La victoire du « non » au referendum du 29 mai 2005

ce texte est un extrait du récit de ces années la

dans le tome 2   »mai 68 histoire sans fin » de gerard filoche a paraitre prochainement chez Atlante

 

 

 

En dépit du score officiel du referendum interne – aux résultats truqués – du 1er décembre, ’42 % pour le « oui », et 58 % pour le non »)   le « peuple socialiste » était pour le « non » à l’image de celui du Pas-de-Calais où sa principale fédération avait fait voter à contresens de son électorat populaire.

Si on additionnait les syndicats, la CGT, FO, FSU, Solidaires, de la CGC, de l’UNEF, une partie de la CFDT (divisée, comme nous), 42 % au moins du PS, et le PCF, une large partie des Verts,  la gauche allait largement voter pour le NON.

Je l’écrivis dans D&S : « Le non allait l’emporter ». Vincent Peillon me regarda ce jour là comme si j’étais totalement à côté de la plaque !  Lui, tout seul, il aurait été pour le « oui » et il le redeviendra plus tard. Henri Emmanuelli, Jean Luc Mélenchon « accusaient le coup ». Laurent Fabius se tut.  Pas de réaction commune « des « non ».

Il se trouve que j’étais invité le 4 décembre à Morsang-sur-Orge en Essonne, par le PCF à un débat qui ne pouvait éviter la question européenne. J’y expliquais honnêtement ma position, j’étais minoritaire – de façon truquée pensais-je – dans mon parti, je ne pouvais parler en son nom… mais à titre individuel j’étais pour le « non ».  Je m’entendis rabrouer au passage par Julien Dray.

Le 7 février je suis à nouveau invité à Fontenay sous Bois. Jean-Luc Mélenchon que j’interroge, me déconseille d’y aller.  Cette fois dans une réunion unitaire de toute la gauche, et je me retrouve avec une douzaine d’orateurs dont le PCF, Attac, Alain Krivine devant une salle archi pleine…  Comme les caméras sont nombreuses, j’en suis surpris et cherche quel orateur elles suivent dans la salle, mais non c’est moi, car la campagne commence, et me voilà le premier membre du BN a enfreindre de façon spectaculaire la discipline imposée par ceux qui ont fait voter le parti le 1er décembre.

 

Non public

 

Au BN j’aurais droit pour la première fois  depuis mon arrivée au PS en 1994, à une forme de rappel informel, de mise en demeure de François Hollande, en sortie de réunion « comme quoi, ça ne se faisait pas… »

D&S prend position pour une campagne sur le « non »

« Il nous reste à savoir et à comprendre comment des milliers de militants du Parti socialiste ont fait ce choix qui va pourtant à l’encontre de la lutte contre l’ultra-libéralisme dominant en Europe. D’autant que cette « victoire du oui » ne résout pas la contradiction profonde entre la promesse des socialistes français de construire en priorité l’Europe sociale (présente dans toutes les motions au congrès de Dijon et lors de la campagne électorale du 13 juin 2004) ) et ce texte d’inspiration libérale, le TCE, qui y met un frein.

(…) Les partisans du « non » ne peuvent renoncer à leurs arguments (nul ne leur demandera d’ailleurs) et monter sur les estrades pour défendre un « oui » qui fait si plaisir à Chirac. Ils ne pourront, certes, parler en tant que tel au nom du Parti socialiste, mais, dans leurs syndicats, leurs associations, en tant que citoyens, ils ne pourront qu’être conséquents avec leurs idées. Sous d’autres formes, le débat et le combat continuent. D’autant qu’il se peut fort bien que le peuple français vote « non » lors du vrai référendum chiraquien.

C’est parti pour une bataille dont les conséquences vont être très lourdes.

Et le malheur est qu’encore une fois, la gauche du parti socialiste se divise.

Dans NPS, Peillon refuse toute campagne et applique la discipline : il me lâchera face aux critiques qui porteront contre moi.

Benoit Hamon lui aussi, fait silence : en fin avril 2005, il organisera un « banquet » où la règle sera de ne pas parler  du referendum TCE ; évidemment, à table, il ne sera mezzo voce, question que de cela.

Arnaud Montebourg se laisse aller en avril à quelques propos mis en scène en faveur du « non », mais sans plus : il m’appellera un jour alors que j’étais en meeting à Nîmes « - Allo Gérard, quelle magnifique campagne tu fais, j’aimerais faire comme toi, mais ils ne veulent pas, j’aimerais tant, bravo, continues.. bien à toi ».

Dans NM, Emmanuelli et Melenchon se disputent, et se séparent.

