Quant un pouvoir est dans l’impasse, tout ce qu’il fait se retourne contre lui. Il peut nommer Necker, le renvoyer, le rappeler comme l’avait fait Louis XVI, la solution adoptée n’est jamais la bonne. Après 4 ans de reniement de ses engagements électoraux, de tentatives dérisoires de « triangulation » de la droite sur la déchéance de la nationalité ou sur la casse du Code du travail, François Hollande est dans la nasse.
Le projet de loi est minoritaire au parlement, nul ne l’a voté , il est passé par coup de force 49 3. Nous sommes majoritaires, dans le pays, dans le salariat, dans les syndicats, dans la gauche, dans la jeunesse, quand nous manifestons contre la casse de 100 ans de code du travail par le projet de loi El Khomri. Le pays est paralysé par cette situation : une loi que personne n’a demandé, qui n’a fait objet d’aucune concertation ni préparation préalable : à part le medef et l’UE, personne ne la soutient. Quand la direction de la CFDT le 12 mars a essayé de mobiliser « pour » quelques centaines de personnes l’ont suivie, alors q’une pétition contre obtenait 1,3 million de signatures et que la jeunesse, à 78 %, s’y opposait.
Apres 5 mois de mobilisation sans précédent depuis le début du quinquennat, le gouvernement est donc au bout du rouleau, enfermé dans son bunker. Dans des situations similaires, en 1994, Balladur, puis en 2006, Chirac avaient su a temps retirer des projets (CIP, CPE..) contestés. Pourquoi l’Elysée et Matignon s’entêtent ils à ce point cette fois aujourd’hui ?
Le tango de l’interdiction de la manifestation intersyndicale à Paris, le 23 juin a laissé le gouvernement et le Président de la république comme des poissons hors de l’eau. Ils ont réussi à dresser tout le monde contre eux après avoir menacer d’interdire, voulu imposer un rassemblement statique, interdire et, au final, autoriser.
Ils ont exaspéré les syndicats
Ils ont mis l’intersyndicale CGT, FO, Solidaires, FSU, UNEF, Fidl, Unl devant le choix de baisser pavillon ou de se battre. L’intersyndicale a choisi de se battre et c’est François Hollande et Manuel Valls qui ont été obligés de baisser pavillon. Ils ont dû accepter que la manifestation puisse se dérouler, même s’ils ont tenté de sauver la face en imposant un parcours très court (1,6 kilomètre aller-retour), particulièrement dangereux puisque la tête du cortège reviendra à son point de départ alors que la queue de la manifestation n’aura pas encore pu démarrer. C’est une situation propice à tous les débordements, à toutes les « violences ».
Dans de telles circonstances, la CGT, Solidaires, la FSU, l’UNEF, la FIDL, l’UNL, la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat des avocats de France ont eu raison d’exiger l’ouverture d’une enquête parlementaire sur les «dysfonctionnements» du maintien de l’ordre et «les choix opérés par le ministère de l’Intérieur» lors des manifestations contre la Loi Travail. » Ils précisent dans leur communiqué du 22 juin : «De nombreux manifestant-tes sont victimes de graves dysfonctionnements: délogés, pourchassés, blessés, interpellés par les forces de police alors même qu’ils n’ont commis aucune infraction ! (…) Dans le même temps, certains individus responsables de «casse» sont contenus en tête de cortège sans jamais être neutralisés par les forces de police».
François Hollande et Manuel Valls ont, à leur corps défendant, renforcé l’intersyndicale qui a montré qu’il était possible de faire plier le gouvernement et amènent beaucoup de gens à se mobiliser à Paris mais aussi en province contre le projet de loi El Khomri et la défense de la liberté de manifester.
Ils ont même réussi à recréer, ponctuellement, l’unité de tous les syndicats que la direction de la CFDT et de l’UNSA avait rompue il y a plus de trois mois. La CFDT et l’UNSA ont condamné l’interdiction de manifester. La CGC qui s’était déjà prononcé contre le projet de loi El Khomri s’est, elle-aussi, prononcée contre cette interdiction.
Ils ont mécontenté la gauche
De nombreux députés de gauche ont protesté contre l’interdiction de manifester et certains avaient annoncé qu’ils participeraient à la manifestation même si elle était interdite.
L’ex-ministre de la Justice Christiane Taubira a estimé que les libertés publiques étaient un «bien précieux» méritant «plus d’efforts pour être sauvegardées».
Cécile Duflot condamnait une décision « aberrante sur le plan du droit et des valeurs ».
Les élus du PCF comme une dizaine de députés du PS annonçaient qu’ils participeraient à la manifestation. Le Parti de Gauche a condamné l’interdiction.
Beaucoup, à gauche, qui restaient dans l’expectative quant au projet de loi El Khomri ont vu le danger que présentait l’interdiction de cette manifestation pour les libertés publiques et regardent maintenant le projet de loi El Khomri d’un autre œil.
Ils ont parfaitement compris que c’était la 1ère fois sous la Vème République qu’une manifestation syndicale, sur un objectif social, était interdite et qu’il ne fallait pas laisser passer une telle régression. « La liberté individuelle, la liberté d’aller et venir et le droit d’expression collective des idées et des opinions » sont des « libertés constitutionnellement garanties », déclarait le Conseil constitutionnel le 18 janvier 1995.
La manifestation interdite du 8 février 1962, alors que Maurice Papon (condamné en 1988 pour avoir organisé sous Vichy la déportation de 1 690 juifs) était préfet de police avait coûté la vie à 9 manifestant, au métro Charonne. Cette manifestation était, certes appelé par la CGT, la CFTC et l’UNEF, aux côtés du PCF et d’autres forces de gauche, mais son objet était politique : manifester contre les crimes de l’OAS et pour la paix en Algérie.
