La relève et la peste : la SNCF a explosé son chiffre d’affaires et a réalisé un bénéfice net de 1,3 milliard d’euros en 2017, soit 2,3 fois plus qu’en 2016

Le chiffre d’affaires de la SNCF a explosé en 2017… et le gouvernement privatise !

23 mars 2018 / par Auguste Bergot

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Fin février, le groupe SNCF publiait ses résultats pour l’année 2017. Loin du matraquage médiatique et politique qui assène que la SNCF est dans l’impasse (ce qui vient évidemment justifier l’ouverture à la concurrence), l’entreprise a en réalité réalisé un bénéfice net de 1,3 milliard d’euros en 2017, soit 2,3 fois plus qu’en 2016…

Dans le bras de fer qui oppose le gouvernement et les défenseurs du service public ferroviaire, l’argument principal des détracteurs est évidemment d’ordre économique. On brandit d’une part les privilèges outranciers des cheminots (sic) et d’autre part les chiffres exorbitants de la dette accumulée par SNCF Réseau – l’un des trois établissements publics à caractère industriel et commercial qui composent la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) – qui s’élève à 54,5 milliards d’euros fin 2017 (soit environ 2 points du PIB français).

Avant toute chose, il convient d’expliquer brièvement la structure du groupe SNCF. Depuis 2015, la SNCF est composée de trois établissements distincts : SNCF Réseau est en charge de la gestion des infrastructures ferroviaires du pays, c’est-à-dire qu’elle gère la création, l’entretien et l’organisation de la circulation des lignes ferroviaires ; SNCF Mobilités est en charge du transport des voyageurs et des marchandises ainsi que des gares ; et le groupe SNCF chapeaute les relations entre les deux autres établissements et s’occupe également des opérations immobilières.

Ainsi, quand on analyse de plus près les résultats pour l’année 2017 de la SNCF on constate que SNCF Mobilités a réalisé un chiffre d’affaires de 31,8 milliards d’euros, soit +4,3% par rapport à l’année précédente, tandis que SNCF Réseau a réalisé un chiffre d’affaires de 6,5 milliards d’euros, soit +0,9%. Bien que ces chiffres soient le signe d’un regain de dynamisme et d’une hausse des fréquentations du réseau ferroviaire français (+10% sur les TGV et +4,7% sur les TER), on reste loin d’une entreprise largement bénéficiaire. C’est pourquoi malgré ces bons résultats, la dette du groupe SNCF a continué à progresser de 1,7 milliard d’euros en 2017. Soulignons que, d’après Le Monde, les seuls intérêts de la dette de la SNCF coûtent plus de 1 milliard d’euros chaque année.

Il est surtout bon de se demander quelle est l’origine de cette dette qui ne cesse de gonfler et donne un argument de poids au gouvernement pour son « nouveau pacte ferroviaire » qui lui permettra de légiférer par ordonnance pour réformer la SNCF avant l’ouverture à la concurrence. Il faut déjà relever que lorsque l’Etat a nationalisé les différentes compagnies ferroviaires en 1938, signant la naissance de la SNCF, le déficit cumulé s’élevait déjà à 30 milliards de francs. Avec l’éclatement de la seconde Guerre mondiale, toutes les prévisions mises en place pour résorber ce déficit et atteindre l’équilibre tombaient à l’eau. En plus de l’héritage de ce déficit, l’augmentation de la dette ces dernières années est en grande partie due au développement des lignes à grande vitesse (LGV).

Coût de construction par kilomètre des lignes à grande vitesse (LGV) en France en 2014* (en millions d’euros)

En effet, depuis le premier projet de ligne grande vitesse qui a relié Paris à Lyon et le succès économique des premiers temps, les projets de lignes à grande vitesse se sont accumulés jusqu’à tomber dans un gouffre économique sans précédent. Auparavant régis par des évaluations strictes de pertinence et de rentabilité, les projets de créations de LGV sont désormais réduits à de simples compétitions entre élus locaux, luttant pour voir un TGV passer près de leur commune, au détriment de l’intérêt économique public (national). Comme le souligne par ailleurs un article publié dans Contrepoints :

« Pour 40% de son temps de circulation, le TGV roule sur le réseau classique lent. Roulant à la même vitesse qu’un TER, sa circulation est cependant beaucoup plus onéreuse. Par ailleurs, le TGV dans son schéma actuel semble même être un vecteur d’inégalités territoriales. Les grandes agglomérations étant seules reliées, celles-ci se polarisent au détriment d’une ruralité laissée de côté. »

En tout, les développements des LGV de ces dernières années seraient responsables d’environ 23 milliards d’euros de dette. On pense notamment à la liaison Tours-Bordeaux récemment ouverte qui, alors même qu’elle apporte des millions de clients supplémentaires à la SNCF, est structurellement déficitaire. En effet, c’est Nicolas Sarkozy qui avait décidé en 2007 de lancer la création de quatre nouvelles LGV, dont celle Tours-Bordeaux qui permettait l’économie exceptionnelle d’une heure de trajet (sic).

