Baser le niveau de votre retraite sur vos solides annuités acquises par votre travail ou les baser avec Macron sur un système aléatoire de points à valeur variable ?

L’article 75 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009, votée le  17 décembre 2008, avait fixé la date limite du 31 janvier 2010 pour la remise d’un rapport du COR aux commissions sociales de l’Assemblée Nationale et du Sénat, sur « les modalités techniques de remplacement»  de notre système de retraite (système par annuité*) « soit par un régime par points, soit par un régime de comptes notionnels de retraite… »

En 2008, une étude d’Antoine Bozio et Thomas Piketty[1]« Pour un nouveau système de retraite » prônant l’adoption d’un régime de comptes individuels notionnels, tentait de démontrer la supériorité d’un tel régime sur le régime de retraites par annuités qui est le nôtre depuis la Libération.

Le rapport du COR concluait à la faisabilité d’un tel changement de système tout en soulignant ses multiples difficultés. Il précisait, surtout, qu’aucun système ne permettait par la simple vertu de la technique, de redresser des comptes déséquilibrés. Pour retrouver l’équilibre, le COR renvoyait donc les décideurs aux trois leviers traditionnels : le niveau des ressources, le niveau des pensions et l’âge moyen effectif de départ en retraite.

Danièle Karniewicz, Présidente de la CNAV soulignait, dans un entretien à l’Express[2], les risques d’un changement de système et notamment «celui de faire baisser les retraites… sans le dire clairement aux Français».

Tous les scénarios du COR étudiant les perspectives d’un tel changement de système estiment, d’ailleurs, à 15 %, en moyenne, la baisse du montant des retraites. Baisse qui viendrait s’ajouter à toutes les régressions programmées par les contre-réformes mises en place entre 1993 et 2013.

Retraite par points ou système de comptes individuels sont-ils des solutions ou est-ce préférable de garder nos repères ?

Ces deux systèmes sont, comme notre système de retraite actuel, des systèmes de retraite par répartition. C’est-à-dire que ce sont les cotisations collectées aujourd’hui qui financent aussitôt les retraites d’aujourd’hui et que les cotisations de demain paieront immédiatement les retraites de demain.

Avec ces deux systèmes, le calcul de la retraite se ferait sur la base de toute la carrière et non plus sur la base des 25 meilleures années dans le secteur privé ou des six derniers mois de salaires dans la Fonction publique. Cet allongement aux durées indéfinies avec des modalités de calcul nouvelles serait un  premier avantage non négligeable pour le MEDEF.

Ces deux systèmes permettraient surtout, une fois mis en place, de changer en douceur les paramètres qui programment l’évolution de nos retraites. Alors qu’avec le système des retraites par annuités qui est aujourd’hui le notre, le MEDEF et la droite savent que s’ils allongent la durée de cotisation, change l’âge légal de la retraite, supprime l’ « âge-butoir » des 65 ans, ils risquent de se retrouver face à une mobilisation d’ampleur du salariat. Ils se rappellent de 2003 et savent que la prochaine mobilisation sociale pourrait être encore plus importante et les obliger à céder ou à céder la place.

Avec l’adoption de l’un de ces deux systèmes, par points ou notionnels, ils n’auraient plus ce type de mobilisation à craindre. Le passage à l’un ou l’autre de ces systèmes leur permettrait, en effet, d’en finir avec les point de repère collectifs que sont l’âge légal de départ en retraite, le butoir des 65 ans et le nombre d’annuités de cotisation. Elle leur permettrait, également, de se débarrasser, de la contrainte d’avoir à assurer un taux de remplacement minimal du salaire.

Ces résultats seraient la conséquence, dans la retraite par points, de la diminution de la valeur du point. Ils seraient obtenus, dans un système par comptes notionnels, en laissant le « libre choix » au salarié de décider, tout seul dans son coin, soit de rester au travail (s’il a la chance d’être au travail…), soit de prendre une retraite, d’un niveau qui ne lui permettrait pas de vivre.

La retraite par points

Dans la retraites par points, l’équilibre financier du régime serait obtenu en jouant sur le prix d’achat des points et sur la valeur du point. Cette dernière, multipliée par le nombre de points acquis au cours de la carrière, permettrait de déterminer le montant de la retraite annuelle.

