dire, dimanche soir, selon les résultats, laquelle de ces deux solutions je retiendrai. Je redoute absolument d’être obligé de faire qu’il n’y ait plus de socialiste au second tour. Ce serait terrible, mais en même temps je veux tout faire pour que Le Pen ne gagne pas. Je n’exagère pas, pour moi, c’est l’équivalent des fascistes des années 30 adapté au goût d’aujourd’hui.

Quelle est votre opinion sur Pierre de Saintignon, le chef de file du PS aux régionales dans le Nord – Pas-de-Calais – Picardie ?

M. de Saintignon est un bon à mes yeux. Je le soutiens même plus particulièrement par rapport à d’autres candidats. Il a cherché à faire une campagne sociale, il a eu un courage assez extraordinaire dans votre région, car on a dit de lui qu’il était inconnu. C’est un homme de très grande valeur qui connaît très bien, sans doute le mieux, la région par rapport à ses adversaires. Il n’est pas du tout dans la ligne de Valls. Ce dernier ne va pas à Lille, c’est Cambadélis qui y va, alors qu’il avait prétendu qu’il allait faire toutes les régions. Il y a conflit, puisque Pierre de Saintignon a remis Valls à sa place en disant que ce n’était pas le moment de dire que le FN allait gagner. Valls voulait fusionner les listes de Pierre de Saintignon et de Xavier Bertrand.

Sur votre blog, vous dites « halte à l’état d’urgence et à ses abus manifestes », en référence à ce qu’il s’est passé dimanche 29 novembre, place de la République à Paris. Fallait-il ne pas utiliser l’état d’urgence après les attentats ?

Absolument, je suis contre l’état d’urgence. J’ai signé un appel avec 332 personnes contre l’état d’urgence. Je suis contre l’interdiction de manifester. Ça n’a rien à voir avec la lutte contre le terrorisme. Au contraire, pour lutter contre le terrorisme, il faut plutôt mobiliser notre peuple, plutôt accentuer la démocratie, faire que tous les citoyens soient concernés. Plus on aura une société mobilisée, plus on sera capable d’isoler les crevures et les tueurs. Si on va vers un ordre policier et policé, ce sera plus facile pour les terroristes. Je ne vois pas pourquoi on a interdit la manifestation de dimanche 29 novembre. C’était une manifestation écologique qui cherchait à influer sur la COP21. Il n’y avait aucune raison de l’interdire et je ne vois pas pourquoi on a fait des déploiements policiers qui ont abouti à des heurts. Il n’y en aurait pas eu sans ça. Dans toute la France, des manifestations ont été tolérées et il ne s’est rien passé de mal. Ç’aurait été pareil à Paris si ce système policier n’avait pas été déployé. De plus, ils ont repris les bonnes vieilles méthodes. Les plus anciens se souviennent d’un ministre qui s’appelait (Raymond) Marcellin, qui savait habiller des flics en casseurs pour provoquer, et arrêter des gens par groupes en les gardant dix ou douze heures au commissariat de façon à les décourager de manifester. Or, le droit à la manifestation est un droit constitutionnel inaliénable et je ne vois pas pourquoi on le mettrait en cause parce qu’il y a le terrorisme. J’aurais été pour qu’on permette, après les tragiques événements du 13 novembre, un défilé avec 10 millions de manifestants dans tout le pays. C’est beaucoup plus fort qu’un Etat policier.

Parlons agriculture. Quelle est votre position sur la ferme dite des Mille vaches, située à quelques km d’Abbeville ?

L’apport de l’industrie à l’agriculture a été historiquement décisif mais il y a des limites, quand la mécanisation aboutit à une agriculture et à un élevage malsains, aussi bien pour les animaux, que pour les productions, que pour les usagers. Les conséquences sont néfastes pour la qualité du lait, la qualité de la viande, sans compter les conséquences économiques sur les autres producteurs, obligés de s’aligner sur une concurrence de ce type qui dépasse toutes les bornes. Je ne suis pas un fanatique du bio, des petites exploitations, etc. Enfin, je préfère le poulet qui court dans l’herbe à celui qui est en batterie. Quand on le mange, on voit la différence. Il y a des raisons de combattre cela, pour les agriculteurs eux-mêmes, pour les animaux, et pour les usagers. Je ne suis pas pour aligner nos méthodes avec celles des États-Unis, par exemple dans le cadre des négociations du TAFTA (NDLR, le projet d’accord commercial transatlantique).

Vous êtes un farouche défenseur du droit du travail, que les gouvernements successifs ne cessent de vouloir réformer. Comment résister à la démolition du code du travail, puisque c’est le titre d’un de vos livres ?