 

« Pour moi c’est non » et  « cette fois c’est non »

 

 

En fait Emmanuelli préfère déjà Hollande, et Melenchon continue de préférer Fabius. Les amis de Mélenchon et lui créent un « club » qui s’appelle « PRS » pour la république sociale. Mais surtout Jean-Luc invente sa propre campagne individuelle « Pour moi c’est non », il explique qu’il fait jouer sa « clause de conscience » en tant que socialiste, il n’engage pas son parti, mais il ne peut se résoudre au silence et il fait donc des meetings.  Cette façon défensive, à reculons, de faire, à part et seul, campagne pour le « non », n’aide pas.

Henri Emmanuelli publie un communiqué embarrassé :

« Même si les arguments ont souvent été étrangers au texte de la constitution et à l’orientation politique de l’Europe, les militantes et militants du PS, qui se sont mobilisés de manière exceptionnelle, se sont très clairement prononcés pour le oui.

La position officielle du PS sera donc favorable à la ratification du traité signé à Rome par Monsieur Chirac. Mais il n’en reste pas moins que la conviction de celles et ceux qui ont voté non, pour des raisons politiques de fond tenant à l’indiscutable orientation libérale de cette constitution, reste entière. Et que ce ne sont pas les félicitations bruyantes de toute la droite et de M. Barroso, Président de la Commission européenne, qui vont l’entamer.

Désormais le PS a rendez-vous avec le pays, avec le peuple de gauche, avec la France, avec ses inquiétudes et ses espérances. Il lui appartient d’y répondre sans avoir la naïveté de croire que M. Chirac dissociera le référendum sur la constitution des enjeux de politique intérieure.

Nous ne pouvons feindre d’ignorer qu’en 2002, il a retourné nos propres voix contre nous pour les mettre au service d’une politique de droite particulièrement antisociale.

Je reste pour ma part persuadé que c’est une Europe sociale que veulent les Français, pas une Europe libérale. Et de ce point de vue, la contradiction reste entière. Laisser à l’extrémisme la possibilité de s’y engouffrer serait une erreur historique. »

C’en est fini de « Nouveau Monde », en concurrence avec « le tour » de Jean-Luc Mélenchon, Henri Emmanuelli organise un « tour des délocalisations » où il défend : « Cette fois c’est non ». Façon pour lui aussi de s’excuser : d’habitude, je respecte la discipline, mais « cette fois », je ne peux pas,  l’enjeu est trop fort.

 

 

Trio pour un non socialiste

 

De notre côté, Marc Dolez est venu me chercher chez moi et me proposer avec Jacques Généreux, de faire en un « trio socialiste », le tour de France des vingt régions, pour défendre un « Non socialiste ». J’accepte avec enthousiasme et nous voilà parti tous les trois, en campagne, soutenus par D&S. Nous ne nous embarrassons pas  de précaution, d’autodéfense, nous voulons affirmer que les socialistes sont très nombreux à être pour le « non » (et nous avons en tête que le scrutin du 1er décembre en interne n’a pas été loyal).

 

Quel paradoxe encore une fois, une seule gauche socialiste, on avait au moins 40 % du parti, et ça donne  : « Pour moi, c’est Non », « Cette fois c’est Non » «  Un trio pour un Non socialiste ». Trois « non ». Trois campagnes parallèles pour le « non » !

Impossible de convaincre Mélenchon et Emmanuelli d’agir en commun.

 

(…)

 

 

Le tour de France du trio du « non socialiste» Marc Dolez, Gérard Filoche,  Jacques Généreux.

 

Un record, en 10 semaines, nous n’avons pas posé les pieds chez nous : à trois, nous avons parcouru effectivement 20 régions, en 80 meetings pour le « non » entre le 29 mars et le 29 mai 2005 devant environ 40 000 personnes.

 

Je vais jongler ultra limite avec mon travail, alternant l’usage de mes congés légaux et le fait quand c’est possible, de partir directement du bureau à 17 h et de revenir par des trains de nuit ou bien dés 5 h 30 du matin.  Puis dans la journée je tiens mes permanences et case mes visites, ne laissant jamais aucun salarié dans le besoin. Je cours tout le temps, je vois à peine mes enfants, pas une seconde pour moi. Mais c’est une exaltation fantastique.

