Huit questions de Benoit Ingelaere journaliste Voix du Jura – agence de Dole – dole@voixdujura.fr
- Dans la période de crise actuelle, faut-il craindre une détérioration des conditions de travail des salariés ?
Oui, mille fois oui. Le slogan “travailler plus pour gagner plus” n’est pas seulement trompeur il est mortifère. Il aboutit à mettre une pression sur les salariés au détriment de l’emploi et de la santé. De l’emploi car la méthode qui consiste à encourager les heures supplémentaires se fait naturellement au détriment de l’emploi. Avec Sarkozy, en pratique, ca veut dire chômer plus et gagner moins. D’autant que lesdites heures supplémentaires restent dans leur grande majorité dissimulées, impayées, non majorées : il en existe un milliard dans ce cas, l’équivalent de 600 000 emplois. Ensuite parce que le dépassement des durées maxima d’ordre public social de 10 h par jour et de 48 h par semaine se généralise et cela accentue stress, accidents cardiaques et vasculaires, maladies professionnelles, burn out, suicides. C’est pour cela que tant de livres, d’enquêtes, de documentaires, voire de fiction rendent compte de cela. Dans mes “carnets d’un inspecteur du travail 2 –travailler mieux, moins, tous” (Ed. JC Gawsevitch parution fin mars 2010)” je décris cela en détail.
- Après la série de suicides chez France Telecom, constatez-vous une prise de conscience de l’urgence de ce problème ?
Une certaine alarme médiatique a fonctionné. Le ministère du travail s’est donc soudainement mis à étudier les “risques psychosociaux”. Mais ils se moquent totalement du monde : la même direction de France télécoms continue de faire les mêmes ravages. Il y a 7 nouveaux suicides depuis le 1er janvier. Le responsable Lombard continue d’être payé au prix fort jusqu’en 2011, il n’a même pas été sanctionné pour la faute lourde que constitue manifestement sa gestion. Son successeur – de la même école – ne revient pas sur les suppressions de postes qui sont à l’origine de tout cela. Ils ne reconstituent pas des grilles de métier et ni les évolutions de carrière assurées qui mettraient fin au chantage à la promotion, aux notations individuelles réactionnaires, aux discriminations et à la répression antisyndicale.
- Syndicats, médecine du travail, inspection du travail… : pourquoi cet arsenal ne suffit-il pas à protéger les salariés ?
Parce que ce n’est pas un arsenal. A peine une garnison de réserve en cours de démantèlement. La chasse aux sorcières patronales affaiblit le syndicalisme chaque jour. Xavier Darcos se propose de mettre à mort une médecine du travail volontairement affaiblie depuis des années. L’inspection du travail est en train d’être “France télécomisée”, avec des réorganisations (DIRRECTE) et des directives qui tendent à briser l’indépendance des inspecteurs et des contrôleurs lesquels sont en nombre dérisoire (450 + 850). Le Parquet classe 3 sur 4 des procès-verbaux rédigés par l’inspection. Darcos veut aussi supprimer les élections aux prud’hommes, pour mieux, ensuite dévitaliser l’institution. Le code du travail a été “recodifié” antidémocratiquement dans un silence général, par ordonnance, entre février 2005 et mai 2008 : il a été passé à l’acide des exigences du Medef. Cela ne leur suffit pas : Darcos fait mine de ne pas s’en souvenir et il vient d’annoncer qu’il va encore le “simplifier” à l’automne 2010.
- Les fonctionnaires, dites-vous, ne sont pas des privilégiés. Pourquoi ?
Les fonctionnaires, contrairement à tout ce qu’en dit la propagande officielle, ça ne “coûte” pas, ça rapporte à la nation. Leurs salaires sont plus bas à catégories comparables que les salaires du privé. 100 000 postes ont été supprimés, ce qui est le plus vaste et le plus indigne des plans de suppression d’emplois en pleine période de chômage de masse croissant.
Il manque partout des profs, des surveillants, des infirmières, des aides soignantes, mais aussi des accueillants, des accompagnants dans tous les services publics. La politique de Sarkozy est un massacre contraire à l’intérêt national. Ce sont les fonctionnaires, victimes de la RGPP (révision générale des politiques publiques) et de la LOLF (loi organique de la loi de finance), qui trinquent, et par delà eux, le public.
