Étudiant à Rouen en Mai 68, Gérard Filoche espère le déclic en 2018 : « C’est plus explosif »

écrit par Simon Louvet

Journaliste pour 76actu

En mai 1968, Gérard Filoche était un étudiant de l’université de Mont-Saint-Aignan en grève. Cinquante ans plus tard, l’ex socialiste espère le retour de la grève générale.

Publié le 5 Mai 18 à 17:16

 

En mai 1968, Gérard Filoche était étudiant à l’université de Mont-Saint-Aignan, près de Rouen (Seine-Maritime), comme ici, le samedi 11 mai 1968 en manifestation devant le Palais de justice. Dirigeant de l’Unef à l’époque, il espère, 50 ans après, que la grève générale verra de nouveau le jour. (©DR / Gérard Filoche)

« Je me souviens avoir peint ‘grève générale’sur la fac de Mont-Saint-Aignan. » C’était le dimanche 5 mai 1968. Étudiant en philosophie, Gérard Filocheétait aussi un dirigeant local de l’Union nationale des étudiants de France (Unef). Cinquante ans après, le fils d’ouvriers raconte son Mai 68et ses espoirs pour le printemps 2018.

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« On aurait oublié le mouvement étudiant sans la grève générale »

« Acteur, auteur et produit », voilà comment Gérard Filoche définit le rôle du jeune homme de 23 ans qu’il était en Mai 68. « J’étais la parfaite symbiose entre l’ouvrier et l’étudiant », rappelle-t-il. Fils d’un menuisier-chaudronnier et d’une aide-soignante, il a enchaîné « huit à dix petits boulots » – docker, manutentionnaire, pion… – pour payer ses études de philosophie. Pour lui, Mai 68 commence en janvier à Blainville-sur-Orne près de Caen (Calvados), par la grève à la Saviem, une filiale de Renault.

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Après son œuvre graphique sur les murs de l’université le 5, le Mai 68 de Gérard Filoche commence. L’oreille au transistor vendredi 10 mai, Gérard Filoche avait quitté Rouen au volant de sa deudeuche pour le « soir des barricades » du Quartier latin, à Paris. Bloqué par la police, il n’a pu y pénétrer et n’a pu que « jeter quelques pavés ».

Mais à son retour à Rouen, le 11 mai à 11h pour une assemblée générale, le militant de l’Unef voit sa nuit parisienne « un peu enjolivée ». « J’y étais, donc j’étais triomphant », rit-il. Il prend la parole en manifestation, « c’est là qu’a été prise la photographie avec le mégaphone ». Puis, il y a eu le 13 mai :

Deux copains, aujourd’hui décédés, sont venus à 5h du matin frapper à mon volet de la route de Neufchâtel. « Ça y est, on occupe Renault à Cléon! » me disent-ils.

C’était « le point de départ d’une vague » qui a atteint la raffinerie de Gonfreville-l’Orcheret toute la vallée de la Seine. L’étudiant d’alors et le militant aguerri d’aujourd’hui sait ce que Mai 68 doit aux ouvriers, il le répète dans son livre Le social au cœur, Mai 68 vivant  : « On aurait oublié le mouvement étudiant sans la grève générale. »

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« Nous savions ce que nous voulions, mais pas comment le porter »

Aux meetings présidés par le Comité de la grève à Rouen et sa quinzaine d’élus de l’Unef, de l’Union des étudiants communistes et des Jeunesses communistes révolutionnaires, on refait le monde, sur tous les thèmes. Les débats se tiennent dans le cirque du Boulingrin occupé et ses 3 000 places. « C’était plein à craquer ! »

 

Un mouvement qui s’est essoufflé avec les journées des 23 et 24 mai. « Ça nous a échappé », regrette Gérard Filoche. Une manifestation rouennaise atteint la gare. Une partie veut l’envahir, l’autre veut attaquer le siège du parti gaulliste. L’étudiant Filoche sonne la dispersion. C’est là que l’homme de 73 ans pointe l’erreur :

Nous savions ce que nous voulions – un gouvernement ouvrier et paysan, populaire – mais pas comment le porter. Ni qui. Quel parti ? Nous avons dit « élection = trahison ». Mais nous ne pouvions pas les empêcher et nous n’étions pas prêts, nous aurions dû avoir des candidats.

Malgré ces « erreurs » pointées par Gérard Filoche, le mouvement de Mai 68 a permis d’aboutir aux accords de Grenelle, le 27 mai 1968, apportant une augmentation des salaires minimum et une baisse du temps de travail.

Celui qui qualifie Mai 68 de « crise révolutionnaire » – « ce qui n’amène pas forcément à une révolution » – pense que le contexte de 2018 est propice à la renaissance d’un mouvement similaire, d’une même « lame de fond ».

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« Ne pas refaire les erreurs de Mai 68 »

Il en est même certain : « Les conditions d’une explosion existent, pour deux raisons. Le salariat représente 90 % de la population et la France est bien plus riche qu’en 1968. » Actant de l’augmentation des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres, Gérard Filoche rejette « la société post-salariale d’Emmanuel Macron ». Pour autant, si les conditions de l’explosion « sont là, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton ». Celui qui est cégétiste depuis 1963 et a été communiste, trotskiste puis socialiste jusqu’à son exclusion en novembre 2017, croise les doigts :

Il faut que ce soit mûr. On fait tout pour que ça mûrisse…

En attendant que les luttes convergent comme il l’espère, Gérard Filoche converge vers les luttes. L’occupation d’un bâtiment de Rouen devenu « quartier général de la grève » ? « Je soutiens. Si la lutte ne passe que par des manifestations de rue, ou des occupations de places comme à Nuit debout, ça ne marchera pas. Il faut occuper les entreprises ! » Mais il est patient : « En 1965, on disait que juin 1936 n’arriverait plus. » Pour 2018, il faudra peut-être encore l’être car « si la grève des cheminots s’arrête, tout s’arrête ».

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