 

En cours de campagne, Marc Dolez, je le découvre, est un grand monsieur, calme, mesuré, organisé, déterminé, excellent orateur, il fut le pilier de l’aventure. On fixait notre agenda presque au jour le jour, il trouvait souvent les solutions pour le transport et le logement, avec ses moyens de député. On s’entendait très bien, dans nos morceaux de discours respectifs, avec Jacques Généreux, autre excellent compagnon, toujours affable, disponible, chaleureux, précieux. Marc exposait le côté institutionnel du TCE, Jacques faisait la dénonciation économique libérale du projet, et je dénonçais la partie antisociale. On n’avait pas à se concerter, on « emboitait » harmonieusement nos arguments avec l’humour de Marc, l’érudition de Jacques. Ensemble, on a connu un grand moment convivial en plus d’avoir été politiquement efficaces.

Il se passa quelque chose d’exceptionnel, d’inédit, avec un succès imprévisible autour de cette démarche improvisée à trois. On s’est accordés par delà nos différences d’histoire, de personne, de culture, pour qu’il existe collectivement au sein du « non de gauche ».

 

Et « la sauce a pris ».

 

Les salles sont bourdonnantes, chaleureuses, cela ne trompe pas. Il y a un grand respect pour les socialistes qui « mouillent leur chemise ». Tout le monde sait que cela va se jouer dans l’électorat socialiste et que celui-ci est divisé, surpris par les positions surprenantes de la majorité du parti. « Comment peuvent-ils défendre ce texte ? » nous demande t on à propos de la direction majoritaire. Beaucoup comprennent à  ce moment-là, le sens de notre travail. On ne nous demande plus «  – A quoi vous servez dans le PS ? ». Sans nous pas de victoire possible. On nous donne la parole partout. On est légitimes.

Sans les réseaux de D&S, on n’aurait pas réussi, partout chaque camarade se démultipliait en quatre pour préparer les salles, nous accueillir, nous loger, on ne peut les nommer, tous, mais aucun ne manqua.

 

 

Touts sentaient que c’était parmi les 6 à 7 millions d’électeurs socialistes, que la victoire ou la défaite se jouait le 29 mai. Quelle réponse entre le «oui » et le « non » était la plus appropriée pour faire avancer et gagner la gauche ? 
C’était un « non » avec un contenu socialiste !

 

C’est notre base sociale, c’est notre camp qui vote « non » : si nous avions un doute, c’est entre 60 et 70 % de la gauche, 60 % de l’électorat socialiste, et 75 % de l’électorat vert, la quasi totalité de l’électorat PCF et extrême gauche, ce qui fait vraiment beaucoup, étant donné qu’environ 80 % des syndiqués ( Cgt, Cgt-FO, FSU, Solidaires, UNEF, Cftc, et Jean-Luc Cazette, le dirigeant de la CGC, une bonne partie de l’UNSA et des secteurs de la Cfdt…) votent aussi « non ».

 

La gauche sociale libérale se minorise tandis que la gauche sociale progresse puissamment avec le « non ». La gauche est tellement majoritairement pour le « non » que les salles se remplissent dans une grande ardeur unitaire, joyeusement, au coude à coude, socialistes, communistes, verts, extrême gauche, Attac, syndicats, c’est un formidable élan militant auquel on assiste.

 

C’est un « non » lié aux luttes, un « non » social : en trois mois, la peur du « non » fait reculer le pouvoir sur des dizaines de mesures : + 0,8 % pour les fonctionnaires, mesures pour les agriculteurs, les pêcheurs, les buralistes, les éleveurs, les routiers, les restaurateurs, report de l’ouverture du capital d’Edf, bref, le gouvernement essaie de multiplier les « cadeaux » pour endiguer le mécontentement. C’est un « non » qui refuse le départ du PDG de carrefour avec un Pactole de dizaines de millions d’euros, il refuse les délocalisations à 117 euros en Roumanie ou à l’Ile Maurice, le chantage au job « le moins cher payé », c’est un « non » qui refuse la « baisse du coût du travail »… Les entreprises craignent une mobilisation le lundi de Pentecôte, 16 mai : elles disent même à leurs salariés de rester chez eux «  Ne venez pas, on paie, on paie… » et elles promettent de verser les fameux 0,3 % correspondants de la masse salariale à l’Urssaf.

 

Ce n’est justement pas un « non » nationaliste :

 

Le Pen n’est même pas entré en campagne que le « non » a dépassé 50 % dans les sondages.