- Les 35 heures n’ont elles pas allégé le fardeau du travail ?
Elles ont contribué à créer 450 000 emplois lorsqu’elles ont été lancées. Elles continuent à s’appliquer à 100 % des salariés et c’est, en soi, un bien. Mais elles ne sont rien d’autre que la durée légale, c’est à dire le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Elles sont contournées, dénaturées, détournées par une série de lois et décrets qui visent à recalculer le “temps de travail effectif”, à rendre opaques les contrôles, à déduire les pauses, les temps de casse croûte, d’habillage, de déplacements, à promouvoir les heures supplémentaires, les compte épargne temps, les “forfaits jours”, à recalculer les RTT à la baisse, etc.
- Jusqu’à quel âge peut-on travailler ?
L’espérance de vie en bonne santé selon l’Insee est de 63 ans pour les hommes et de 64 ans pour les femmes. La biologie du corps humain entre 55 et 65 ans a peu changé, même si le Medef aime à spéculer sur l’hypothèse aléatoire selon laquelle il y aurait 20 000 centenaires en 2050… 2 maladies sur 5 sont liées au travail entre 55 et 60 ans, puis 3 sur 5 entre 60 et 65 ans. 2 salariés sur 3 ne sont plus au travail à partir de 57 ans : ils sont soit inaptes, soit en pré retraite, soit en maladie, soit au chômage. Les plus belles années de la retraite sont entre 60 et 65 ans. Les plus dures années au travail sont entre 60 et 65 ans. Mais dans beaucoup de métiers (par exemple Bâtiment) la pénibilité physique et mentale du travail est telle que ce qui se défend, c’est la retraite à 55 ans.
- Pourquoi les partenaires sociaux ont-ils tant de mal à engager le dialogue sur la prise en compte de la pénibilité au travail ?
Parce que le Medef n’est hanté que par la recherche du profit maximum. Si le patronat avait quelques grammes d’humanité, il instaurerait la retraite à 55 ans immédiatement dans le bâtiment ou l’espérance de vie des manoeuvres est autour de 63 ans. Idem dans le nettoyage, les transports, pour les ouvriers agricoles par exemple.
- Vous aviez, en 2006, publié un livre dans lequel vous dénonciez les projets de refonte du code du travail. La redoutez-vous toujours ?
Absolument. Et grave ! Un des auteurs de ce coup de force technocratique et réactionnaire contre le code du travail avait osé écrire dans sa préface en 2007 : “il faudra des mois voire des années pour que le nouveau code révèle tous ses secrets”, concluant par “ce sera un effort colossal pour les usagers”. Le pire c’est que le nouveau ministre du travail, Xavier Darcos, comme si de rien n’était, se propose de recommencer la “simplification” du code, prétexte grossier pour enlever des centaines de droits acquis aux salariés et à leurs syndicats et institutions représentatives du personnel.
5 Commentaires
rien n’est totalement blanc ou noir … c’est vrai, la situation du personnel de certains services publics est inquiétante (la santé et l’enseignement), mais que penser des contrôleurs du ciel, profession certes stressante, mais dont la rémunération est surprenante ! sans parler de la sncf, dont les conducteurs de train n’ont plus du tout la pénibilité d’avant mais qui prennent leur retraite tout de même à 50 ans ! je connais un retraité de la police, en pleine santé … il a 50 ans ! mr filoche battez vous pour les gens du bâtiment, ok, battez vous pour les infirmières, et pour les victimes de patrons tels que lombard qui mérite d’être poursuivi, … mais l’ennui, c’est que vous faites de l’idéologie brutale, en mettant tous les entrepreneurs dans le même sac. au delà de votre combat pour les droits du travail, c’est le collectivisme soviétique qui paraît vous servir de référence …
Si le retraité de police a 50 ans, mais 30 ans de carrière où il a de nombreuses fois risqué sa vie, ce n’est pas forcément immoral qu’il laisse sa place à un jeune.