La dernière interdiction d’une manifestation syndicale, sur un objectif syndical (la grève des mineurs) remontait à 1948 et à la « guerre froide ».
Ils ont mortifié la police
Le gouvernement a voulu maintenir l’organisation de l’euro de football alors qu’il savait qu’après les attentats de novembre, les forces de police étaient harassées. Les hooligans ont fait, sous les yeux du monde entier, en quelques jours à Marseille, à Nice, à Lille, des « casses » encore plus spectaculaires que celles qui étaient, à tort, attribuées aux manifestants.
Depuis 4 mois, le gouvernement, minoritaire dans le pays et au Parlement continue à vouloir imposer le projet de loi El Khomri. Il entraîne ainsi blocages, grèves et manifestations alors qu’il lui suffirait de retirer ce projet pour que le mouvement social prenne fin.
Les forces de police et de gendarmerie sont mobilisés depuis maintenant 7 mois. 18 millions d’heures supplémentaires, nous dit-on, sont impayées. Deux policiers viennent d’être victimes d’un assassinat revendiqué par Daesh. Des syndicats de policiers s’interrogent sur les consignes ou l’absence de consignes face aux « casseurs ». On voit aussi des policiers civils habillés et mêlés aux casseurs : dans quel but ? Si des centaines de blessés ont été relevés dans les forces de l’ordre il y en bien plus, et plus sérieusement parmi les manifestants, et même les journalistes.
Pour tenter d’étouffer la mobilisation sociale et pour donner satisfaction aux forces de police et de gendarmerie qui ne supportent plus d’être constamment sur la brèche, le gouvernement avait décidé d’interdire la manifestation du 23 juin. Les forces de maintien de l’ordre auront donc beaucoup de mal à comprendre cette volte-face. Or, Manuel Valls avait donné la preuve spectaculaire de la fragilité du pouvoir politique face aux forces de police quand il avait affirmé que l’attitude du policier qui avait refusé de lui serrer la main, ainsi que celle de François Hollande, n’était pas « irrespectueuse » Il avait eu une toute autre attitude vis-à-vis du sapeur pompier qui avait refusé de lui serrer la main le 21 mars 2014, alors qu’il n’était pourtant que ministre de l’Intérieur. Il avait explosé : « Vous n’êtes pas un gamin (…) Vous exercez des responsabilités. Quand vous avez le ministre de l’Intérieur, un représentant du gouvernement, un représentant de l’Etat, un représentant de la République, vous vous comportez comme un sapeur-pompier (…) Il y a une hiérarchie chez les sapeurs-pompiers. Vous devez la respecter ! » Pourtant, 110 « soldats du feu » étaient morts en service depuis 2005.
Ils sont devenus la risée de la droite
« Une manifestation interdite à 10 h et autorisée à 13 h, c’est le résumé d’un quinquennat calamiteux », affirme François Fillon.
Alain Juppé enfonce le clou en déclarant que cette volte-face est la « démonstration de l’incurie du gouvernement ».
Il est vrai que quand la droite se moque du gouvernement, c’est la poêle qui se moque du chaudron, puisque Nicolas Sarkozy, toujours à l’affût d’un coup politique avait affirmé, le 21 juin, devant la presse à Berlin, qu’il n’était « pas raisonnable d’interdire aux syndicats de défiler ».
Jean-Jacques Chavigné
4 Commentaires
Toutes et tous dans la rue ce jeudi 23 juin !
Cette nouvelle journée de manifestation doit montrer une nouvelle fois l’opposition massive au projet de Loi Travail et à toutes les manœuvres que le Gouvernement tente pour empêcher notre mobilisation. Ces tentatives d’intimidations ne nous ont pas affaibli, l’intersyndicale est forte et unitaire, le mouvement a continué malgré les appels du Gouvernement à le cesser à cause des inondations, à cause de l’euro, à cause des « casseurs »… en quatre mois, tout y est passé.
Nous manifesterons et nous agirons encore demain dans de très nombreuses villes. A Paris, le Gouvernement a tenté d’interdire toute manifestation. Devant le tollé, il a reculé en autorisant un parcours très limité. Ce recul doit en entrainer beaucoup d’autres et en tout premier lieu celui du projet de Loi Travail. L’Union Syndicale Solidaires a rappelé avec l’intersyndicale son attachement au droit de manifester, elle entend bien le faire respecter partout, dans de bonnes conditions demain et le 28 puisqu’une journée de mobilisation lors du vote du Sénat est à nouveau organisée.
La Loi Travail ne rencontre l’adhésion ni de la majorité des syndicats, ni celle des salariés, ni celle de la population. Nous sommes légitimes, donc nous continuons avec les moyens qui sont ceux de l’action syndicale : la manifestation, la grève, l’expression publique avec la votation citoyenne.
Communiqué de l’Union Syndicale Solidaires, Paris, le 22 juin 2016.
Hélas, je crois que nous assistons à la fin du mouvement social. Le gouvernement vient de faire voler 4 mois de mobilisations en éclats en humiliant totalement les manifestants. La journée du 28 juin sera un bide. D’ailleurs, où aura-t-elle lieu ? Autour de l’Arsenal ?
Pour me remonter (un peu) le moral, je vais lire votre dernier livre.
Seule solution pour éviter que ne se répète une telle humiliation : grève générale et blocage de l’économie !!!
Un manifestant écœuré.
s’il s’avère que la primaire du PS a été acceptée dans le cadre d’un engagement a ne pas déposer de motion de censure en cas de 49-3 ( qui s’avère quasi inévitable par Valls ) il est évident que ce n’est pas avec ce type de pratique qu’on va intéresser les gens de la gauche élargie a venir voter aux primaires….
faux, calomnie, ridicule