le 10 mars 1906 : la catastrophe de Courrières 1099 morts, un tournant dans l’histoire ouvriére

le 10 mars 1906 c’est la catastrophe de Courrieres,

Mathilde Larrère publie un « thread » sur twitter

j’en profite pour publier une lettre reçue en 2017 d’un camarade technicien, Jean Paul, suite un echange de vue  dans la Loire en 2017  :

Bonjour Gérard,

Voici comme promis quelques précisions sur la catastrophe de Courrières.

Les références que tu y fais reproduisent la présentation habituelle qui en est faite, par beaucoup de militants ouvriers et une bonne part de la population minière, dès 1906 et pendant longtemps, dans le Nord – Pas-de-Calais

- l’explosion serait due à l’incendie de la veine Cécile,

- ce serait un coup de grisou,

- les mineurs auraient connu les causes de la catastrophe, et les dangers de la mine, mieux que les ingénieurs,

- la sortie des 14 rescapés, au bout de 3 semaines, prouverait qu’il y avait beaucoup de rescapés dans les galeries dans les heures qui ont suivi l’explosion, et que la conduite des secours par les ingénieurs en a tué beaucoup.

En rassemblant et en comparant les différentes sources, y compris les témoignages des rescapés et les rapports et débats des ingénieurs, on aboutit à des conclusions sensiblement différentes.

Les rapports des ingénieurs de l’Etat, tels qu’ils sont publiés dans les « Annales des mines », me semblent une source fiable sur les faits -et évidemment beaucoup moins fiable sur les interprétations et jugements de valeur, mais on peut assez facilement séparer les deux.

Je reviens sur les différents points ci-dessus :

1) l’incendie de la veine Cécile

Les mineurs et la population minière ont été très inquiets de cet incendie, survenu avant la catastrophe. Le feu avait pris dans un tas de bois de soutènement laissé dans une galerie abandonnée, si longtemps qu’il était presque réduit en poudre (!). Des barrages (épais de plusieurs mètres, comme il était d’usage dans les mines, pour qu’ils soient bien étanches) avaient été construits aux extrémités de la galerie

Cet incendie n’a pas pu causer l’explosion. Celle-ci a renversé les barrages vers l’intérieur de la galerie, donc vers le feu

L’incendie a pu produire des gaz de distillation du charbon (charbon de la veine ou contenu dans des remblais), qui ont pu gagner d’autres galeries par des fissures. Cependant, le volume de gaz ainsi produits, si c’est le cas, n’a pu causer que des dégâts limités. L’explosion, ou plutôt la série d’explosions, de Courrières, a ravagé 110 kms de galeries, dépendant de quatre puits de mine et sur au moins quatre niveaux différents, donc une étendue énorme.

2) ce serait un coup de grisou

L’ingénieur Heurteaux, ingénieur de l’Etat qui est chargé de rechercher les causes techniques de l’explosion, et dont le rapport de plus de 30 pages est publié dans les « Annales des mines », conclut que l’on ignore la cause de l’explosion initiale, et que quatre causes peuvent être considérées comme vraisemblables :

- du grisou qui se serait échappé de la zone en exploitation proche de l’explosion initiale; la mine était considérée comme non grisouteuse, car la présence de grisou n’y avait pas été constatée; cependant, la zone de l’explosion initiale était proche d’une faille, et donc favorable aux dégagements de grisou; il n’y a pas eu de dégagement instantané de grands volumes de grisou, accident qui est arrivé plusieurs fois en Belgique et en Cévennes, mais ni dans le Nord – Pas de Calais ni dans la Loire, et qui est très reconnaissable; le grisou est donc une des causes possibles de l’explosion initiale, mais pas la seule;

- des gaz de distillation issus de l’incendie de la veine Cécile, cf. ci-dessus;

- un des tirs de mine de la voie Lecoeuvre : d’après les dégâts, la zone la plus probable pour l’explosion initiale était une galerie en cours de percement, dite voie Lecoeuvre d’après les noms des frères qui y menaient les travaux; l’explosif employé (cartouches Favier) n’était pas le plus sûr; d’autre part, les tirs de mine « débourrants », c’est-à-dire chassant hors du trou de mine la bourre placée pour contenir l’explosion, et fusant à l’extérieur, sont relativement fréquents dans les mines (et cela même si toutes les précautions ont été prises : si le massif dans lequel le trou de mine est foré est fissuré, la bourre peut partir avec une partie du massif, au lieu d’y contenir l’explosion); cette cause semble la plus vraisemblable, mais rien ne permet d’assurer qu’elle est la cause de l’explosion initiale;

- d’après les dégâts constatés sur la conduite de ventilation de la voie Lecoeuvre, il semble bien que de l’explosif ait été entreposé dans une des sections de cette conduite; ce dépôt, contraire aux prescriptions de sécurité, aurait explosé pour une raison inconnue.

