En Hongrie, Frida Kahlo, Trotski et l’apologie du communisme

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Un journal proche du premier ministre souverainiste Viktor Orban s’en prend à une exposition consacrée à la peintre mexicaine. En cause, l’évocation de sa liaison avec le révolutionnaire bolchévique.

LE MONDE | 31.08.2018 à 14h57 • Mis à jour le 01.09.2018 à 08h20 | Par Blaise Gauquelin (/journaliste/blaise-gauquelin/)(Budapest, envoyé spécial)

Adriana Lantos pensait avoir offert au public une exposition des plus consensuelles. Mais depuis le 7 juillet et l’inauguration de la rétrospective Frida Kahlo, dont elle est la curatrice, on accuse la Galerie nationale hongroise de faire l’apologie du communisme. Un reproche infamant, dans cette ancienne république satellite de l’Union soviétique ayant beaucoup souffert du joug stalinien.

Tout commence avec un papier dans Magyar Idök, un journal favorable au premier ministre souverainiste Viktor Orban. Au détour d’un article intitulé « Voilà comment on promeut le communisme avec de l’argent public », l’exposition de la peintre mexicaine est listée aux côtés d’autres événements culturels subventionnés, jugés complaisants envers l’ancien régime.

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« Vous n’allez pas le croire, mais Trotski vient de réapparaître à Budapest, cette fois dans le lit de Frida Kahlo », écrit ironiquement le journal, en référence à la romance entretenue entre l’artiste et l’un des leaders de la révolution bolchevique, durant l’exil tardif de ce dernier au Mexique.

A la fin de l’exposition – financée par le gouvernement hongrois avec la coopération du Museo Dolores Olmedo de Mexico – est évoquée sans détour « la forte influence sur Frida qu’eut cet orateur extraordinairement intelligent ». Il s’agit là de « faits historiques », se défend Adriana Lantos :« Nous présentons aussi, c’est vrai, un film d’archives où l’on voit Frida Kahlo en présence de Trotski. Nous avons fait le choix de le diffuser, parce que cette rencontre a joué un rôle important dans la vie de l’artiste. Il faut replacer les choses dans leur contexte. »

Pourchassé par Staline, Trotski avait obtenu la protection du Mexique grâce au peintre Diego Rivera, le mari de Frida Kahlo. Entre janvier 1937 et
avril 1939, il avait même vécu avec sa femme dans la maison du couple, à la Caza Azul. C’est à ce moment-là que le révolutionnaire et la féministe ont eu une liaison.

« Les accessoires de Frida Kahlo étaient une extension de son art » (/m- styles/article/2018/08/01/les-accessoires-de-frida-kahlo-etaient-une-extension-de-son-art_5338120_4497319.html)

Depuis l’article du Magyar Idök, pas un jour sans qu’Adriana Lantos n’ait à répondre sur sa volonté de glamouriser un régime criminel avec l’évocation de cette romance. Elle qui pensait qu’on allait l’interroger sur les liens entre Frida Kahlo et le photographe Nickolas Muray, d’origine hongroise ! Ou sur les raisons obscures poussant la Mexicaine à s’inventer des racines dans les terres lointaines de Transylvanie qui la fascinaient…

Pression sur les élites culturelles

Cette polémique autour de l’exposition est la dernière tentative de pression effectuée sur les élites culturelles du secteur public en Hongrie, héritières de l’ouverture en 1989 et orientées vers l’Occident. Considérées comme étant beaucoup trop libérales, elles seraient un frein à la volonté du premier ministre, qui entend contrôler l’ensemble des sphères d’influence à Budapest.

« NOUS PRÉSENTONS UN FILM D’ARCHIVES OÙ L’ON VOIT FRIDA KAHLO EN PRÉSENCE DE TROTSKI. CETTE RENCONTRE A JOUÉ UN RÔLE IMPORTANT DANS LA VIE DE L’ARTISTE. » ADRIANA LANTOS, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION

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Lire aussi :

https://abonnes.lemonde.fr/m-actu/article/2018/08/31/en-hongrie-frida-kahlo-trotski-et-l-apologie-du-communisme_5348625_4497186.html 1/2

1/9/2018 En Hongrie, Frida Kahlo, Trotski et l’apologie du communisme

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Lire aussi : Viktor Orban se pose en recours contre Emmanuel Macron en vue des européennes (/europe/article/2018/07/30/viktor-orban-se-pose-en-recours-contre-emmanuel-macron-en-vue-des- europeennes_5337453_3214.html)

Le 28 juillet, Viktor Orban, décrié pour avoir porté atteinte à l’état de droit dans son pays, membre de l’Union européenne depuis 2004, a estimé qu’il était temps de construire une « nouvelle ère culturelle ». Depuis, ses relais d’opinion dans la société civile se chargent d’expliquer à quoi pourrait ressembler ce changement radical. (/idees/article/2018/07/05/le-putsch-democrate-chretien-d-orban_5326370_3232.html)

Cité par l’agence de presse Reuters, Tamas Fricz, un politologue acquis à la cause de l’exécutif, a par exemple jugé qu’il est désormais nécessaire de mieux refléter les aspirations esthétiques de la majorité en place, le gouvernement « ayant le droit de privilégier les idées, les artistes et les travaux conservateurs ».

Pas de quoi décourager pour autant le public qui vient en masse découvrir Frida Kahlo, exposée pour la première fois dans ce pays d’Europe centrale. En un mois, 50 000 personnes avaient déjà poussé les portes monumentales de la Galerie nationale hongroise (http://mng.hu/en) , perchée sur les verdoyantes collines de Buda.

 

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