C’était pas ça la Ligue !

 

Les éditions Syllepse ont publié en novembre 2018 un opus de presque 800 pages, signé par deux militants venus du maoïsme et de l’OCT et qui avaient rejoint la LCR (1) Il est intitulé sans nuance : « C’était la ligue ». Il s’agit, comme il l’écrivent au début et à la fin, d’un témoignage, d’un travail de « passeur » tant il est vrai qu’il ne peut y avoir « d’histoire officielle ». Et, en effet, ca n’en est pas une, ils abusent, ce n’était pas ça la Ligue !

 

Les militants de la LCR ont été un triple produit historique du mouvement ouvrier, trotskiste, un produit du mouvement social, mai 68, et un produit des luttes de classes,  de la jeunesse et du salariat quatre décennies durant.

 

In vivo, il y a eu un fantastique brassage, mais, dans ce livre il s’agit d’un immense nettoyage. Ca se veut consensuel, c’est polémique. Ca se veut de bon sens, c’est de la combine. Et là ou c’est acide, ils ont mis du miel par dessus. C’est le point de vue d’un petit groupe interne un temps appelé « groupe de travail ». C’est leur vision mais on n’a pas vécu ça. Ils ont le droit d’avoir leur point de vue bien sur. Mais ce n’était pas ça, la ligue.

 

Quant a on a agi profondément et à un niveau central toute cette période, on ne peut pas s’y reconnaître.

 

On ne cesse de se mettre en colère tout au long, devant la partialité, la mauvaise foi, l’épuration des réalités et des idées les plus importantes. Le grand public passera à coté, mais pas les militants concernés. Chaque phrase chaque paragraphe, le plan même, ferait, si l’on avait le temps de la ré écriture, l’objet d’une autre version, d’un détail différent en tous points.

 

On y cherche la vérité en permanence car même quand elle est approchée, ce n’est pas un bon alcool,  elle n’a pas le goût de la vérité.

 

Ce livre a bien le droit d’exister, il est une compilation de récits qui leur appartient, il est la version d’une histoire « interniste », tournée sur elle même, sectaire et codée d’après la relecture sélectionnée, révisée, par un des (petits) courants qui a survécu à l’intérieur de cette organisation au milieu du grand maelstrom idéaliste et militant qu’elle fut.

 

Ceci n’est pas malhabilement fabriqué c’est même trompeur car le récit semble donner à tout le monde, il se veut main stream, conciliant, faussement consensuel, mais en fait, il ne l’est pas du tout, ce sont des « Lettres de mon moulin », du petit cousin par alliance du meunier adressées à ceux de ses fils qui voudront bien y croire.

 

Les poissons sont noyés, les contre-vérités limées, les épisodes triés et mélangés, mais pour qui connaît bien il s’agit d’un règlement de comptes manifestement fractionnel,  il s’agit du point de vue bien identifié à mi chemin d’une partie d’une des tendances (3) et des soubresauts éclatés de la majorité, récit systématiquement opposé à celui qui fut le combat de l’autre tendance, la 1.

 

Ca ne part pas de la culture du trotskisme, ça ne prend pas en compte la profondeur de mai 68, ni la richesse multiple et pluraliste qui a été celles de nos sources, de nos idées et de nos combats.

 

ca ne part du mouvement réel des masses, mais de la lecture des rubriques de Le Monde.

 

tant que les lapins n’ont pas d’historiens, l’histoire est faite par les chasseurs, là ce sont des lapins qui font le boulot des chasseurs.

 

C’est un récit par le bout de leur « lorgnette »,  partisan, qu’il ne faut surtout pas « avaler » comme ça, disons le aux historiens, aux vrais, il doit être presque totalement décrypté et ré écrit à l’envers !

 

Qu’on se rassure, je ne le ferai pas, parce que j’ai déjà donné en grande partie ma version dans « Mai 68 histoire sans fin ». Et moi je ne prétendais pas du tout faire une histoire complète intitulée « C’était comme ça… »  J’ai plutôt chercher à faire un travail de mémorialiste, engagé, partisan, sincère, sans manœuvrer les faits, ni manipuler les points de vue, je disais ce que je pensais, je laissais aux historiens sérieux le soin de trier.