Le prix d’achat des points, depuis les réformes de 1993-1996 des régimes de retraites complémentaires du secteur privé, à l’exception d’un court intermède 2001-2003, augmente (au mieux) au même rythme que le salaire. La valeur du point*, quant à elle, augmente au rythme de l’augmentation des prix. Or, les salaires augmentent plus rapidement que l’inflation. Selon les dernières statistiques de l’INSEE, une fois neutralisée l’inflation, les salaires nets annuels du secteur privé ont augmenté en moyenne de 0,6 % par an entre 2002 et 2007[3].

Au total, le rendement des sommes collectées actuellement par l’ARRCO et l’AGIRC, a donc réduit, comme peau de chagrin, le montant des retraites complémentaires et programmé une baisse beaucoup plus importante pour les nouvelles générations qui ne bénéficieront pas du même prix d’achat des points que les précédentes. Mais cela n’a entraîné aucune mobilisation salariale. Les seules mobilisations qui ont eu lieu en défense des retraites complémentaires, se sont déroulées en 2001 parce que le MEDEF a voulu lancer le bouchon un peu trop loin et supprimer carrément la retraite complémentaire entre 60 et 65 ans. Il  suffit, en effet, au MEDEF, dans ces régimes gérés paritairement (50 % de sièges pour le patronat et  50 % pour les organisations syndicales) de trouver la complicité d’une ou deux organisations syndicales dites « représentatives » pour faire la pluie et le beau temps.

Le système de comptes notionnels individuels

Ce système singe les fonds de pension. Le salarié est sensé engranger, chaque année, un « capital virtuel » sur un compte. Ce capital n’est que « virtuel »puisque le système reste un système de retraites par répartition dans lequel les cotisations des salariés ne sont pas versées réellement sur un compte mais servent immédiatement à payer les retraites des retraités du moment.  Il n’y a donc pas de constitution d’une véritable épargne. Tout cela n’est que simulé. Comme dans les fonds de pension, ce capital, tout aussi virtuel qu’il soit, est revalorisé chaque année, comme s’il avait accumulé des intérêts. Le montant de la retraite est calculé en fonction du « capital virtuel » accumulé et de l’espérance de vie de la génération du futur retraité au moment de son départ en retraite. Plus cette espérance de vie est importante, moins le montant de la retraite sera élevé. Pour augmenter le montant de sa retraite, la seule solution est de reculer l’âge de son départ. Le système serait ainsi équilibré automatiquement. C’est exactement la logique des assurances privées dont la philanthropie est proverbiale, de leur «  neutralité actuarielle » et de leurs tables de mortalité.

Les contre-réformes depuis 1993 ont cherché à rapprocher notre système de cette logique assurantielle. La réforme proposée par Bozio et Piketty serait le couronnement de toute cette série de contre-réformes.

En Suède, le premier pays d’Europe à avoir mis en place ce type de retraite, en 1998, le système des comptes individuels notionnels n’assure que 60 % des retraites versées. Les 40 % restants sont assurés par une pension publique « de base » et par des fonds de pension. Bozio et Piketty proposent d’ailleurs de laisser tout ce qui relève de la solidarité de notre système de retraite à l’Etat.  Dans le système qu’ils préconisent, les modalités de calcul de la retraite calquées sur celles de la retraite par capitalisation ont une fonction idéologique évidente : faire croire aux salariés que toute retraite ne peut qu’être basée sur l’accumulation d’un capital et qu’adhérer à un fonds de pension ne serait qu’un petit pas supplémentaire.

Les limites et les dangers des retraites par points sont assez largement connus notre pays, puisque les deux régimes de retraites de complémentaires du secteur privé (l’ARRCO et l’AGIRC) fonctionnent selon ce modèle. C’est pourquoi, dans les paragraphes qui suivent, nous nous attacherons à montrer les dangers du système de compte notionnel et de la présentation pour le moins démagogique qu’en font Antoine Bozio et Thomas Piketty.

Quels seraient les gagnants et les perdants dans un système de comptes notionnels ?


Bozio et Piketty posent cette question mais, curieusement, passent complètement sous silence le fait que le grand gagnant de la mise en place d’un tel système serait le patronat puisque les cotisations retraites resteraient figées au taux actuel de 25 % (cotisations patronales plus cotisations salariales)[4]. C’est exactement ce que demande le MEDEF et ce pourquoi il se bat d’arrache-pied depuis tant d’années.