Or, pour ce faire, celui-ci avait eu recours à un financement public-privé qui permettait à la société Lisea de détenir les droits de propriété sur l’infrastructure pendant 44 ans. Aujourd’hui, tous les trains SNCF Mobilités qui empruntent la ligne Tours-Bordeaux payent un péage onéreux à Lisea pour obtenir le droit de circuler… Comme si cela ne suffisait pas, le contrat signé entre Lisea et le gouvernement permet à la société d’augmenter le prix de ses péages de 3,5% par an, plus l’inflation. Cela ne vous rappelle pas l’histoire de la vente des autoroutes ?..

Les nœuds sont difficiles à démêler dans l’évolution de la situation économique de la SNCF ; quelles en sont les véritables sources, les possibles devenirs etc. Pourtant, un constat reste : la dette qui frappe la SNCF aujourd’hui est en grande partie le fait de politiques déraisonnées (pour ne pas dire stupides) d’ouverture d’axes ferroviaires LGV structurellement déficitaires, car partiellement vendus à des sociétés privées. Evidemment, l’entretien, la création et la gestion des lignes gérés par SNCF Mobilités engendrent davantage de dépenses que de revenus. Mais au même moment, SNCF Mobilités connait une importante hausse de son chiffre d’affaires qui pourrait idéalement venir compenser les dépenses liées à la gestion du réseau.

Et au lieu de cela, le gouvernement prend le parti d’ouvrir à la concurrence l’ensemble du système ferroviaire français, là où l’acte courageux qui consisterait à ce que l’Etat prenne la charge de la dette de la SNCF – ce qui est demandé par la CGT et qui avait pourtant été annoncé comme acté fin 2016 – serait la solution la plus pragmatique pour que l’Etat garde en main la gouvernance du territoire par ses axes de liaison, empêche la désertification rurale et maintienne le droit à un service public accessible à tous.

 

4 Commentaires

  1. Gilbert Duroux
    Posted 29 mars 2018 at 2:56 | Permalien

    On lira avec intérêt la série d’articles consacrés par Acrimed au traitement de la « réforme » de la SNCF par les médias :
    http://www.acrimed.org/-Reforme-de-la-SNCF-et-mobilisations-sociales-2018-

    Par ailleurs, aujourd’hui 29 mars, Acrimed invite à la Bourse du travail Bruno Poncet, un syndicaliste membre du bureau fédéral SUD-Rail, qui nous fera part de l’hostilité éditocratique à laquelle il a eu à faire face sur les plateaux télévisés. Une rencontre dans le cadre des traditionnels « Jeudis d’Acrimed » :
    http://www.acrimed.org/Jeudi-d-Acrimed-29-mars-Medias-et-SNCF-aller

  2. Posted 29 mars 2018 at 9:53 | Permalien

    Présents : NPA, Ensemble, AL, PCF, PCOF, Génération.s, EELV, PG, Nouvelle Donne, R&S et nous (Les “députés FI” se sont excusés pour cause de participation à la Marche blanche).

    La manif du 22 mars est considérée par tous comme un succès. Tout le monde souligne le rôle primordial de la mobilisation à la SNCF et s’accorde pour une action des organisations politiques visant à soutenir et non à s’approprier le mouvement en cours, et ce en respectant les modalités d’action décidées par les organisations syndicales elles-mêmes. Le projet de tribune proposé par le PCF a été amendé par Ensemble et EELV. Les amendements visent essentiellement à rappeler la dimension écologique du rail (EELV) et la nécessité d’élargir le mouvement et le soutien à toute la fonction publique et en général à la défense d’une société “à statuts”. La plupart des amendements sont acceptés excepté un amendement d’Ensemble faisant référence à une éventuelle marche nationale. Cette initiative ne paraît pas opportune (du moins pour l’instant) même si elle reste la proposition forte du PG qui est isolé sur la question. Lequel PG est par contre hostile à des meetings communs (au nom de la spontanéité du peuple, semble-t-il). Il est donc décidé que ces deux questions (marche et meetings) ne seront pas mentionnés dans la tribune et seront rediscutées lors des réunions ultérieures. Il ressort de l’ensemble une assez forte homogénéité d’appréciation de ce qu’il faut faire et la volonté de continuer ensemble (même si le PG manifeste en permanence des désaccords, il semble difficile qu’il puisse s’isoler – du moins tant que la mobilisation est en phase ascendante, ensuite…).