 

Je répète bien : « aux historiens ». Pas aux idéologues de passage, soucieux de pérenniser leurs petits points de vue clanique.  Avec eux, l’histoire est racontée sous l’égide de quelques artisans chasseurs et les lapins – dont je suis – doivent se défendre (1)

 

1)

 

Les militants de la ligue étaient un produit du « dehors », pas moulinés du dedans comme ce livre ressasse, pas produit d’une secte, mais produit de l’histoire, de notre classe sociale et de l’action de masse.

 

J’ai baigné dans la direction des premières JCR avant les ICR,  dans la direction de la LC avant la LC, et j’y suis resté pendant près de 30 ans, bon an mal an. Ma contribution « Mai 68 histoire sans fin » raconte donc 1965-1994 avec un point de vue très partial mais totalement différent.

 

Je n’ai jamais apprécié le caractère récit interne, story stelling « entendu », le coté « familial », clanique, du reste du noyau dirigeant de la LC et de la LCR. Je n’en étais pas. Je ne détenais pas ces « codes » qui influencent tant nos deux auteurs.

 

Le fait en est que je venais de Sotteville-lès-Rouen, que je devais être le seul d’origine ouvrière et en ces temps là, ouvrier moi-même, et que la majorité de mon temps était dévoré par ce qu’on appelait « le travail de masse », syndical, UNEF, en direction très large des jeunes et salariés. Je voulais continuer à regarder au loin, les gens normaux, hors du « cercle » du bureau de l’impasse Guémenée, et non pas vivre selon les quelques articles, lignes et reflets que le journal Le Monde voulait bien donner de nous.

 

A tort, j’avais une défiance tout provinciale envers les activistes parisiens, et toute intellectuelle envers ceux qui n’étaient pas de ma classe sociale. Je dis bien « à tort » : car c’étaient des préjugés infondés mais ils m’ont protégé de gober bien des bêtises et bien des préjugés gauchistes dominants à la mode en ces années-là.

 

La LCR ne se comprend qu’en dehors de la LCR, pas en ressassant le vocabulaire interne (souvent faussement passionnant car charabiesque et j’y ai beaucoup contribué hélas) de sa presse et de ses bulletins intérieurs.

 

Sans le sou, activistes inlassables de tous les jours, à vingt ans, nous menions des batailles pour survivre, pour les salaires, pour un boulot décent,  pour des études menées au bout, nous subissions un régime capitaliste dur, et un monde de guerres et de barbaries.

 

Et nous étions à la fois un produit et une réaction à ce monde : produit des grèves des mineurs, de Rodhiaceta, de Redon, de la Saviem, de Renault, de la lutte unitaire contre les ordonnances anti  Sécurité sociale, de mai 1966 et 1967,  à l’université, contre le plan Fouchet, de la bombe nucléaire d’Hiroshima et De Gaulle, de Martin Luther King et Patrice Lumumba, du Torrey Canyon, Sartre, Simone de Beauvoir, Boris Vian, « Pierrot le fou » Godard, et enfin, un produit de la résistance par campagnes de masse contre la barbarie des bombardements US du Vietnam au napalm et aux défoliants chimiques. « Un grand espoir c’est Cuba » chantait Colette Magny.

 

2) Le trotskisme

 

Le propre des deux auteurs est de ne pas être du tout « trotskistes », de le dire et de critiquer tout ce qui l’était dans la LCR. Pour ceux qui ne le verront pas à la première lecture du livre, à la seconde, s’ils en ont le courage, ils constateront qu’il n’y a que des connotations négatives (raccourcis, allusions, piques, oppositions, dénigrement ) contre à la référence au trotskisme et à la Quatrième internationale. Ca parcoure tout le livre. Normal, ils ont passé leur vie à quitter ou à ne pas venir à la LCR à cause de cela et quand ils y sont venus ce fut pour combattre tout ce qui de près ou de loin avait à voir avec le trotskisme. Ils jouaient à être toujours « modernes »  en quête de nouveauté, de dépassement, d’élargissement, de renouvellement, soutenant tout ce qui bougeait et s’opposant sous toutes les formes au passéisme qu’ils attribuaient au trotskisme » et à ceux qui s’en réclamaient. On le voit jusqu’à la caricature, tout au long du livre, avec la succession d’erreurs, d’improvisations, d’occasions perdues, de tournant aveugles, d’aventurisme au jour le jour, d’incertitudes, sur les syndicats, sur la classe, sur le programme, sur les mouvements de masse.

