Mme Christine Lagarde, lorsqu’elle a supprimé le droit de ne plus « pointer » et de ne plus rechercher d’emploi pour les chômeurs à partir de 57 ans, a déclaré « – Parce qu’on n’est pas fichu à 57 ans ». Alors le droit à la retraite c’est quand on est « fichus » ? On n’a pas droit à des années heureuses en bonne santé et en retraite ?
Les plus belles années de la retraite sont entre 60 et 65 ans. Les plus dures années au travail sont entre 60 et 65 ans. Ceux qui voient des centenaires partout, et affirment volontiers qu’il faut travailler au-delà de 60 ans, n’ont jamais regardé de prés un ouvrier du bâtiment derrière son marteau-piqueur à 55 ans ? Car là, c’est vrai, il est presque « fichu » et il a une espérance de vie limitée. Pour lui, la retraite devrait être au plus tard à 55 ans : ce ne serait pas un nouveau « régime spécial » comme le craint Laurence Parisot mais un régime normal ! L’espérance de vie en bonne santé, selon l’INSEE, est de 63 ans pour les hommes et 64 ans pour les femmes, 59 ans pour les ouvriers. La biologie du corps humain au travail est restée inchangée même si on vit un peu plus longtemps (un demi-trimestre par an seulement est gagné après 60 ans). La fatigue reste sensible à partir de 55 ans dans tous les métiers : imaginez un instituteur de 65 ans entouré par ses 35 gamins lors de sa 41 ° rentrée scolaire ? Une infirmière de 63 ans qui aura du mal à trouver la veine pour faire sa piqûre ? Ceux qui travaillent 10 ans de nuit, dépensent 15 ans de vie, ils meurent en moyenne plus tôt. Le travail posté qui est tellement développé de nos jours, use, déphase et tue aussi. Il n’y a pas de « boulot » sans risque : même dans les bureaux, avec le stress et les objectifs de productivité inatteignable, ce ne sont plus les « coups de grisou » qui tuent comme du temps de Germinal, mais ce sont les accidents cardiaques et vasculaires. Il y en aurait 180 000 par an : ne sont-ils pas, dans leur majorité, comme de nombreuses études le montrent, liés aux efforts au travail ? Surtout que le « travaillez plus » nous pousse de facto à des durées du travail supérieures aux durées maxima « d’ordre public social » – pourtant toujours fixées à 10 h par jour et à 48 h par semaine.
Les voilà qui veulent honteusement étudier les pénibilités « au cas par cas »…Qui décidera de qui est « fichu » ? Le patron ? Et une médecine du travail hélas, affaiblie et non indépendante ? Sur quels critères ? Un poumon rempli de poussière ne suffira pas, il en faudra deux ? En fait ils parlent de 20 % … d’invalidité, et ils estiment à 10 000 le nombre de ces heureux « fichus » auxquels on accordera préventivement le droit à la retraite confisqué aux autres… Ce sera un triste « concours » : celui des 10 000 plus mal « fichus » ?
Gérard Filoche