Le Pen précise que son « non » ne sera « ni social, ni économique, mais national ». Très bien, trop tard, mais c’étaient les débats d’avant. On n’en est plus au début des années 90, le « non » ne porte pas contre l’Europe, mais contre le contenu libéral que la constitution veut lui imposer « pour des décennies »

Les amalgames ne tiennent pas. François Hollande aurait du se taire au lieu d’accuser les partisans socialistes du « non » faire “le travail de Le Pen”. 
Et ce n’est même pas un « non » français, c’est un « non pro européen » : car il fait école, il contamine, il s’étend, se propage. Le « non » est devenu majoritaire à 58,5 % dans les sondages aux Pays-Bas qui votent le 1er juin, trois jours après nous. Le Premier ministre portugais avoue ses craintes, si la France vote « non », le Portugal qui doit voter en automne pencherait aussi pour le « non ». En Espagne, on s’interroge désormais rétroactivement sur le sens du vote qui a donné un « oui » avec 70 % d’abstentions…Le « non » monte au Danemark. Et en Grèce, c’est une énorme mobilisation antilibérale pour réclamer un referendum et les banderoles, là-bas, affichent « Le non français est notre non ».

 

On est accusés d’être des « moutons noirs », mais en fait on sera applaudis, imités, courtisés dans les autres pays où il n’y a pas eu débat ni dans les Ps, ni dans les syndicats de la Ces, l’interrogation progresse, des millions de salariés commencent, en entendant les salariés français, à s’interroger, à lire, à se mobiliser, et cela nourrit le refus croissant de ce calamiteux projet de Constitution libérale.

Il ne s’agit d’ors et déjà plus d’un débat pour ou contre l’Europe, mais un débat de maturité, sur « quelle Europe » ?

Et bien sûr, il y aura renégociation en cas de victoire du « non » : ils prétendent qu’il n’y a pas de « plan B » mais c’est un pur mensonge, il y aura un plan B, C, D, E…

 

 

Cf : le récit de D&S : de La Rochelle à Strasbourg, du 29 mars au 25 mai  2005 :

80 meetings, 36 participants, 20 regions de France parcourues par el trio Dolez, Filoche, Généreux

Le drôle de triomphe du 29 mai au soir :

 

Ce soir là, on se retrouve avec les jeunes socialistes et des militants de tous les courants de la gauche socialistes confondus a « Confluences » une salle amie boulevard Philippe Auguste à Paris.  C’est la joie du travail bien fait. On savait qu’on pouvait gagner.  On fait la fête. Je partage d’autant que mes grands enfants sont là, fous de joie.

Gilles Leclerc m’appelle pour France 2, soirée électorale.  Je quitte les miens à regrets et doit traverser tout Paris, en taxi à mes frais, sous la pluie. A peine arrivés, nous sommes nombreux, de droite et de gauche, c’est encore le début de soirée, à être accueillis, maquillés à attendre devant un piètre buffet, à la queue leu leu, le privilège tellement envié de passer quelques minutes devant les caméras.

Je suis avec Pierre Moscovici qui me tient à peu prés ce langage

« - 0n n’a pas encore les résultats,  ça monte encore pour le « non », tu sais, à 51 % on vous excluait, Melenchon et toi, à 52 % à 53%, ça devenait difficile. Là, comme c’est parti, on va atteindre 56 ou 57 %, on ne peut plus vous exclure ».

Je le laisse à sa cruelle désillusion.

C’est Arlette Chabot qui va se charger de m’exclure.. du plateau. Alors que ce sont eux qui nous ont appelé, invité, ils insistent pour qu’on reste, qu’on patiente, qu’on attende notre tour,  et ils trient à l’entrée du studio, ils font passer les « oui » battus, les « non » de droite, mais retardent les « non » de gauche. Trois, quatre fois, je menace de partir, on me retient quasiment de force, « ça va être mon tour », mais comme Georges Sarre, Jacques Nikonoff, Patrick Braouzec on est toujours repoussés. On me fera quand même avancer une minute, jusqu’à la table ronde « sacrée », je crois que c’’est mon tour, et Chabot, me voyant, mettra quelqu’un d’autre in extremis sur la chaise, on me fera ressortir, quelque que soit mon indignation et ma fatigue d’avoir attendu si longtemps. On tentera, tellement on est vexés d’avoir été ainsi traités une tribune, signé des quatre, « contre les censeurs » dans Libération… qui refusera de la publier.

Ainsi les médias jusqu’au bout se vengent et interdisent bassement les idées qui ne leur plaisent pas.

Dés le lendemain, les vainqueurs sont l’objet de tous les ostracismes à tous les niveaux.

Même au CN du PS du 4 juin  : il y a réunion extraordinaire au PLM St-Jacques, membres et premiers fédéraux au complet, il s’agit de « blâmer » Laurent Fabius, lequel, pourtant, n’a pas fait grand chose. Le vote des 400 présents, est solennel, sur appel individuel, par ordre alphabétique, à haute voix : le rituel vise bien évidemment à l’éliminer de la présidentielle, mais Fabius ne perd que d’une ou deux voix, ce qui crée l’effet inverse.

 

 

 

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