 

Allons droit au fait : le PCI, les JCR, la LC, la LCR n’avaient qu’un seul intérêt, une seule force idéologique, une seule ligne référente continue a leur disposition, un seul fondement pour réussir mieux que les autres, une seule racine d’explication historique suffisante et capable de motiver des milliers de militants, pour agir séparément et face au stalinisme et à la social-démocratie, c’est la référence à l’action pratique de 1905 à 1940, la pensée théorique, les écrits riches, les débats vifs et pointus, le brillant intellectuel, la pugnacité humaine, de Léon Trotski.

 

Il ne s’agit pas là, de vanter un « gourou », ni un héritage  dogmatique figé,  encore moins de se plier à une étiquette ou de se soumettre à un quelconque « maitre à penser », c’est tout simplement parce que Léon Trotski, celui de 1905, celui de 1917, celui de la résistance à la trahison de la révolution, l’ennemi de la bureaucratie soviétique, le porteur, le sauveur héroïque du drapeau contre la dictature totalitaire stalinienne, était d’abord un génie, un grand humain, militant concret, intellectuel vivant, frayant avec une immense culture, brassant toutes les questions les plus fines de l’actualité du XX° siècle, traçant un long et ferme chemin d’action humaniste à travers toutes les luttes de classes du monde entier. Dans ses œuvres, il y avait une orientation vibrante, une inépuisable source multiforme, pour conduire une action révolutionnaire prolongée, légitime, pour parrainer une organisation comme la « Ligue ». Nos deux auteurs ont toujours voulu couper la LCR de cette sève, et ils n’étaient hélas, pas les seuls, ils couraient sans cesse après les tourbillons au jour le jour affaiblissant le rôle historique potentiel de la LCR et la livrant à la banalisation des idées, aux variétés opportunistes des humeurs gauchistes, comme tous les groupes qui sont nés et morts dans les années 60, 70, 80, 90 faute de racine et de constance.

 

Franchement l’apogée de la LCR se « transcendant » après une quête absurde, dans le NPA, coupant les ponts idéologiques avec cette histoire, c’était du suicide. Tous les groupes « centristoïdes » para-révolutionnaires, tant aimés par nos deux auteurs, (GP, VLR, OCT, GOP, restes des PSU…) de ces années là se sont effondrés et ont échoué dans une succession de flottements, de divagations, d’errements faute de se référer à des principes solides simples et exemplaires qui étaient pourtant là, à portée, prêts à être puisés utilement dans l’histoire vivante du trotskisme.

 

Non pas que ce fut un dogme, surtout pas, pour agir en fin du XX° et au début du XXI° siècle : Trotski était un chercheur scientifique, lui même a changé souvent, corrigé souvent, défriché, inventé, cherché, renouvelé, mais sa vie entière offre une référence exemplaire, pure et une méthode riche : bien plus encore que le magnifique Che Guevara, plus que tous les autres révolutionnaires du XX° siècle.

 

Rompre avec cette histoire et sa légitimité, c’était courir après toutes les dérives, tous les opportunismes, toutes les inventions et diverses fredaines du moment, sans former des jeunes, des intellectuels, des militants, sans consolider un début de parti ayant des racines, une continuité, donc un avenir.

 

 

a suivre !

 

JCR JCI

 

Mai 68

 

Mai 68  histoire sans fin

 

Répétition générale répétez quoi ?

 

Conquête de  l’ouest ?  69

 

L’histoire nous mord la nuque

 

Organisations traditionnelles de retour

 

La question du PCF

 

La question du PS

 

Classe ou dynamique ? FU ou FP ?

 

UNEF ou CR ?

 

Syndicats rouges ou syndicats de masse ?

 

Texte 30 et texte 33

 

Antifascisme ou aventurisme avant-gardiste  ?

 

Lutte armée foco ou parti de masse ?

 

21 juin 73 et dissolution

 

Solidarité chili ou révolutionnaire au Chili ?

 

FSI ou anti impérialisme

 

FSAMR ou syndicat de soldats

 

Portugal : MFA ou front unique ?

 

MLF ou MLAC ?

 

UR ou FNCL ?

 

Masses ou avant garde large ?

 

Condamnés à s’entendre ?

 

Giscard va gagner

 

81 : Hors de la dynamique de défaite de la droite

 

BAD

 

 

Mai 68 histoire sans fin

J’ai toujours expliqué, au travers de nombreux livres et articles, que mai 68 était « une histoire sans fin ». Il existe des cycles du mouvement des masses comme il existe des cycles économiques.