Rien ne permet de trancher entre ces hypothèses.

Par contre, un fait est évident : quelle que soit la cause de l’explosion initiale, elle n’a pu, à elle seule, causer qu’une faible partie de l’ensemble des dégâts. 110 kms de galeries, cela fait vraiment beaucoup ! Et un grand champ d’expérience, qui a permis de constater où étaient situés les principaux dégâts, comment les explosions s’étaient propagées, où elles s’étaient arrêtées. Et la conclusion de l’ingénieur Heurteaux est très claire sur ce point : quelle que soit la cause de l’explosion initiale, la très grande majorité des dégâts a été causée par des explosions successives de poussière de charbon, qui se sont principalement propagées par les voies de roulage.

Il faut donc passer d’une approche de type juridique, centrée sur la cause du dysfonctionnement initial, à laquelle sont attribués tous les dégâts de la catastrophe, et centrée sur la recherche de responsabilités individuelles, à une approche de type statistique, centrée sur la prévention des risques.

Courrières clôt ainsi un débat de plus de vingt ans entre ingénieurs français des mines (ingénieurs de l’Etat, chargés du contrôle, ou ingénieurs civils, employés par les compagnies minières) sur les possibilités d’explosion des poussières de charbon. En 1882, Mallard et Le Chatelier, sur la base d’expériences insuffisantes, ont conclu que la poussière de charbon ne pouvait exploser que sur environ 10 mètres, distance qu’ils ont ensuite portée à 60 mètres. Leur rapport a fait autorité, mais est resté continuellement contesté par des ingénieurs d’exploitation, qui le trouvaient peu convaincant.

La station d’expériences de Liévin, financée par les compagnies et dirigée par un ingénieur de l’Etat, est mise en place assez rapidement après Courrières. En 1911, son directeur publie un rapport qui fera autorité sur les explosions de poussière de charbon, avec y compris les équations sur leur puissance et leur vitesse de propagation. Mais, pour en arriver là, il fallait construire des galeries de tests grandeur nature, et y tester différentes qualités et granulométries de poussières…

Il n’est donc pas exact de parler de « coup de grisou » pour Courrières, puisqu’il n’est pas sûr que le grisou ait été en cause. Par contre, il est logique de parler de « coup de poussier », expression connue dans toutes les zones minières.

3) les mineurs auraient connu les causes de la catastrophe, et des dangers des mines, mieux que les ingénieurs

La question des poussières de charbon montre bien qu’avant Courrières, tout le monde est dans le bleu. Personne, à part quelques ingénieurs qui s’interrogent sur la portée de leurs questions, ne pense aux dangers des poussières de charbon dans les grandes explosions minières.

De ce point de vue, il n’y a pas de meilleure connaissance ou de meilleure évaluation d’un côté ou de l’autre.

Par contre, Courrières montre bien que le système de pouvoir des compagnies minières, et particulièrement de cette compagnie-là, est très autoritaire et très conflictuel.

Avant la catastrophe, le délégué mineur Simon, dit Ricq, proche du jeune syndicat de Benoît Broutchoux, a alerté sur le danger représenté par le feu de la veine Cécile (et très probablement aussi, comme pratiquement tous les délégués mineurs dans toutes les mines, sur le manque d’entretien des galeries).

Dans les heures qui suivent l’explosion, il descend de son propre chef dans un des puits et en ramène plusieurs survivants, qu’il sauve ainsi.

Les secours qui suivent l’explosion sont dirigés par les ingénieurs des mines de l’Etat, conformément à la réglementation. Au bout de deux jours, constatant que deux des quatre puits touchés sont obstrués par des éboulements, et qu’il ne sera pas possible de s’en servir pour les secours, les ingénieurs décident de renverser le circuit d’aérage, de façon à faciliter le travail des équipes de secours qui progressent à partir des deux autres puits.

Les ingénieurs, de l’Etat ou des compagnies, refusent que les délégués mineurs participent à leurs réunions et refusent même de leur demander des conseils ou des opinions.

Depuis leur institution en 1890, les délégués mineurs sont considérés comme des intrus par les compagnies minières, qui cherchent à les décourager et refusent de prendre leurs avis en considération. Cet état d’esprit se retrouve au moins pendant tout l’entre-deux-guerres jusqu’en 1939 ou 1945 (après, je ne sais pas).

Ricq et le jeune syndicat, et une bonne partie de la population minière, s’opposent vivement à ce renversement de l’aérage, en déclarant qu’il y a sûrement encore beaucoup de rescapés au fond et que ce renversement risque de les tuer. Ce n’est cependant pas sûr du tout : cf. point suivant.

