Gilet jaunes : « Une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité »

 

 

lire Pierre  Kropotkine     »La grande révolution »

Voilà le livre qu’il vous faut lire pour la simple raison qu’il dit que c’est le peuple qui fait les révolutions, et c’est pour ça qu’elles font si peur à ceux d’en haut, soit qu’ils la combattent, soit qu’ils l’approuvent ou feignent de l’approuver tout en cherchant à en tirer profit.

 

Les « gilets jaunes » ont surgis dans la France de 2019 du fond du coeur du pays.  Ils se sont attaqués aux taxes sur l’essence imposées par la finance régnante tout comme les révolutionnaires qui ont pris la Bastille se défendaient face au symbole immédiat de la tyrannie royale.

 

C’est toujours ainsi que commencent les révolutions : poussés par la nécessité, des centaines de milliers d’humains se mettent en mouvement pour leur survie, à partir d’une question précise,  parfois inattendue, surprenante, d’un objectif précis.  Et puis ça s’étend. Derrière les premières vagues, le tsunami.

 

Le peuple de Paris est allé à Versailles en 1789 chercher « du pain » et c’est en forçant « le roi, la reine et le petit marmiton » à revenir dans la capitale qu’il a ouvertes les portes de la révolution puis de la république.  C’est à ce mouvement populaire là que la Révolution est redevable.

 

Celui qui aurait voulu commander l’inverse et dire « - Allons à Versailles et nous couperons la tête du roi, nous ferons la République » n’aurait pas été suivi. Parce que ce sont ceux d’en bas qui décident, pas ceux d’en haut qui parlent en leur nom.

 

Parce que l’expérience populaire  révolutionnaire collective est nécessaire  pour passer de la question du pain à la question du pouvoir.

 

Ce ne sont pas les idées libérales des « Lumières »  mais les étincelles des besoins matériels, de la résistance à l’oppression, qui mettent le feu aux poudres, c’est la faim, c’est le pain, c’est l’impérative exigence de remplir l’assiette.

 

Pierre Kropotkine sur la révolution française : « Le pain  était le motif premier du mouvement. Même si bientôt s’y joignaient des réclamations dans le domaine où les conditions économiques et l’organisation politique se touchent – le domaine dans lequel populaire procède toujours avec le plus d’assurance et obtient des résultats immédiats » (.p 39).

 

Et ça, l’élite d’en haut, que ce soit la noblesse puis la bourgeoisie, puis l’oligarchie ne veulent en tous temps, jamais l’admettre ni le reconnaitre. Ils le nient, le dénient, de toutes leurs forces. La terreur de « la foule haineuse », comme la qualifie Macron,  est ce qui les frappe le plus surement, les rend fous de rage.

 

Les « gilets jaunes » ont fait en 2018, 2019 l’objet d’une campagne de calomnies, de dénigrement d’une violence sans précédent : analphabètes, alcooliques, illettrés, paresseux, fainéants, vermine, voleurs, casseurs, pillards, violents,  homophobes, racistes, antisémites, fascistes, affreux « jojo », et quantité d’autre périphrases, les reléguant aux poubelles de la société.

Les Communards de mars à mai 1871 avaient été traités pareil, jusqu’à interdire leurs souvenir derrière « le temps des cerises ».

En son temps, de Gaulle avait traité les manifestants de mai 68 de « chienlit », c’était plus dense mais c’était pareil.

Il en avait été ainsi dans toutes les révolutions, en 1848 ou 1871 en France, au Mexique ou en Russie.

 

Les bourgeois de tous temps s’en sont pris au peuple révolutionnaire, seuls les révolutionnaires conséquents refusaient de ne pas l’entendre : « Quiconque attend une révolution sociale « pure » ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. (…) La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement : sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible. Et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales [1] dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme.» (Lénine 1916).

Les ouvrières et ouvriers du quartier de Vyborg qui traversèrent des jours durant la Neva gelée, à pied, pour affronter, au centre de St Petersbourg,  les fusils du tsar, n’avaient  pas idée du socialisme,  elles voulaient « la paix, le pain, la terre » et poussèrent jusqu’au bout les bolcheviks hésitants.

