Egypte, Majesty : et de deux : après Ben Ali, c’est Moubarak qui « dégage » !

L’Etat-major de l’Armée qui exerçait la réalité de la dictature en Egypte était, le 10 février, devant un choix douloureux. Soit il obligeait Moubarak à partir, soit il le maintenait au pouvoir. Dans le premier cas, l’appel d’air créé par la démission de Moubarak aurait été un formidable encouragement à l’élargissement et à l’enracinement de la mobilisation populaire. Dans le deuxième cas, le maintien de Moubarak à son poste de président aurait soulevé la colère du peuple égyptien, avec les mêmes risques.

En laissant Moubarak décider de partir sans partir, le Conseil supérieur des forces armées a tenté de trouver un moyen terme lui permettant d’éviter les inconvénients des deux options. Il paraît évident, aujourd’hui, qu’il en a, ainsi, cumulé tous les inconvénients.

Le revirement de Moubarak, le 10 février, provoquait une énorme déception puis la fureur du peuple Egyptien. Ce revirement attisait, du même coup, la méfiance contre l’une des cartes maitresses de la hiérarchie militaire, Omar Souleiman, qui apparaissait aux yeux de millions d’Egyptiens pour ce qu’il était : un complice de Moubarak.

Le lendemain, la fuite de Moubarak pour Charm-el Cheikh (tout près de l’Arabie Saoudite et de Ben Ali) créait le puissant appel d’air que craignait tant l’Etat-major. La combinaison de tout cela provoquait la mobilisation monstre de plusieurs millions d’Egyptiens, le 11 février, au Caire, au nord, au sud, à l’est, dans les grandes et les petites villes. La mobilisation, aux cris mille fois répétés : « Le peuple a fait tomber le régime ! », était de loin la plus énorme qu’ait connue le pays depuis le 25 janvier,

Une dictature militaire

L’apparence de l’Egypte était celle d’un pouvoir civil, certes dictatorial, mais civil. La réalité, était, encore plus qu’au Pakistan ou en Turquie, une dictature militaire où l’Etat-major de l’Armée détenait l’essentiel du pouvoir.

Les militaires, les retraités de l’Armée, les personnages issus de l’armée étaient et sont  toujours omniprésents dans la façade civile du régime. L’armée contrôle également, en dehors même des industries d’armement, un grand nombre d’entreprises commerciales dans des domaines aussi divers que l’eau, l’huile d’olive, la construction, l’hôtellerie.

Moubarak était lui-même, à la différence de Ben Ali, un général important. Il avait participé à la guerre d’octobre 1973 contre les forces israéliennes qui avaient du, dans un premier temps, battre en retraite. Il y avait acquis un prestige durable au sein de l’armée. Il incarnait le pouvoir de l’armée.

Le Premier ministre nommé par Moubarak, Ahmad Chafik, toujours en place,  était chef d’Etat-major de l’armée de l’air de 1996 à 2002. Le Vice-président nommé par Moubarak, toujours en place, Omar Souleiman, est lui aussi un général, dirigeant, qui plus est, des services de renseignements égyptiens, les redoutés Moukhabarat.

Avant sa fuite, Moubarak a fini par abandonner toute tentative de camouflage de la dictature militaire et chargé de gouverner l’Egypte le « Conseil supérieur des forces armées » dirigé par le ministre de la Défense, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui.

La situation en Egypte, aujourd’hui, est celle d’une situation de double pouvoir d’une nature bien particulière.

D’un côté, les organisations de la société civile, le mouvement du 6 avril, les comités de protection, les partis déjà existant et ceux en formation, les syndicats indépendants qui se créent.

De l’autre, le Conseil supérieur des forces armées qui s’est débarrassé de Moubarak après que ce dernier lui ait officiellement remis le pouvoir ; toutes les institutions de la dictature qui sont restées en place et qui reconnaissent l’autorité de ce Conseil : la vice-présidence, le gouvernement, le parlement, le conseil constitutionnel, l’administration, la hiérarchie militaire.

D’un côté donc un pouvoir qui s’appuie sur le peuple mais qui est encore en gestation. De l’autre, un pouvoir dont le peuple se méfie, qui a aujourd’hui les mains relativement liées par la puissance de la mobilisation populaire, mais qui est déjà bien en place et qui dispose de l’appui des gouvernements occidentaux, en particulier de Barak Obama.

Une course de vitesse est engagée entre ces deux pouvoirs. Du vainqueur dépendra le sort de l’instauration d’une réelle démocratie politique en Egypte.