Quand François Hollande déclare, lors de sa conférence de presse de septembre, qu’il faut adapter le Code du Travail aux besoins des entreprises, c’est une rupture avec un siècle d’histoire de France. Cela a commencé depuis la catastrophe de Courrières (dans le Pas-de-Calais), en 1906, avec un millier de morts au fond de la mine, et le patron qui demande que la mine reparte alors qu’il y avait encore des survivants (NDLR, et que les recherches avaient été abandonnées), avec des arguments un peu comme ceux de Pierre Gattaz (NDLR, président du MEDEF) aujourd’hui – « sinon, je vais être obligé de fermer la mine, ou je vais vous licencier »… À l’époque, il n’y avait pas BFM TV, ni I-Télé, mais les gens étaient très choqués. Alors, on avait choisi de séparer le ministère de l’Economie du ministère du Travail pour que les droits du travail échappent aux exigences de l’économie. Dans la foulée, le Code du Travail est né en 1910. Ça fait un siècle qu’on adapte les entreprises au droit du travail. La contre-révolution que nous annoncent Valls et Macron, c’est que maintenant on va l’adapter aux entreprises, c’est-à-dire le contraire de ce qu’on a fait pendant un siècle en France. Le droit du travail, c’est un droit de l’Homme. La qualité d’un code du travail, c’est l’indice qui permet de mesurer le degré de civilisation. Valls a dit : « Ce ne sera pas une réformette, ce sera une révolution. » Non, non, non. Ce sera une contre-révolution. Il s’agit, dans les intentions qui sont aujourd’hui affichées, de casser ce que le mouvement socialiste a fait pendant un siècle.

Quelqu’un qui veut adhérer au PS, comment sait-il s’il sera dans une section proche de vos idées, ou dans une autre proche des idées de François Hollande ?

Il ne sait pas mais ce n’est pas gênant. Le parti socialiste est un parti pluriel. Je ne suis pas pour les partis où tout le monde pense la même chose. Je suis même pour un grand parti de toute la gauche. Dans le parti socialiste, c’est la proportionnelle qui prévaut. Le courant auquel j’appartiens a obtenu 30% des voix au dernier congrès. Sur 58 membres au bureau national, nous sommes 18 de ce courant. 30 %, c’est 25 000 voix. Il y a des sections qui sont pour l’opposition de gauche, et d’autres pour Cambadélis ou la majorité. Très peu soutiennent Valls. Il ne s’est jamais compté, il ne ferait sans doute pas plus de 5%. Si Emmanuel Macron soumettait sa loi au bureau national du PS, il serait battu.

Mais sa loi passe quand même.

Le problème aujourd’hui, c’est la Ve République. Depuis 1962, le pouvoir personnel l’emporte sur la démocratie, sur le Parlement et sur les partis. Les pouvoirs sont tellement concentrés que le président élu au suffrage universel fait ce qu’il veut. Et visiblement, le président que nous avons actuellement fait le contraire ce que le parti socialiste avait voté quand lui-même avait fait campagne. Si je relis le programme du PS pour la mandature actuelle, le projet était de reconstruire et de renforcer le code du travail, et non pas de le détruire.

Repaire (café-débat) d’Abbeville, au Crofter’s, boulevard Vauban, près du théâtre, mardi 9 décembre à 18 h 30.

12 Commentaires

  1. Hervé
    Posted 5 décembre 2015 at 22:28 | Permalien

    Article Médiapart : « Des régionales lugubres aux enjeux incertains  » –

    Extrait :  » Un député, membre influent du groupe PS à l’Assemblée, se confie cette semaine, dans un gros fauteuil à l’Assemblée. « Je trouve Macron un peu trop tiède dans sa volonté de réformes, confie-t-il. On est le seul pays d’Europe à ne pas permettre les petits boulots, à ne pas avoir des contrats plus souples qui permettent d’ouvrir un peu la possibilité d’embaucher, etc. »

    Les bras m’en tombent. Il faudra un grand ménage au « PS », demain, pour qu’un jour ses électeurs revotent pour lui…Que les types de droite aillent avec Sarkozy et qu’ils cessent de squatter les partis de gauche lorsqu’ils sont idéologiquement à droite. Qu’ils assument ! Qu’ils se cassent !

  2. Gilbert Duroux
    Posted 6 décembre 2015 at 18:50 | Permalien

    J’étais à la manif des chômeurs et précaires hier :
    http://www.liberation.fr/france/2015/12/05/chomeurs-et-precaires-defilent-contre-le-chomage-a-paris_1418552
    À ma grande stupéfaction, je n’ai vu personne du parti socialiste. Gérard va nous expliquer pourquoi le grand parti de gauche des travailleurs n’étaient pas aux côtés des chômeurs et précaires.