Les cotisations patronales stagnent depuis 30 ans alors que, à l’horizon 2050, le nombre de retraité augmentera considérablement. Mais Bozio et Piketty considèrent que le système qu’ils proposent aura « la même « générosité » globale»[5]que le système actuel. Ils dédouanent ainsi le patronat d’avoir, en priorité, à augmenter sa part des cotisations retraites.

Désigner des gagnants et des perdants pour ces deux auteurs consistent, au sein du salariat, à déshabiller Pierre pour habiller Paul et surtout ne pas toucher aux profits patronaux. Au total, d’ailleurs c’est l’ensemble des retraites qui diminuerait comme le prévoit, d’ailleurs, tous les scénarios du COR. C’est une ruse vieille comme le monde de la domination et du principe de « diviser pour régner »,  camouflé derrière une prétendue réduction des inégalités entre les retraites.

Le nivellement par le bas

Le calcul du montant de la retraite devrait, selon Bozio et Piketty, bénéficier aux salariés qui, durant toute leur carrière, sont restés cantonnés au salaire minimum puisque la retraite ne serait plus calculée sur les 25 meilleures années mais sur la totalité de la carrière[6]. C’est faux ! Le calcul sur toute la carrière ne changerait rien, en apparence, pour ces salariés puisqu’ils n’auraient pas de « meilleures années », toutes étant identiques et au plancher. Mais tout dépendrait, en réalité, des règles d’actualisation des salaires pris en compte. Si les salaires pris en compte étaient actualisées, comme aujourd’hui, en fonction de l’augmentation des prix et non des salaires, le calcul de la retraite sur 40 ou 42 annuités et non plus de 25 (ou sur les six derniers mois dans la Fonction publique) signifierait une baisse importante du montant de la retraite de ceux dont la carrière serait restée bloquée au plus bas.

Ceux dont la carrière a progressé seraient, certes, encore plus fortement pénalisés : Ils subiraient à la fois l’actualisation des salaires en fonction des prix sur la totalité de leur carrière et le calcul de leur retraite non plus sur leurs 25 meilleures années de salaire mais sur la totalité de leur carrière, soit 40 ans et plus.

Belle satisfaction pour les salariés dont les carrières auraient été bloquées : ils perdraient mais les autres salariés perdraient encore plus ! C’est exactement le nivellement par le bas souhaité par le MEDEF.

La perspective offerte par  Antoine Bozio et Thomas Piketty reviendrait, qui plus est, à accepter la situation qui sévit aujourd’hui et qui fait que des millions de salariés restent bloqué au niveau plancher pendant toute leur carrière. Pour justifier la réforme qu’ils proposent, Bozio et Piketty veulent faire jouer à la retraite un rôle compensateur à l’actuelle politique patronale de blocage des carrières et donc ne rien changer à cette politique. Plutôt que de construire un système basé sur la non reconnaissance des qualifications, il nous paraît nécessaire, au contraire de permette que cette qualification puisse évoluer, concrètement, grâce à une formation professionnelle de qualité, tout au long de la carrière de chaque salarié et que cette qualification soit reconnue par le droit du travail et les conventions collectives.

Quant à ceux qui ont eu des carrières incomplètes parce qu’ils ont été au chômage, en longue maladie ou ont eu des difficultés à accéder à un premier emploi, ils seraient lourdement pénalisés puisqu’au cours de ces années le « capital virtuel » accumulé serait nettement moins important que si le salarié était resté au travail. Or, la solidarité serait exclue du système des retraites et  les reconstitutions de carrières ne pourraient plus avoir lieu, comme aujourd’hui, en France.  En Suède, par exemple, le calcul se fait sur la base des allocations versées pendant le temps de chômage ou de maladie.

Mais Bozio et Piketty ont encore une corde à leur arc pour justifier un système qui signifierait une régression pour l’ensemble des salariés au nom de l’ « équité ». Pour ces deux auteurs, le calcul de la retraite devrait s’effectuer en fonction de l’espérance de vie par catégorie[7]. C’est cela qui devrait, selon eux, permettre aux salariés dont l’espérance de vie est moindre du fait de la pénibilité des travaux qu’ils ont effectués de percevoir une retraite plus importante. Les deux auteurs ont quelques difficultés à définir ce que pourrait bien être ces fameuses catégories et sur quels critères les définir. Les Catégories socio professionnelles de l’INSEE seraient trop larges. D’autres catégories risqueraient d’être trop étroites …

Là encore, il est évident qu’il s’agit de diviser pour régner et de construire un système qui tomberait tout à fait sous la critique que Bozio et Piketty réservent pourtant à notre actuel système de retraites : « Un système ou chacun suspecte les autres de mieux tirer parti des avantages en vigueur»[8]. Sur quels critères justifier, en effet, que les modalités de calcul puissent, par exemple, avantager (de façon toute relative) un ouvrier d’usine mais pénaliser une aide-soignante, un salarié de France-télécom ou une caissière de supermarché ?