    La réunion prend les décisions suivantes :
    1 La tribune sera réécrite en tenant compte du débat. Cette réécriture sera faite par NPA, Ensemble, PCF et PG. Elle devrait être signée par les “personnalités” (Gérard, Besancenot, etc. ) et publiée dans la presse quotidienne le 3 avril (premier jour de la grève “perlée” des cheminots).
    2 Une conférence de presse se tiendra demain vendredi à 10 heures Gare de Lyon à Paris (avec l’accord de Sud et de la CGT).
    3 Une conférence de presse se tiendra aussi dans une “petite gare” afin de souligner la question des “petites lignes”. Génération.s propose une gare de la Somme et la date du jeudi 5 avril. Cette proposition est retenue.
    4 La prochaine réunion se tiendra mardi 10 avril à 19 h au siège du NPA.
    amities CG

  3. Posted 29 mars 2018 at 10:28 | Permalien

    Bonjour

    Pour avoir travaillé 35 ans à la Cie des Wagons-Lits pour le compte de la SNCF j’ai bien connu ce principe (en tant que « roulant »). Les roulants ont un système de travail en jours calendaires, c’est çà dire que nos repos sont tributaires des heures de voyage effectués et non des jours de la semaine. Personnellement quand je faisais un voyage de 35 heures (Aller-retour Paris-Venise par ex.) sur 3 jours, les 4 jours suivants étaient en repos puisque sur 7 jours je fais mes 35 heures comme tout salarié. Les jours de repos sont le résultat de mes 35 heures. Donc si je ne fais pas mon voyage pour cause de grève on me retiendra 7 jours de paie puisque je n’ai pas fait mes 35 heures et donc je n’ai pas droit aux repos afférents.
    Pour les cheminots c’est plus simple puisque leurs roulements et leur règlementation ne permet pas de faire tant d’heures en si peu de temps.
    Donc quand ils prennent un jour de grève, imaginons qu’ils devaient faire 5 heures de voyage on leur retiendra le temps de repos afférent à ces 5 heures (5 H représentent 1/7 de 35 h donc on leur retiendra 5H + 1/7ème de 5 H). Par contre ceux qui sont en repos ne seront pas en grève et peuvent refuser de décaler leurs repos pour remplacer un gréviste (sauf réquisition). Ce qui avec un roulement irrégulier permet de tenir beaucoup plus longtemps sans trop perdre de salaire car le salarié qui aura fait grève les 3 et 4 avril ne sera pas concerné par la suivante et ainsi de suite.
    Et c’est cela qui met la Direction SNCF et le gouvernement dans tous ses états. La menace détaillée dans cet article est donc une pure esbroufe à l’usage des citoyens qui comprendront que les grévistes vont être pris à la gorge.

    Applaudissons plutôt la manœuvre syndicale

    @ +

    JP C

  4. Posted 30 mars 2018 at 12:05 | Permalien

    Bonjour,
    Nous avons le grand plaisir de vous annoncer la sortie dans les salles de cinéma, le 30 mai prochain, de la version restaurée de Reprise, film réalisé en 1996 par Hervé Le Roux.

    Celles et ceux qui connaissent déjà cette oeuvre majeure savent combien elle offre un éclairage autant inédit que sensible sur le mai 68 ouvrier.

    Pour revoir ou découvrir Reprise, nous vous invitons à la séance spéciale, qui aura lieu samedi 7 avril à 9h30, à l’Espace Saint-Michel (cf. invitation en pièce jointe). A l’issue de la projection, nous pourrons discuter de son accompagnement auprès de ses différents publics. Merci de confirmer votre présence : hague.philippe@gmail.com

    En plaçant, ci-dessous, un bref historique du film, nous restons à votre disposition pour toute information complémentaire ou suggestion de votre part.

    Bien cordialement,

    Pour JHR Films
    Philippe Hagué
    0607782571

    Bref historique du film

    10 juin 1968,
    Des étudiants en cinéma filment La reprise du travail aux usines Wonder de Saint-Ouen. Au centre de ce court-métrage, une jeune ouvrière en larmes crie qu’elle ne rentrera pas. Elle dénonce la saleté des ateliers, les cadences, le mépris des petits chefs qu’après trois semaines de grève générale, elle ne pourra plus supporter…

    Au fil du temps de l’après mai, le visage et la voix de cette femme brune, révoltée, vont se frayer un chemin, en contrechamp des commentaires médiatiques et des habituelles images de barricades, pour exprimer tous les espoirs et les désillusions vécus dans les usines.

    Quelque trente ans plus tard, le réalisateur Hervé Le Roux part à la recherche de la belle résistante. Qui est-elle exactement ? Qu’est-elle devenue ? Il retrouve les militants, les syndicalistes qui l’entouraient lors de la scène initiale, puis certaines de ses camarades de travail… Il leur donne la parole et dévoile ainsi un pan de mémoire enfoui du « mai français ».

    26 mars 1997,
    La sortie du film Reprise est exceptionnellement salué par l’ensemble de la critique. A la fois polar social, récit historique et romance amoureuse, il est aujourd’hui considéré comme un des films fondateurs des nouveaux documentaires, programmés dans les salles de cinéma.

    30 mai 2018,
    Reprendre Reprise, à l’occasion du cinquantenaire,
    - c’est réaffirmer et documenter la dimension sociale des « événements »,
    - c’est transmettre aux jeunes générations ce formidable moment de cinéma, croisant destinées humaines et stratégies organisationnelles, indispensable clef de compréhension de Mai 68 bien sûr, mais aussi de la France contemporaine.

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