 

« Une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité » voilà une belle description de toute les lames de fond qui annoncent la révolution, puis la nourrissent.  Des centaines, des milliers de révoltes ont  ainsi éclaté en 1788,  dans tout la France, malgré une répression féroce.

 

A ne point les entendre à temps, les révoltes, Sire, deviennent révolution.

 

Les articles, dessins, photos ont abondé pour faire la description des sans culottes, des « géants » de 48, des Communards, des Bolcheviks comme des soixante-huitards et…   des gilets jaunes.

 

Eric Vuillard, (auteur excellent et pas seulement de son Goncourt de 2017 « l’ordre du jour » consacré aux modalités de la prise du pouvoir par Hitler) dans « 14 juillet » fait la recension des révolutionnaires qui ont pris la Bastille. Il les décrit un par un, dans leur force primaire, dans leur engagement manuel, dans leur brutalité révoltée : un diamant, la révolution  à la fois pure et impure.

 

Ré éditer Pierre Kropotkine en 2019,  « La grande révolution » c’est aller chercher les gilets jaunes de l’époque derrière la bourgeoisie du XVIII° siècle, derrière les sans culottes, derrière le tiers état.

 

Tout comme Lissagaray a décrit les Communards.

Tout comme dans son « histoire de la révolution russe » Léon Trotski, décrit le déferlement des ouvrières et ouvriers de Vyborg en février et octobre 1917.

 

En ces temps barbares 1788, 1789  où le Roi emprisonnait, torturait et exécutait à son gré, ceux qui coupèrent les têtes du gouverneur Launey et de sept des défenseurs de la Bastille, n’ont pas fait peur seulement à tous les nobles, mais à tous les bourgeois, à tous les marchands, à tous les accapareurs.

« A la vue des ces hommes en guenilles et femmes en loques, affamés, armés de gourdins et de piques,  la terreur inspirée par ces spectres de la faim descendus dans les rues, fut telle que le bourgeoisie n’en put revenir ».(p.61)

 

A peine quatre mois après la Bastille (83 tués sur place, 15 morts de leurs blessures, 13 estropiés, 60 blessés, 7 décapités) le régime crevait de peur.

 

Alors, le 6 octobre 1789,  « l’envahissement du palais même par le peuple fut un de ces échecs dont la royauté mourante ne se releva plus. Lafayette eut beau faire applaudir le roi lorsqu’il parut sur un balcon. Il put même arracher  à la foule de l’applaudissement pour la reine, en la faisant paraître sur le balcon avec son fils et en baisant respectueusement la main de celle que le peuple appela bientôt « la Médicis », tout cela n’était qu’un effet de théâtre. Le peuple avait compris sa force – et il usa de suite de sa victoire pour forcer le roi à se mettre en route pour Paris. » (p. 110)

« Le peuple a toujours un sentiment vrai  de la situation alors même qu’il ne sait l’exprimer ni correctement ni appuyer ses prévisions par des arguments de lettrés ; et il devinait, infiniment mieux que les politiciens, les complots qui se tramaient aux Tuileries et dans les châteaux ». (p.170)

 

Du coup ceux d’en haut répriment. Par tous les moyens : « L’assemblée nationale vota bientôt (le 1O aout) une mesure draconienne contre les paysans révoltés. Sous prétexte que l’insurrection était l’œuvre de brigands, elle autorisé les municipalité à requérir les troupes à désarmer les hommes sans profession et sans domicile, a disperser les bandes, et à les juger sommairement »(p.93 du livre de Kropotkine )

 

« Quant à la police, la bourgeoisie se mêla de tout : réunions, journaux, colportage, annonces, afin de supprimer tout ce qui lui était hostile. Et enfin les Trois Cents (…) allèrent implorer de l’Assemblée une loi martiale que celle-ci s’empressa de voter. Il suffisait désormais qu’un  officier municipal fit déployer le drapeau rouge pour que la loi martiale soit proclamée : alors tout attroupement devint criminel, et la troupe, requise  par l’officier municipal, pouvait faire feu sur le peuple après trois sommations. (P 122).

 

« Trois sommations » On croirait entendre les mots emplis de bêtise crasse de la députée O ‘Petit d’ « En marche » le 12 mars 2019 quand Macron envisagea l’appel à la troupe.