Pire, le système que préconisent Bozio et Piketty justifierait les conditions de travail imposées par le patronat. La vraie question, que leurs propositions évacuent, est pourtant de permettre à tous les salariés d’avoir une espérance de vie élevée et donc, d’agir en amont, sur les conditions de travail elles-mêmes. Le système qu’ils préconisent justifie à long terme, au contraire, les pratiques patronales déjà si fortement ancrées. Ils reconnaissent d’ailleurs que « la logique de la compensation par la retraite » de la pénibilité de certains travaux ou de la faiblesse de certains salaires leur « semble source d’effets pervers »[9]. C’est pourtant  exactement la logique du système qu’ils proposent de mettre en place.

Le calcul du montant des retraites en fonction de l’espérance de vie pose un dernier problème et non des moindres. L’espérance de vie des femmes est supérieure de 4,8 ans à celle des hommes. Faudra-t-il, au nom de l’ « équité » dont se réclament Bozio et Piketty diminuer proportionnellement le montant de leurs retraites ? La femme qui aura réussi à devenir cadre, malgré toutes les embûches, n’aurait qu’à bien se tenir et prendre sa retraite à 70 ans ou se contenter d’une retraite qui n’aura pas grand-chose à voir avec son salaire d’activité.

La donnée sur laquelle repose tout l’édifice de ce système n’a rien à voir avec la réalité sociale


Le système préconisé par Bozio et Piketty serait un système totalement régressif s’il ne s’appuyait sur une donnée centrale : la revalorisation annuelle de 2 % (en plus de l’inflation) de toutes les années de cotisation[10].

On se demande bien de quel chapeau les deux auteurs ont sorti ce bel oiseau qui leur permet de prétendre, notamment, que les salariés aux carrières cantonnées au Smic, gagneraient à l’adoption de leur système ou que ces mêmes salariés ne perdraient rien à voir leurs retraites calculées sur la base de la totalité de la carrière plutôt que sur les 25 meilleures années.

Le problème est que ce chiffre de 2 % n’a strictement rien à voir avec la réalité sociale. Les 25 années prises en compte pour le calcul du salaire de référence qui sert de base au calcul de la retraite ne sont plus, depuis 1993, indexées sur les salaires mais sur les prix. Le salaire net moyen  a augmenté, nous venons de le voir, entre 2002 et 2007, au rythme moyen de 0,6 % par an, en plus de l’inflation. Mais Bozio et Piketty estiment qu’il serait possible de revaloriser les années de cotisations de 2 points de plus que l’inflation et donc de 1,4 point de plus que les salaires ! Quel rapport de force permettrait de réaliser ce miracle ?

Pour imposer une telle revalorisation annuelle au MEDEF et au gouvernement de Nicolas Sarkozy, il ne suffirait pas de discuter courtoisement dans des salons feutrés mais il faudrait une mobilisation sociale de très grande ampleur. Comment penser que les salariés pourraient se mobiliser pour le système prôné par Bozio et Piketty, c’est-à-dire pour un saut dans l’inconnu où disparaîtraient tous leurs points de repère (âge légal de la retraite, durée de cotisation, âge-butoir des 65 ans, nombre d’années prises en compte pour le calcul de la retraite, taux de remplacement…) ?  Que ceux qui sont prêt à se mettre la tête dans un sac et à faire confiance à Laurence Parisot et à Nicolas Sarkozy pour sauver leurs retraites lèvent la main !

Il est vrai que sans cette esbroufe, la proposition Bozio-Piketty se réduirait à ce qu’elle est en réalité : la perspective d’une régression considérable de nos retraites afin de ne pas augmenter les cotisations patronales et de faire une place de choix aux fonds de pension.


Un système où tous les risques reposeraient sur les salariés

Le système préconisé par Bozio et Piketty nous ferait passer d’un système à prestations définies à un système à cotisations définies. Le contraire exactement de ce pourquoi nous combattons.

