Réponse à « INTOX-DESINTOX » de Libération Oui, le CICE a, en grande partie, profité au grand patronat !

 

Par Gérard Filoche, le 15/12/2016

Libération du 15 décembre publie une page entière de sa rubrique « INTOX-DESINTOX » afin d’essayer de réfuter mon affirmation.

Dans sa « DESINTOX », Libération se retranche derrière les chiffres fournis par le Comité de suivi du CICE, ce crédit d’impôt créé en 2013, venant en déduction de l’impôt payé par les entreprises. Les grandes entreprises se seraient vu attribué 4,6 milliards d’euros, les PME 4,4 milliards d’euros, les entreprises de taille intermédiaire 3,2 milliards d’euros et les micro-entreprises 1,6 milliards.

Le « DESINTOX » de Libération s’en tient à la surface des choses, de deux points de vue

1 – Tout d’abord, Libération confond entité juridique et entité économique

Les distinguer est pourtant déterminant si l’on cherche vraiment à savoir à qui profite réellement le CICE.

L’étude de l’Insee de mars 2012 « Un tissu productif plus concentré qu’il ne semblait» remet radicalement en cause les idées reçues, véhiculées par ce « DESINTOX ».

De nombreuses unités juridiques ont été créées pour « externaliser » un service de l’entreprise-mère, pour échapper à l’élection de délégués du personnel ou d’un comité d’entreprise, pour faire sortir des salariés du champ d’une convention collective. De nombreuses PME ont été rachetées par des grands groupes. De nombreuses PME ne sont que des sous-traitantes d’une seule grande entreprise donneuse d’ordres sans lesquelles elles n’existeraient pas.

Au total, selon l’étude de l’Insee, les PME indépendantes n’emploient que 2,070 millions de salariés alors que les PME sous contrôle d’un groupe (français ou étranger) emploient 1,450 millions de salariés. 41 % des salariés des PME sont donc employés par une PME dépendante d’un grand groupe.

Pour les entreprises de taille intermédiaire (entre 250 et 499 salariés), les ETI, la différence entre l’apparence juridique et la réalité économique est beaucoup plus criante encore. Les ETI indépendantes n’emploient que 166 000 salariés alors que les ETI sous contrôle d’un groupe (français ou étranger) emploient 2,8 millions de salariés. Moins de 6 % des salariés des ETI sont donc employés dans une ETI indépendante d’un grand groupe !

La conséquence de cette domination dans le domaine de la fiscalité n’est pas très difficile à comprendre : à  chaque fois que des avantages fiscaux sont accordés à une PME ou une ETI dépendante d’un grand groupe, ce sont les actionnaires des grands groupes qui finissent par engranger des dividendes. Le tiroir-caisse des actionnaires fonctionne grâce au jeu des comptabilités consolidées et des prix facturés aux grandes entreprises par les PME ou ETI dépendantes. Ces prix baissent d’une partie ou de la totalité des avantages fiscaux accordés aux PME. Une bonne partie des 4,4 milliards du CICE accordés aux PME va donc enrichir les bénéfices des grands groupes. Le jackpot est encore plus impressionnant dans le cas des ETI.

Le CICE n’est d’ailleurs que la partie visible de l’iceberg. À chaque fois que des exonérations de cotisations sociales sont accordées à une PME dépendante d’un grand groupe, ce sont, là encore, les actionnaires des grands groupes qui finissent par encaisser le jackpot. Le mécanisme qui leur permet d’y parvenir est le même que dans le domaine fiscal. Le « coût du travail » diminuant pour l’entreprise dépendante, la grande société révise à la baisse le montant de ce qu’elle paie pour l’achat d’un produit ou d’un service sous-traité. Les profits des grands groupes augmentent donc du fait des exonérations de cotisations sociales accordées aux PME. Les milliards d’allégements de cotisations sociales, accordées par le « pacte de responsabilité », profitent donc, eux aussi, avant tout aux grands groupes. De façon directe ou indirecte.

Le monde des entreprises n’est pas un monde où règnent Peter Pan et la fée Clochette. C’est un monde où de gros poissons aux dents longues mangent les plus petits.

Ce n’est pas un monde ou ça « ruisselle » mais un monde ou ça « siphonne ».

 

2 – Ensuite, dans le cas précis du CICE, bien des grandes entreprises n’ont pas vraiment pris la peine de camoufler leur avidité.

En juillet 2013, le médiateur des relations interentreprises, Pierre Pelouzet, a été obligé de tirer la sonnette d’alarme face au « racket » (Challenges du 18 juillet 2013) exercé par les grands groupes sur les PME, grâce au CICE.

« Le Parisien » publiait des exemples de lettres envoyées par les grandes entreprises à leurs fournisseurs ou sous-traitants, exigeant qu’elles fassent un effort sur leurs prix puisque le CICE leur permettait de compenser cet effort.

Devant l’ampleur que prenait le scandale, la ministre déléguée aux PME, Fleur Pèlerin, avait même fini par intervenir. Le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, avait été obligé de faire de même, tout en niant, bien évidemment, l’ampleur du phénomène. Il est vrai qu’il venait d’être reçu triomphalement à l’université d’été du Medef.

 

 

 

 

 

 

 

 

2 Commentaires

  1. Greg
    Posted 16 décembre 2016 at 15:56 | Permalien

    Ça fait 2 fois que « DESINTOX » est désintoxiqué, tant mieux.

    Un lien sur le CICE : un article de Michel Husson, certes qui n’est pas axé sur la répartition (très inégale) du CICE selon les entreprises, mais néanmoins intéressant sur son impact réel sur l’emploi. Enfin, pas besoin de faire un dessin, avec 1,3 millions de chômeurs de plus depuis juin 2012, on sait où est partie l’argent ; NOTRE argent même !
    http://hussonet.free.fr/cicenick.pdf

    Rien à voir avec le CICE bien sûr, mais tout aussi nocif en réalité : les tickets restaurant. L’employeur y « participe » à 50% ou 60%. On appelle ça faussement un « avantage en nature », pourtant c’est un véritable détournement de la sécu.

    Source URSAFF :
    Conditions d’exonération

    « L’employeur détermine librement le montant de la valeur libératoire des titres-restaurant qu’il octroie à son personnel : aucune disposition de la réglementation en vigueur n’impose de valeur minimale ou maximale des titres.

    Toutefois, la valeur des titres-restaurant est influencée indirectement par les limites légales imposées à la contribution financière des employeurs.

    Pour être exonérée de cotisations de Sécurité sociale, la contribution patronale au financement de l’acquisition des titres-restaurant doit respecter deux limites : être comprise entre 50 et 60 % de la valeur nominale du titre, ne pas excéder 5,37 € (en 2016). »

    C’est donc en réalité une partie du salaire qui est détourné et n’est donc pas soumis à cotisations.

    J’ignore combien il existe de salariés concernés par cette esbroufe sur les 18 millions de salariés du privé. Combien alors ? 2 ? 4 ? 6 millions de salariés ? Plus ?
    Ça fait combien en moins chaque année à la sécu tout ça encore ? des dizaines ? Des centaines de millions d’euros ?

    Ça serait intéressant de connaître l’ampleur de cette arnaque, ils pourraient faire ça à « DESINTOX » au lieu de raconter des conneries genre les salariés votent le Pen…

  2. Posted 17 décembre 2016 at 4:51 | Permalien

    Dans son dernier blog, Frédéric Lordon a très bien expliqué la nocivité de ce type de pseudo journalisme à base de « Désintox » et autres « fact checking » :
    http://blog.mondediplo.net/2016-11-22-Politique-post-verite-ou-journalisme-post

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