  3. Gilbert Duroux
    Posted 6 décembre 2015 at 21:52 | Permalien

    Vous avez l’air malins, maintenant, à quémander les voix de la gauche après avoir conduit une politique de droite. Bien évidemment, si vous voulez faire le plein, il va falloir donner des gages. Suffit d’annoncer que Valls et Macron vont dégager, ce serait un premier pas (nécessaire mais pas suffisant).

  4. gege
    Posted 7 décembre 2015 at 14:10 | Permalien

    Je ne voterai plus jamais pour un parti qui donne 40 milliards chaque annees pour les actionnaires
    je ne veux pas d un parti qui est à gauche que 15 jours avant les élections

    J apprécie votre politique mais pas le ps

  5. lionel mutzenberg
    Posted 7 décembre 2015 at 16:38 | Permalien

    Hier au soir sur France 2, quand le sous ministre de la débâcle a déposé les armes aux pieds de son seigneur et maître, Nicolas Sarkozy, et que celui-ci a repoussé la reddition sans condition avec beaucoup de mépris, j’ai eu honte d’être de gauche.
    Certes, la clique qui nous dirige n’est plus de gauche depuis longtemps et nos compatriotes viennent de signifier à ses usurpateurs qu’ils l’avaient bien compris.
    Mais quelle légitimité ont, ce Président, ce gouvernement, cette assemblée nationale, après un tel désaveu par le suffrage universel ?
    Une élection régionale n’est pas une élection nationale, j’entends déjà l’argument; mais alors, pourquoi le FN a recueilli 6 421 426 suffrages au premier tour de la présidentielle en 2012, et, 6 018 660 suffrages au premier tour de l’élection de ce dimanche 6 décembre 2015 ? Il semblerait que l’électorat de Marine Le Pen n’ai pas compris la différence.
    Après une telle défaite il reste l’honneur de l’homme politique, ou du parti politique, j’ai bien peur que l’honneur, votre parti, et ses dirigeants, l’aient, aussi, perdu, comme ils ont perdu leur représentativité, leur crédibilité.
    Un bien triste jour Monsieur Filoche, pour toute femme, tout homme, de gauche, qui nous rapproche, malgré nos différences.
    Pour autant, je ne voterais pas lors du deuxième tour, votre parti est indigne de confiance, j’en suis le premier désolé, mais la mascarade qui a débuté en 1983 doit, enfin, cesser.

  6. cyril
    Posted 7 décembre 2015 at 20:37 | Permalien

    Ce n’est sûrement pas avec le PS que l’on va faire bouger quoi que ce soit!

    Non au consumérisme, au productivisme à l’idéologie de la croissance

    Le PS comme le PCF sont des obnubilés du soit-disant progrès! Voyez où cela nous mène! On détruit tout!

    Non, l’agriculture aurait pu prendre un tout autre visage! L’agriculture naturelle, bio si vous préférez est viable et obtient un meilleur rendement que l’intensif. Tout ela n’a généré que de la merde!

  7. Pascal
    Posted 7 décembre 2015 at 21:55 | Permalien

    Exactement mon cher Gilbert. Si Hollande annonce qu’il les vire, je vote solférino. Sinon, je laisse la région à Pécresse: au moins on sait à l’avance à qui on a affaire!

  8. Posted 7 décembre 2015 at 22:19 | Permalien

    la voix dont tu ne te sers pas comptera double dans la main d’un autre qui votera FN

  9. socrate
    Posted 8 décembre 2015 at 0:32 | Permalien

    Valls disait 8 jours avant les élections qu il fallait fusionner ou meme se retirer drole d’encouragement a faire voter
    Valls qui fait voter Richert LR a la place de Masseret PS qui se maintient
    si les électeurs Ps comprennent ….

  10. Gilbert Duroux
    Posted 8 décembre 2015 at 0:51 | Permalien

    Quel sens ça a d’abandonner le terrain et d’avoir aucun élu en laissant tout à Estrosi (au sujet duquel le PS disait que c’était un FN bis) et au FN ? Tu peux nous expliquer, Gérard ? En plus, il y a quelques jours, Hollande recevait Marine Le Pen, comme tous les chefs de parti, preuve qu’en haut lieu le FN est considéré comme un parti qui n’est pas en dehors du champ républicain. En fait, encore une fois on nous amuse avec le FN. C’est une diversion pour ne rien dire de la politique anti-sociale qui est suivie.

  11. Posted 8 décembre 2015 at 4:10 | Permalien

    oui, et c’est bien de tout faire pour battre pecresse

  12. Posted 8 décembre 2015 at 11:13 | Permalien

    assez de ceux qui reprennent le jeu et sous des noms différents mais les memes nous abreuvent de betises dejà formulées 3000 fois, autre chose a faire que d’y repondre

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