Une mobilisation qui s’est étendue à toute l’Egypte

Moubarak avait tout essayé. La répression, les concessions, l’attaque de la mobilisation populaire par ses « baltaguiyas », le chantage à l’intervention de l’armée.

Mais, rien n’y a fait, non seulement la mobilisation s’approfondissait au Caire où les manifestations dénonçaient l’illégitimité de l’exécutif comme du parlement,  mais elle s’étendait à toute l’Egypte.

Des manifestations déferlaient dans toutes les villes, grandes ou petites du pays, réclamant le départ de Moubarak. L’Egypte rurale, où l’écrasante majorité des petits agriculteurs et des ouvriers agricoles vivent avec moins de deux dollars par jour, basculait du côté du mouvement.

Pire, pour le régime, la grève gagnait l’ensemble du pays. Au Caire même, les salariés précaires de l’aéroport faisaient grève pour leur titularisation, 3 000 agents hospitaliers de l’hôpital Qasr al-Ain, le plus grand hôpital de la ville, descendaient dans la rue ainsi que 2 000 cheminots.

Du nord au sud et à l’est, une vague de grèves, mobilisant des milliers de salariés, paralysait des services de l’administration, les arsenaux et de nombreuses entreprise, dans l’industrie textile, la métallurgie, les télécommunications, l’alimentation, l’électricité, le pétrole.  Les objectifs étaient les mêmes partout : solidarité avec les manifestants du Caire, augmentation des salaires et amélioration des conditions de travail. Au point que Moubarak devait concéder une augmentation de 15 % des salaires des fonctionnaires civils et militaires.

La révolution, en effet, nourrissait les attentes de forces sociales dont les droits avaient été pendant si longtemps bafoués.

Une armée dont l’unité est ébranlée

Si l’armée n’a pu être utilisée par Moubarak pour réprimer la révolution égyptienne c’est, avant tout, parce qu’il s’agit d’une armée de conscrits dont beaucoup ont fraternisé avec les manifestants et qui n’étaient pas du tout prêts à tirer sur leurs parents, leurs voisins, leur femme ou leurs enfants qui participaient au mouvement.

Cette armée est partagée selon un axe horizontal : en bas, la troupe et les officiers subalternes qui penchent du côté de la révolution ; en haut, les officiers supérieurs et généraux dont la volonté est de maintenir la dictature militaire. Le peuple égyptien, le 10 février, s’est adressé directement à l’armée en scandant : « Armée égyptienne, le choix est maintenant le régime ou le peuple ! ». Plusieurs dizaines d’officiers subalternes en uniformes ont, ce jour là, rejoint les manifestants.

Pour que la démocratie politique puisse vraiment être instaurée en Egypte, de nombreuses conditions doivent encore être remplies : la levée de l’état de siège en place depuis 30 ans, l’élection d’une Assemblée constituante, la mise en place d’un gouvernement de transition composé uniquement de membres de l’opposition, la liberté des médias, la liberté d’organisation pour les partis politiques et les syndicats, la libération de tous les prisonniers politiques, le jugement des criminels de la dictature, l’organisation d’élections véritablement libres et transparentes…

La puissante mobilisation du peuple égyptienne, l’ampleur du mouvement gréviste et du rejet de la dictature par les habitants des zones rurales constituent un solide point d’appui pour atteindre ces objectifs.

Pour y parvenir, il faudra cependant, d’une façon ou d’une autre, que la grande majorité de l’armée bascule du côté de la révolution et permette au peuple égyptien de se débarrasser du pouvoir du Conseil supérieur des forces armées.

Dans le cas contraire, le risque existe que l’Egypte puisse se retrouver dans une situation comparable à celle de la Turquie, avec une façade démocratique et civile plus substantielle que sous Moubarak mais où la hiérarchie militaire continuerait à détenir la réalité du pouvoir.

Mais, aujourd’hui, tout est ouvert au peuple Egyptien, même le meilleur !

MAJESTY !

C’est l’acronyme utilisé par la presse anglo-saxonne pour désigner les pays dont les dictatures passent ou pourraient bien passer à la trappe : Maroc – Algérie – Jordanie – Egypte – Syrie – Tunisie –Yémen.

La résistance de Moubarak avait bloqué la diffusion de l’onde de choc partie de Tunisie. La chute de Moubarak pourrait bien permettre aux manifestations de masse de reprendre leur essor en Algérie, en  Jordanie, au Yémen et les étendre au Maroc et à la Syrie.