 

Ou bien pire : les appels de la tsarine d’origine allemande, princesse de Hesse, élevée à Windsor, en Angleterre. Contre la révolution de Février 1917,  « Elle tentait de s’assimiler avec une froide frénésie, toutes les traditions et suggestions du moyen-âge russe, de tous les plus indigents et les plus grossiers, en une période où le peuple faisait de puissants efforts pour s’émanciper de sa propre barbarie médiévale. « S’étant élevée de son trou de province jusqu’aux sommets du despotisme byzantin, elle ne voulait pour rien au monde en redescendre. Elle trouva dans l’orthodoxie une mystique et une magie assortie à son nouveau destin. Forte de caractère, capable d’une exaltation sèche et rassise, la tsarine complétait le tsar veule en le dominant ». (Léon Trotski, la Révolution russe »)

Le 17 mars 1916, alors que l’épouvantable guerre mondiale tournait mal, en Russie (7,5 millions de morts) et que les conseillers du tsar paniquaient autour de lui, à cause de la révolution débutante, la tsarine était capable d’écrire à son mari : « Tu ne dois pas te laisser fléchir, pas de ministère responsable, etc. – rien de ce qu’il veulent. Cette guerre doit être ta guerre, et la paix, ta paix, à ton honneur, et à celui de la patrie, mais en aucun cas à l’honneur de la Douma. Ces gens-là n’ont pas à dire même un seul mot sur ces questions. »

Dans la France de 1871, Thiers et l’Assemblée royaliste avaient organisé la provocation systématique des Parisiens assiégés par Bismarck : défilé de l’armée prussienne dans la capitale, déplacement de l’Assemblée à Versailles, obligation de régler immédiatement les dettes des mois du siège de Paris où toute activité économique avait cessé (150 000 personnes jetées dans la misère), suppression de la solde quotidienne des membres de la Garde nationale, essai de s’emparer des 227 canons payés par souscription durant le siège face à l’armée allemande…  Lorsque les Parisiens se mobilisèrent,  Thiers refusa toute négociation, il voulut une répression sanglante pour éliminer définitivement les partisans de la République sociale et du socialisme. Appuyé par les Allemands proches, avec le royaliste Mac Mahon à la tête des troupes chargées de prendre Paris il réussit un massacre historique en une seule semaine : 25 000 exécutions.

Avec les nobles et le clergé, le « Tiers état » de 1789 avait déjà bien compris et rapidement devancé la nécessité pour ceux d’en haut de réprimer le peuple, même celui et surtout celui qui venait tout juste d’abattre la Bastille.

Pierre Kropotkine (1841-1921) débusque les fake news de l’histoire de la grande Révolution française (1789-1793), et souligne que face à la loi du 21 octobre 1789, instaurant la loi martiale, afin d’écraser le peuple, il n’y eut que les voix de Marat, de Robespierre et de Guizot pour protester. (p.112). « dans le cas ou, après les sommations faites, les personnes attroupées ne se retireraient pas paisiblement, la force des armes sera à l’instant déployée contre les séditieux sans que personne soit responsable des événements qui pourront en résulter (article 7).

Pas de démocratie pour le peuple : le projet de constitution des Girondins introduisait le referendum ou la législation directe, mais avec des règles si compliquées qu’elles le rendaient illusoires… Il faut lire Brissot pour comprendre tout ce que préparaient les bourgeois d’alors pour la France et ce que les brissotins des siècles suivants ont préparé et préparent encore : les partageux sont combattus car ce sont « des prédicateurs contre les riches, contre les accapareurs », Brissot explosa de colère « contre les terrassiers du camp de Paris qui demandèrent un jour que le salaire des députés et le leur fusent à égalité… oh les misérables ! » (p.232)

 