Ce qui est plus génant, c’est qu’il y a beaucoup de jeunes entre 20 et 25 ans qui ne trouvent pas de travail.
Avec l’accroissement de la productivité et des richesses, le sens de l’histoire ce n’est pas « travailler plus pour gagner moins », ce concept, à l’évidence, nous projette dans une impasse. A ce jeu là on ne pourra pas battre les chinois.
A mon sens il y a une autre voie, mais elle passe par une rupture avec le modèle dominant . Ce qui impose un renouvellement des élites, et une nouvelle dynamique. Ca a été possible à la libération, avec le général De Gaulle, dans un pays ruiné on a eu les 30 glorieuses. Pourquoi ce ne serait pas possible aujourd’hui dans un pays riche ? En 1946 le CNR (conseil national de la résistance) a balayé les élites corrompues qui s’étaient vautrées dans la collaboration, en 2012 il nous faudra renouveller les élites, par les urnes. Naturellement c’est plus facile à dire qu’à faire, c’est pourquoi toute la gauche, et particulièrement le PS, a une responsabilité historique pour réussir ce rendez-vous (et bien sur, nous tous par les choix que nous allons faire….)
Salut, Gérard> je te remercie pour la pétiion que tu a lancé pour nous les médecins du travail: il n’y a plus que toi et la CGT qui nous défendent !!
Ton article est très juste !!
Le parti socialiste a une obligation morale vis à vis du peuple francais> gagner les élections présidentielles !!
U n seul candidat possible: Martine Aubry> c’est à dire un vrai candidat de gauche> elle doit se présenter> il le faut !!!
Pour Gérard Filoche : Merci !
Nous vous remercions encore très chaleureusement pour votre intervention à la Soirée Condorcet du 5 mars organisée par notre cercle Condorcet de Dole. Vous avez su, avec beaucoup d’humour, casser des idées reçues, redonner sens à des combats sociaux pour sauvegarder, par exemple le code du travail.
Nous avons retenu, entre autres :
- on est chacun co- responsable de la défense de nos biens sociaux, arrachés de haute lutte par nos grands parents ;
- l’humain œuvre depuis des siècles pour sortir de la précarité et le gouvernement actuel en quelques années détruit, émiette les sécurités collectives laborieusement installées
beaucoup d’autres aspects de la casse du travail et de la casse au travail ont été abordés …
Nous réfléchissons à une suite active à donner à cette réflexion sous forme d’action concrète dans la vie locale.
Cette soirée a eu un effet rassembleur et a créé de la dynamique dans les futurs combats à mener. Beaucoup de personnes nous ont fait part de leur grand intérêt pour cette soirée et certains ont souhaité rejoindre le cercle Condorcet.
Celui-ci en a gagné en notoriété et en crédibilité. Il pourra ainsi poursuivre en confiance le développement de ses activités.
Nous vous faisons parvenir copie d’un article paru dans la Voix du Jura suite à votre interview.
Nous garderons longtemps présent à l’esprit votre force de conviction.
Alors encore merci et bonne route pour la suite. Portez vous bien
Annick Wambst et tous les membres du Cercle Condorcet de Dole
Omer m’écrit : « l’ennui, c’est que vous faites de l’idéologie brutale, en mettant tous les entrepreneurs dans le même sac. au delà de votre combat pour les droits du travail, c’est le collectivisme soviétique qui paraît vous servir de référence … »
Mais non, Omer, vous n’y connaissez rien, ce que vous appelez « collectivisme soviétique » était en fait une dictature contre révolutionnaire stalinienne qui ne se préoccupait pas du droit du travail, au contraire, stakhanovisme à l’appui, ce système écrasait les droits des travailleurs pillés par une bureaucratie bandit et rapace…
Moi je veux la démocratie poussée jusqu’au bout aux postes de commande, je veux que la main invisible du marché aveugle soit définitivement remplacée par la main visible de la démocratie, je veux l’état de droit au travail, la lutte contre le banditisme patronal, le respect des salariés qui produisent toutes les richesses et la redistribution de celles ci selon les lois de la république… Rien à voir avec ce qui existait dans l’ex URSS de sinistre mémoire.