Ces fameux « ponts » du mois de mai, qui « paralyseraient » l’économie française, c’est un sujet récurrent, ce qu’on appelle familièrement un « marronnier » en langage journalistique. Tous les ans ça revient, ça fait 25 ans que j’ai écris là dessus chaque année, et que les journaux économiques s’en emparent, et que le Medef gémit. Une journaliste d’une grande radio, ne faisant que son devoir de salariée, m’a interrogé donc, sur demande de sa rédaction. Voilà ce que ça donne :
Question : - Vous ne croyez pas que cette abondance de « ponts », ce ne sont plus des « ponts » mais des « viaducs », c’est exagéré ?
Réponse : – Ah, non, quand on voit le nombre écrasant d’heures supplémentaires faites par les salariés, ce n’est pas de trop qu’ils puissent profiter un peu du printemps et des beaux jours.
- Mais n’y a t il pas d’abus ?
- Oh, non s’il y a des abus c’est que trop peu de salariés ont réellement ces ponts, surtout dans les petites entreprises, dans les bas salaires et les métiers pénibles : dans la majorité des cas, dans le privé, les salariés ont perdu depuis plus de quinze ans leurs « deux jours de repos consécutifs », notamment dans le commerce, mais dans beaucoup de professions de services, et parfois d’industrie.
- Oui, mais, ce mois de mai, cette année, il a trois ponts, parfois de trois ou quatre jours ?
- Il y a des années comme cela ! Et des années ou les jours fériés tombent un samedi. Mais vous savez, seul le 1e 1er mai est un jour férié et chômé (et ce jour-là, il y a des infractions quand même ! Comme si des employeurs méprisaient à ce point le droit du travail qu’ils imposent à des salariés de travailler aussi ce jour-là. Combien payent réellement les majorations prévues ? Ils profitent de leur position dominante et du chantage à l’emploi pour imposer des violations de droit). Les autres jours sont hélas, de moins en moins respectés. C’est quand il y a de bons accords « RTT » grâce à des 35 h bien appliquées, que certaines catégories de salariés profitent de quelques jours de repos groupés. Dans le privé, c’est loin d’être la majorité des cas. Et dans le public, c’est souvent parce que les salariés n’ont pas pu prendre leur congé quand ils le souhaitaient, et les voilà obligés de les prendre avant la fin du mois de mai sous menace de les perdre…
Très peu de conventions collectives prévoient le paiement des 11 jours fériés possibles, en général elles n’en paient que 5 ou 6 ou 7…
- Mais ça désorganise les activités économiques, même le service public ?
- Ça désorganise… quand ce n’est pas organisé et quand les directions, faute d’effectifs suffisants, sont incapables à la fois de respecter les droits à congé et la continuité du service public. De façon générale, les gains de productivité en France sont parmi les plus élevés au monde, même avec ces fameux « ponts » de mai. Des salariés qui se sentent bien et qui ont des bons congés, c’est bon pour l’économie, pas l’inverse.
- Vous ne croyez vraiment pas que le nombre de jours fériés concentrés en mai est abusif ?
- Écoutez, le 1er mai a été déclaré férié par… Pétain, qui redoutait le sens historique de cette journée de manifestations sociales, mondialisées depuis 1886. L’Ascension et le lundi de Pentecôte sont des fêtes religieuses. Le 8 mai, ce n’est pas le jour « revanchard » de la « victoire contre l’Allemagne » mais celui de la victoire contre le nazisme… Est-ce ce genre de manifestation et de tradition que l’on veut supprimer ?
- Mais n’y a t il pas trop de jours fériés en France par rapport à l’Europe ?
- Non, pas du tout, nous sommes dans une honnête moyenne par rapport aux grands pays qui ont entre 7 et 13 jours fériés. Nous avons onze jours fériés dans l’année, mais cela varie selon qu’ils tombent en semaine ou un week-end. En fait quand ils tombent un dimanche ou un samedi non travaillé ils sont perdus, chez nous, pas ailleurs : en moyenne réelle nous n’avons que 9,33 jours par an à cause de cela.
Cela fait des décennies qu’il en est ainsi, et cela n’a pas empêché, au contraire, la France d’être cinq fois plus riche qu’en 1945 et d’être la cinquième puissance industrielle du monde. On a le taux de productivité horaire le plus élevé au monde.
Ils n’ont donc pas assez de profits, les actionnaires, qu’ils veuillent aussi rogner les jours fériés du printemps ?
- Mais en Italie, ils sont revenus sur leur nombre de jours de congés…
- C’est bien ce que je disais, Berlusconi, comme le Medef n’en ont jamais assez, ils veulent revenir sur tout, allonger la durée du travail sur la semaine, casser les 35h, allonger la durée du travail sur la vie, casser les retraites à 60 ans, nous refaire travailler tous 45 h sans gain de salaire jusqu’à 65 ans…
Même aux USA ils ont plus de jours fériés que nous, et quand ils tombent un dimanche, ils sont reportés au lundi comme en Allemagne.
- Je n’arriverais pas à vous faire dire qu’il y a un problème avec ces « ponts » ?
- Non, le vrai problème, c’est qu’il y ait une délinquance patronale et que dans trop de secteurs, les horaires légaux et conventionnels, les durées maxima « d’ordre public social » ne soient pas respectées. Le vrai problème c’est que les effectifs des services publics et hospitaliers, transports, équipements, par exemple, ne soient pas suffisants.
Et puis, je vais vous dire, quelques jours de gagnés sur l’exploitation quotidienne, comme disait Prévert, c’est toujours une belle journée ensoleillée qu’on ne perdra pas à cause du stress et des « flux tendus ».
- C’est votre dernier mot ?
- En mai, ce qui va « désorganiser » l’économie, ce ne sera pas les ponts, mais la politique de Macron, il refuse de négocier et bloque tout le pays, il faire qu’il y a une grève générale prolongée a la SNCF a Air France et dans de nombreux secteurs. 21 millions de salariés, 3 millions de chômeurs et de précaires disent au gouvernement et au Medef qu’ils veulent travailler, mais pas n’importe comment, pas 45 h jusqu’à 65 ans, pas avec des bas salaires ni des basses retraites tandis que les profits augmentent en flèche. Et Macron lui, il casse tout le social, veut une société sans statut, « post salariale », et supprimer les cotisations sociales… dites c’est autrement plus grave que « les ponts »