« La bourgeoisie française, le Tiers Etat, avait déjà entrevu l’organisme politique qui allait se développer (…) déjà depuis le commencement du XVIII° siècle, l’étude de l’Etat et de la constitution des sociétés policées fondées sur l’élection de représentant était devenue – grâce à Hume, Hobbes, Montesquieu, Rousseau, Voltaire, Mably, d’Argenson, etc. – une étude favorite à laquelle Turgot et Adam Smith vinrent ajouter l’étude des questions économiques et du rôle de la propriété dans la constitution politique de l’l’Etat. C’est pourquoi bien avant que la révolution n’eut éclatée, l’idéal d’un Etat centralisé et bien ordonné, gouverne par les classes qui possèdent des propriétés foncières ou industrielles, ou qui s’adonnent à des professions libérales, fut déjà entrevu et exposé dans une grand nombre de livres et de pamphlets … La bourgeoisie française au moment d’entrer en scéne, en 1789, à la remorque du peuple révolté, savait bien ce qu’elle voulait ! (p.17) « Certainement elle n’était pas républicaine, l’est elle aujourd’hui même ? «

« Il fallait non seulement écraser le peuple qui venait de faire la révolution, mais il fallait pour les représentants du tiers état, (les bourgeois) ce que les économistes ont appelé la liberté de l’industrie et du commerce, mais qui signifiait d’une part, affranchir l’industriel de la surveillance méticuleuse et meurtrier de l’Etat, et d’autre part, obtenir la liberté d’exploitation du travailleur, privé de libertés. Point d’union de métiers, point de compagnonnages, f jurandes, ni de maitrises, qui pourraient mettre un frein quelconque a l’exploitation du travailleurs salaire, point de surveillance non plus, de l’Etat, qui gênerait ‘l’industriel ; point de douanes intérieures, ni de lois prohibitives. Liberté entière des transactions pour les patrons, et stricte défense des « coalitions » entre travailleurs. Laissez faire les uns et empêcher les autres de se coaliser. « p.19

 

« Ce sont donc les riches, qui depuis quatre ans, ont profité des avantages de la révolution : c’est l’aristocratie marchande, plus terrible que l’aristocratie nobiliaire, qui nous opprime, et nous ne voyons pas le terme de leurs exactions, car le prix des marchandises augmente d’une manière effrayante, Il est temps que le combat a mort, que l’égoïsme livré a la classe la plus laborieux, finisse,  La propriété des fripons est elle plus sacrée que de la vie de l’homme ? (Kropotkine p318)

 

Kropotkine, c’est une ode à l’égalité et au peuple qui l’exige dans toutes les révolutions.

 

Partout sur la planète qui en a tant besoin, en tous lieux et en tous moments il y a des tentatives révolutionnaires en cours. Jusqu’à présent elles n’ont pas abouti,  les contre-révolutions, les « Thermidor »  l’ont emporté. Ceux d’en haut, jusque là toujours réussi à marcher sur les têtes de ceux qui avaient réellement combattu et descendu contre les tyrans. Staline fut aux Bolcheviks en 1927-1933 ce que l’empereur Napoléon fut en 1804, aux preneurs de la Bastille.  Il n’y a jamais eu  de socialisme ni de communisme nulle part.

 

Mais comprendre en lisant Kropotkine ce que fut le rôle du peuple en 1789-1793, c’est comprendre 230 ans de luttes révolutionnaires, et c’est mieux lire l’avenir.

 

Le salariat, à la différence de la bourgeoise de 1789, n’a pas le pouvoir économique, mais il a une force numérique, une culture, une expérience, une place décisive et irremplaçable dans le processus de production, et des institutions représentatives (syndicats, IRP, CE, CHSCT, DP, DS, code du travail, conventions collectives, médecine du travail, justice du travail, inspection du travail, sécurité sociale, protection chômage, accidents, logement, famille, retraite). Le salariat n’a que sa force de travail à vendre. Le travail n’enrichit pas, c’est l’exploitation du travail des autres qui enrichit.  Se libérer de l’exploitation, c’est forcement s’émanciper. Mais le salariat d’aujourd’hui c’est le peuple, c’est la classe sociale qui conduira la révolution sociale et démocratique jusqu’au bout, balayant toutes les répressions et toutes les trahisons.

 

GF

 

 

PS : Peut être, avant de dévorer le livre de Kropotkine, ce qui va vous ouvrir les clefs de l’actualité révolutionnaire, aviez vous lu Albert Soboul, ou écouté Henri Vuillemin, là, vous avez un autre récit, discutable, mais fabuleux, et surtout qui n’entre pas dans les livres épurés et versions falsifiés des écoles du ministre Blanquer.

 

 

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