Certes,  les dictatures s’exercent de façon différente dans chacun de ces pays. Les marges de manœuvre sont différentes pour les dictatures qui disposent comme en Algérie de la manne pétrolière,  de celles qui ont laissé un petit espace de « liberté culturelle » à leur peuple comme au Maroc ou qui ont noyauté la société dans ses moindres recoins, comme en Syrie.

Mais dans tous ces pays existent une même colère, énorme, provoquée par l’horreur de devoir vivre  sous un régime tyrannique et dans des conditions économiques qui s’aggravent quotidiennement. Des conditions économiques marquées par l’augmentation rapide des prix des biens de première nécessité : alimentation, énergie. Marquées par une inflation qui rogne chaque année une partie de salaires déjà très bas. Marquées par un chômage épouvantable qui, comme en Egypte touche 90 % des moins de 30 ans alors que ces moins de 30 ans représentent les deux tiers de la population. Marquées, enfin,  par le luxe ostentatoire et haïssable d’une petite couche de parasites arrogants, corrompus et corrupteurs.

Jérôme Frévent

11/02/2011

7 Commentaires

  1. Arlequin
    Posted 12 février 2011 at 15:19 | Permalien

    Moubarak est-il toujours membre de l’International Socialiste, comme BEN ALI, et bien d’autres ?

  2. Posted 12 février 2011 at 18:15 | Permalien

    FMI = pourriture de financement du capitalisme.

  3. ARAKIOUZO
    Posted 12 février 2011 at 21:00 | Permalien

    Je suis trés optimiste pour l’avenir de la TUNISIE qui va connaitre une démocratisation spectaculaire et, peut-être un essor du syndicalime…
    Par-contre je suis hyper pessimiste face à l’avenir de la trés pauvre Egypte qui deviendra vraissemblablement un cloaque ou la police sera remplacée par la milice des frères musulmans.
    Je suis scandalisé par l’indigence des commentateurs français -y compris le diplo- qui feignent de croire que les fréres musulmans furent une force d’opposition…
    Les z’innénarrables FM = 5 000 000 de membres et 32 000 000 d’adhérents dans les associations qu’ils contrôlent + 68 députés au parlement…
    Cela signifie que les FM FONT PARTIE DU SYSTEME…La trés nombreuse police était chargée de TERRORISER le PEUPLE et le rôle des abjects islamistes de CRETINISER le PEUPLE …
    Suite à la crise financière mondiale, il n’est plus possible de SURPAYER une flicaille pléthorique et la tentation d’utiliser les SOUS-FLICS BENEVOLES de la milice islamo-fasciste devient irrésistible…

  4. ARAKIOUZO
    Posted 12 février 2011 at 21:07 | Permalien

    Je ne veux bien-sûr pas dire qu’il n’y a pas des forces « prolétariennes », « démocratiques petites-bourgeoises », « libertaires-dyonisiaques » ,…etc…
    Je ne veux pas non-plus affirmer que le monde arabo-musulman est inapte à la démocratie: je voue aux gémonies les tarés racistes qui soutiennent cette thèse…
    Par-contre je crois qu’une trés grande lucité est nécéssaire lorsqu’on étudie le « rapport des forces »….

  5. Posted 12 février 2011 at 21:54 | Permalien

    crétiniser le peuple !
    c’est donc que vous croyez que c’est possible.
    Faudrait être dupe
    alors que dans le camp d’en face, ils sont pas dupes.

    à ce moment là, ça devient une histoire de faux-culs
    et vous en faites un beau
    ( pour être lucide, bien sûr)

  6. Marc ARAKIOUZO
    Posted 14 février 2011 at 7:43 | Permalien

    Je crois aussi que la voie de la désaliénation est aussi celle du désenchantement…
    Si le peuple était indemnisé contre les religions , contre les illusions et contre la traitresse gôche caviar…nous serions alors dans un monde moins obtus et moins difficile à transformer…
    Je redis que les frères musulmans sont une entité réactionnaire favorisée par MOUBARRAK et chargée de crétiniser le peuple. Demain les FM seront chargés de fournir une milice bénévole pour remplacer les flics salariés…

  7. Posted 14 février 2011 at 17:35 | Permalien

    pour ne rien vous cacher, j’en ai trouvé un beau ici
    ( voyez dans les commentaires de « Que dire à une promotion d’inspecteurs élèves du travail ? « Tenez bon, vous êtes indépendants et pas neutres ! »)

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