Dans le premier système les cotisations doivent augmenter en fonction des prestations à fournir et donc, notamment, en fonction de l’augmentation du nombre de retraités. Ce système a été profondément altéré par le refus du MEDEF d’augmenter les cotisations retraites patronales et par les conséquences de ce refus : l’allongement de la durée de cotisation, la baisse du montant des retraites depuis 1993. Mais ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain et pour adopter un système à cotisations définies. Il faut au contraire défendre le « bébé » et revenir à un système où les cotisations augmenteraient en fonction de l’augmentation du nombre de retraités et de la reconnaissance par la retraite des qualifications acquises pendant le travail.

Dans un système à cotisations définies, les salariés ne seraient sûrs que du montant – à moyen et à long terme – de leurs cotisations. Le montant de leur retraite dépendrait du nombre du « capital virtuel » accumulé et de l’espérance de vie au moment de leur départ en retraite. La caisse de retraite ne s’engagerait qu’à percevoir les cotisations et ne s’engageraient à rien quant au montant de la retraites (comme le pratiquent la plupart des fonds de pension). L’équilibre financier s’établirait donc automatiquement au détriment des retraités et l’augmentation du nombre de retraités liée à l’allongement de l’espérance de vie serait mise, automatiquement, à la charge exclusive des salariés. Bozio et  Piketty reconnaissent, cependant, que ce système ne permettrait pas de faire face au « papy-boom »[11]et appellent à abonder le Fonds de Financement des Retraites, c’e qui revient, nous l’avons vu, à jouer en Bourse une partie de nos retraites.

Le système préconisé par Bozio et Piketty aurait une autre conséquence soulignée par les deux auteurs : « A partir du moment où dans le nouveau système proposé le taux global de cotisations de retraite est fixé à 25 % dans le public comme dans le privé, il est inévitable que la générosité globale des retraites des fonctionnaires décline »[12] .Pour compenser cette baisse de leur pension, les deux auteurs  proposent que cette baisse soit effectuée « en échange d’une augmentation structurelle de leur salaire »[13]. Mais ils doivent se rendre compte du scepticisme que rencontrerait leur proposition puisqu’ils ajoutent « Nous ne sous-estimons pas le caractère extrêmement délicat d’une telle transition, en particulier en termes de crédibilités des engagements salariaux de l’Etat »[14]. Ce n’est rien de le dire !

Dans un tel système, ce serait également aux salariés, d’assumer les chocs économiques qui pourraient se produire. Ainsi, en Suède, l’indexation des retraites sur la masse salariale (et non sur le salaire moyen) devrait, avec la récession qu’a connu la Suède,  entrainer une baisse catastrophique de 4,5 % des retraites en 2010[15].

Un système qui évacuerait toute solidarité de notre régime de retraite


Aujourd’hui, notre système de retraites est à la fois contributif (lié aux cotisations versées) mais aussi solidaire c’est-à-dire qu’il tient compte des situations de chômage, de maternité, de maladie en validant des trimestres, en attribuant des trimestres par enfant élevé, en majorant les retraites de celles qui ont élevés trois enfants ou plus, il reconstitue des carrières lorsqu’elles ont été par trop malmenées…

Dans le système préconisé par Bozio et Piketty, la solidarité serait, consciemment, totalement évacuée du système de retraite qui ne serait plus qu’un système contributif*. La solidarité serait mise, à part, à la charge de l’Etat : « Tous les avantages de retraites non contributifs sont financés par un budget séparé (un prélèvement distinct ou inclus dans le budget de l’Etat) de celui de l’assurance vieillesse »[16].L’expérience nous montre pourtant ce qu’il en est lorsque la solidarité est prise en charge par l’Etat. Elle devient de l’ « assistance » et ceux qui n’ont pas d’autres moyens pour survivre sont montrés du doigt, stigmatisés, leurs allocations constamment rognées. Avec l’abandon de la solidarité à l’Etat et les contre-réformes de nos retraites déjà mises en place, couronnées par le système prôné par Bozio et Piketty, nous reviendrions dans deux décennies à la situation qui prédominait dans notre pays, lorsque les « vieux » n’étaient  pas encore des retraités, mais des « assistés », lorsque vieillesse signifiait presqu’automatiquement pauvreté.

La désinvolture avec laquelle le gouvernement de Nicolas Sarkozy joue avec l’Allocation Equivalent Retraite (AER), d’abord supprimée au 1er janvier 2010 puis reconduite ensuite pour la seule année 2010 devrait pourtant être un clair avertissement de ce que signifierait laisser au bon plaisir de l’Etat les retraités les plus fragiles.

