Déroute de l’occupation britannique de l’Afghanistan au XIXe siècle : six écrits de Marx et Engels en 1857, d’une étonnante actualité

Marx et Engels avec 150 ans d’avance

Six textes anticolonialistes de Marx Engels sur l’Afghanistan, l’Inde, la Perse, la Chine ont été  réédités en janvier 2001 par « Mille et une nuits » (Ed. Arthéme Fayard, 37 rue du Four, 75006 Paris). Gérard Filoche avait été chargé de rédiger une postface à ces écrits d’une actualité étonnante (peut être encore trouvable sur commande en librairie au prix modeste de 10 F).

posface

Il n’est pas surprenant qu’un général soviétique, cent cinquante ans après, lisant l’article d’Engels, alors que ses troupes étaient enlisées (entre 1979 et 1989) dans le bourbier afghan, conseille aux autorités américaines, après l’attentat de 2001 à New York, contre les Twin Towers, de ne pas chercher… à occuper le pays ni à conquérir Kaboul.

L’actualité de la « ligne Durand » :

Dans son article paru le 10 août 1857 dans la « Nouvelle encyclopédie américaine », Engels souligne déjà des traits fondamentaux permettant de décrire l’Afghanistan. Ce pays est un « terme purement poétique pour désigner diverses tribus et états, comme s’il s’agissait d’un pays réel. L’état afghan n’existe pas… » juge déjà Marx.

La tribu majoritaire, les pachtouns, (41 % de la population en l’an 2000) a particulièrement été victime de toutes les attaques des puissances qui entourent ou cherchent à occuper, ou à neutraliser son territoire : Marx et Engels montrent l’intérêt qu’avaient les colonisateurs britanniques à dominer l’Afghanistan en tant que « possession indispensable pour repousser toute force d’invasion venue d’Asie centrale et indispensable contre la Russie« .

La suprématie britannique s’est établie en opposant Mahométans contre Hindous, tribu contre tribu, caste contre caste« , et tandis que « tous luttaient contre tous » les soldats et les hommes d’affaires britanniques progressaient. Le plus symbolique de cette politique coloniale de division est sans doute l’existence de la frontière artificielle, ligne droite qui sépare encore l’Afghanistan du Pakistan, et du même coup, divise les pachtounes entre eux : elle s’appelle la « ligne Durand » du nom de l’officier britannique Mortimer Durand qui fut chargé de délimiter, après bien des péripéties, en 1892, l’Empire des Indes de son « garde-frontière », l’Afghanistan. La question pachtoune est depuis, devenue récurrente…

Les méfaits de la colonisation :

Marx décrit le pillage de l’Inde avec les mots qu’aurait aujourd’hui un militant d’Attac contre la mondialisation libérale. Il vante cependant l’apport des chemins de fer, encore une fois, avec un langage étonnant d’actualité. « Le jour n’est pas bien loin ou par une combinaison de chemins de fer et de bateaux à vapeur, la distance entre l’Angleterre et l’Inde, mesurée par le temps, sera réduite à huit jours, et où cette contrée jadis fabuleuse sera pratiquement annexée au monde occidental ». L’avion et l’informatique, en 2001 ont réduit encore les distances… sauf en Afghanistan où il n’y a toujours pas de voies ferrées. Mais, écrit Marx le 22 juillet 1853, tout cela « n’émancipera pas la masse du peuple ni n’améliorera substantiellement sa condition sociale car ceci dépend non seulement du développement des forces productives mais de leur appropriation par le peuple »

De l’arsenic dans la farine du pain des colons :

Comment les Britanniques seront-ils vaincus en 1842 ? « les moyens employés par la nation insurgée ne peuvent être mesuré selon les règles reconnues de conduite d’une guerre régulière ni d’après nul autre étalon abstrait mais d’après le degré de civilisation de la nation insurgée. » Marx décrit alors, non pas la prise d’un avion avec des cutters, ni l’envoi d’anthrax par la poste, mais les chinois qui incorporent de l’arsenic dans la farine du pain de la colonie européenne d’Hongkong, ou embarquent des armes cachées dans les vapeurs de commerce, enlèvent ou séquestrent les passagers européens, « se mutinent et plutôt que de se rendre, coulent ou périssent dans les flammes« .

« Que peut une armée contre un peuple recourant à des tels moyens de guerre ? Où jusqu’à quel point, peut-elle pénétrer en pays ennemi et comment s’y maintenir ? »

Engels écrit un article qui raconte la déroute totale d’une armée de 12 000 soldats anglais et de 40 000 suivants devant Kaboul, Kandahar, et Djalalabad. Alors qu’ils pensaient avoir accompli la conquête du territoire afghan et avoir poussé les armées afghanes à la déroute, les troupes anglo-indiennes ont vu se dresser contre eux, le 2 novembre 1841, les forces insurrectionnelles coalisées de toutes les tribus et clans afghans.

Tous les régiments, toutes les garnisons, tous les soldats de l’empire de l’époque furent alors vaincus, poursuivis, tués, jusqu’à ce que la capitulation soit totale : les Britanniques ne gagnèrent qu’en 1898, lors d’une autre guerre… Avant que ne viennent les Russes de 1979 à 1989 et les Américains en 2001… nouvelle odyssée de l’histoire.

On retiendra en conclusion, une autre phrase étonnante de Marx :

« Il s’agit de savoir si l’humanité peut accomplir sa destinée sans une révolution fondamentale dans l’état social de l’Asie »

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