Depuis 50 ans, la profondeur de la grande grève générale a nourri des répliques sismiques régulières de génération en génération.  Certaines ont permis de grandes victoires à la jeunesse massivement mobilisée : loi Debré en 1973, loi Devaquet en 1986, CIP en avril 1994, CPE en avril 2006. D’autres ont exprimé la puissance croissante de la classe des salariés : les grèves de Renault, la Poste, les Banques, le Joint Français, Lip, la sidérurgie.

Même quand ces grèves ne gagnaient pas, elles laissaient des empreintes politiques profondes. La victoire électorale de mai 1981 est un effet différé de mai 68. Lorsque des conquêtes étaient obtenues (hausse du Smic, 33 % en 68, 13 % en 81, 40 h, 39 h, 35 h, droits du travail, 4° et 5° semaine de congés payés, retraite à 60 ans) elles imprégnaient la vie sociale quotidienne.

En août 1995, Madelin, ministre clamait qu’il fallait « un autre mai 68 et qu’on le gagne ». Le contredisant, en novembre-décembre 95, l’inacceptable « plan Juppé » dut reculer devant une autre grande grève quasi généralisée. La victoire de la gauche plurielle de Lionel Jospin en juin 1997 est aussi un effet différé de novembre-décembre 95.

En 2008, Sarkozy clamait encore qu’il « fallait liquider mai 68 » : 40 ans après ça l’effrayait toujours. Le pouvoir passa en force contre les retraites à 60 ans malgré les grands mouvements de 2003 et 2010 : mais en 2004, 20 régions sur  22 passèrent soudainement à gauche, et en 2010, l’entêtement de Sarkozy à poursuivre la même offensive libérale anti retraites le fit battre en 2012.

Jusque-là les vagues de mai 68 venaient battre les falaises de la droite et recevaient certains échos positifs de la gauche. C’est alors que le trio Hollande-Valls-Macron a pris la suite en trahissant tous les espoirs de 2012,  et ils se sont exercés à ne rien céder quelques que soient les mobilisations : y compris contre la scélérate loi El Khomri, lorsqu’il y eut 14 manifestations, avec sans doute 3,5 millions de participants au moins une fois.

Sorti putschiste en tête de ce trio, Macron s’imposa « par effraction » et, de façon forcenée, entreprit de bloquer et baisser le coût du travail pour hausser le coût du capital, contre tous les droits sociaux, afin d’ubériser la société « sans statuts, » « France start up », « post salariale». Macron a certes gagné sur les ordonnances anti code du travail, puis contre le service public de transport collectif de la SNCF : il s’apprêtait à une écologie punitive, à clore les cotisations chômage, maladie et la Sécurité sociale, à fermer les derniers services publics, HLM ou RATP, à en finir avec les retraites par répartition…  C’est alors, logiquement, de cette intransigeance folle du trio Hollande Valls et Macron que sont sorties, en tâtonnant, les « nuit debout », puis aujourd’hui les « gilets jaunes ».

Puisque même la gauche officielle trahissait, puisque les organisations défendant historiquement les droits n’étaient plus entendues, leur  « base » s’est insurgée d’elle-même. Après les « places » occupées des villes, ce sont les « rond points » et les Champs Elysées qui sont occupés, avant que ce ne soit les entreprises et la grève généralisée.

Les 50 % des salariés qui gagnent moins de 1700 euros, les 9 millions de pauvres et chômeurs en dessous de 900 euros, les 7 millions de retraités en dessous de 1000 euros, les millions de jeunes sans ressources ou en CDD bidons, se sont donc soulevés et on comprend tout à fait que leur colère soit plus grande, plus radicale et plus violente encore.

Car ça suffit ! La France n’a jamais  été aussi riche de son histoire et les richesses aussi mal partagées. Ca se cristallise, contre la dictature anonyme de la finance, sur le partage des immenses richesses disponibles : les 1 % d’en haut doivent rendre l’ISF et davantage aux 99%, les taxes injustes sur le carburant doivent être supprimées, la fiscalité doit redevenir direct et progressive, les salaires, et le Smic, à nouveau et en premier, doivent augmenter massivement, tandis que les dividendes doivent diminuer.

Comme toujours, les grandes explosions commencent de façon fortuite sur un objectif précis, et si le pouvoir  est sourd, le mouvement se généralise.

Gérard Filoche, Gauche démocratique et sociale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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