Un système qui ne serait pas plus lisible

Aujourd’hui, nous disent Bozio et  Piketty, les salariés ne s’y retrouvent pas car il existe 38 régimes de retraites. Il faut donc unifier tout cela.

Certes, ce serait mieux, mais les régimes actuels sont le produit de l’histoire et leur unification ne pourra se faire à la hussarde comme ils le préconisent. D’autant qu’il n’y a quand même pas le feu au lac. Aucun salarié, bien évidemment, ne dépend de ces 38 régimes de retraites à la fois. Dans leur étude, les deux auteurs reconnaissent eux-mêmes que « chaque retraité touche en moyenne des pensions provenant de 2, 3 régimes différents»[17]. C’est un peu différent de 38 !

Les efforts d’information faits par les caisses de retraites commencent à porter leurs fruits. Et surtout, la difficulté de savoir, aujourd’hui, quel sera le montant de sa retraite et à quel âge elle pourra être prise ne vient pas du nombre de régimes mais bien des contre-réformes qui cherchent à faire perdre tous repères aux salariés pour les détourner de la retraite par répartition.

Le régime transitoire durant lequel nous passerions du système actuel au système préconisé par Bozio et Piketty, devrait selon eux  s’étaler entre 10 et 20 ans. Pendant toute cette période, les 38 régimes mis en avant par nos deux auteurs coexisteraient donc avec le nouveau. Belle simplification en vérité au cours des 10 ou 20 prochaines années, les plus cruciales pour l’avenir de nos retraites. Une période où tous les coups seraient permis, tous les repères ayant été brouillés.

Gardons nos repères !

Un système où les  retraités n’auraient plus l’espoir de profiter de l’allongement de l’espérance de vie


La productivité du travail* augmente chaque année et avec elle la richesse de notre pays, le PIB. Avec le système préconisé par Bozio et Piketty, l’augmentation de la richesse de notre pays ne pourrait pas être utilisée pour permettre aux retraités de profiter de l’allongement de l’espérance de vie.

Le montant des cotisations serait plafonné à 25 % du salaire une fois pour toute. Aucune augmentation de ces cotisations ne pourrait desserrer l’étreinte dans laquelle serait pris chaque salarié : ou rester plus longtemps au travail ou partir en retraite avec un montant de retraite réduit proportionnellement à l’augmentation de l’espérance de vie de sa  génération au moment où il prendra sa retraite.

C’est exactement, là encore, la position du MEDEF qui espère bien que la part de la richesse nationale qui devrait revenir aux retraités pourra être captée par les profits des entreprises.

Bien sûr, notre système de retraite n’est pas parfait et souffre de bien des inégalités, d’autant que la droite et le patronat ont tout fait depuis 17 ans pour qu’il en soit ainsi. Nous proposerons au chapitre suivant des mesures concrètes qui permettraient de réduire ces inégalités par le haut et au dernier chapitre les moyens de financer ces mesures.


[1]Antoine Bozio et Thomas Piketty « Pour un nouveau système de retraite – Des comptes individuels de cotisations financés par la répartition » Editions ENS rue d’Ulm 2008.

[2]« Un changement de système ferait baisser les retraites » entretien à l’Express, par Corinne Lhaïk, publié les 28 janvier 2010.

[3]Insee- Les salaires en France, édition 2010. Tableau (P.5) « Le salaire annuel net moyen en 2007 d’un salarié à temps complet et son évolution annuelle moyenne sur la période 2002-2007 »

[4]Antoine Bozio et Thomas Piketty. Ibidem.  P. 17.

[5]Ibidem. P. 18.

[6]Ibidem. P. 37.

[7]Ibidem. P. 44.

[8]Ibidem. P.12.

[9]Ibidem. P. 58.

[10]Ibidem. P. 40.

[11]Ibidem P. 75.

[12]Ibidem. P. 66.

[13]Ibidem P. 66.

[14]Ibidem. P. 67.

[15]Alternatives économiques 26 novembre 2009 – « Retraites : le modèle suédois et ses limites » – Philippe Frémeaux, Wojtek Kalinowski.

[16]Antoine Bozio et Thomas Piketty. Ibidem. P. 15.

[17]Ibidem. « Introduction : pour une refonte générale de notre système de retraite ». P. 11.

 

 

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