4) il y aurait eu beaucoup de rescapés enfermés au fond dans les heures qui ont suivi l’explosion, et le renversement de l’aérage en aurait tué beaucoup.

Cela semble en fait assez improbable.

Dans les grandes explosions minières, environ la moitié des morts ou plus le sont par asphyxie, à cause des nappes de CO2 et surtout de monoxyde de carbone (CO), très toxique même à faible concentration, dégagées par l’explosion.

Donc, beaucoup des morts ne le sont pas par les effets directs de l’explosion (blast, brûlures, projections, éboulements) mais un peu plus tard, à cause de ces nappes de gaz qui alors se déplacent dans la mine.

Les témoignages des 13 premiers rescapés de Courrières (Berthon, le dernier, a été seul d’un bout à l’autre) montrent que 8 mineurs faisaient partie des mêmes groupes (deux groupes se sont rencontrés et n’en ont ensuite formé qu’un) et sont morts d’asphyxie pendant leurs trajets souterrains. Ces morts sont toutes intervenues dans les deux premiers jours. Les deux groupes ont rencontré très vite beaucoup de cadavres, et ont rencontré plusieurs fois des nappes de gaz toxiques.

L’un des deux groupes est passé près du puits où Ricq a effectué ses sauvetages, et aurait donc pu être sauvé par lui s’il était resté à cet endroit.

De ces témoignages on peut me semble-t-il déduire, grosso modo :

- que l’énorme majorité de 1.099 morts a été tuée dans les premières minutes qui ont suivi les explosions, par les nappes de gaz,

- que les rescapés étaient sensiblement plus nombreux, deux jours après la catastrophe, que les 14 qui ont en fin de compte rejoint les sauveteurs,

- mais qu’ils étaient probablement, à cette date-là, et en comptant large, environ 2 ou 3 fois plus nombreux que ces 14 rescapés : soit en tout une trentaine ou une quarantaine, pour un peu moins de 1.100 morts…

Le renversement de l’aérage ne semble pas avoir causé de morts supplémentaires : il a poussé les gaz toxiques dans des zones où ils n’étaient pas allés jusque là, mais a assez considérablement facilité le travail des secours.

Par contre, la proposition de Ricq dans les heures qui ont suivi l’accident, de faire descendre par les 2 puits en partie obstrués des secours chargés de retrouver des rescapés, en aurait probablement trouvé d’autres, en plus des 21 qu’il a lui-même sauvés. Cependant, il a effectué sa recherche dans des conditions extrêmement périlleuses : risques de poursuite des éboulements dans les deux puits concernés, nappes de gaz… De tels secours au péril de leur vie ne pouvaient être le fait que de volontaires, et risquaient aussi de provoquer plus de morts que de rescapés…

Il y a très souvent eu, lors des grandes catastrophes minières, des rumeurs plus ou moins fantaisistes dans la population : j’en ai constaté à propos des catastrophes minières de la Loire. En particulier, l’idée qu’il reste de nombreux survivants au fond est très souvent présente, même après une explosion ou un incendie souterrain qui les rend très improbables.

Je pensais que le rapport de l’ingénieur Heurteaux était accessible par Internet, sur le site de l’Ecole des mines de Paris. Ce n’est pas le cas, mais je l’ai dans mes dossiers et peux te le scanner. Je peux aussi te scanner ou te donner les références d’autres documents dont je dispose.

De ton côté, peux-tu me retrouver à quelle date Clémenceau a créé une administration du travail, et sous quel nom ? Comme la catastrophe a eu lieu pratiquement entre deux gouvernements, avant celui de Clémenceau, cela ne peut être qu’après. Mais la date m’intéresse, d’autant plus qu’elle se situe probablement après la grande grève qui a suivi la catastrophe, avec des affrontements avec l’armée pendant plusieurs semaines.

Clémenceau a d’un côté brisé la grève par l’armée, après une prise de contact avec les grévistes assez habile, dans les premiers jours de son gouvernement. Il a pu, tout en pratiquant une répression très ferme, vouloir donner quelques gages de l’autre côté.

Dès les années 1890, l’idée courait que la grève générale révolutionnaire pourrait avoir lieu, en France, à la suite d’une catastrophe minière. J’en ai trouvé trace dans quelques textes. Le 1er mai 1906 a été particulièrement agité…

Amicalement et unitairement,

Jean-Paul

 

60 000 mineurs en grève en avril

hausses de salaires

Loire, Alès, Pas de Calais

en Allemagne en Belgique

Clemenceau mobilise 30 000 hommes de troupe

Juillet 1906 repos du dimanche

Ministère du travail en octobre 1906

Code du travail décembre 1910

 

 

 

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