Les médias nous présentent depuis plus d’un an les sondages comme des pronostics, des anticipations des votes qui auront lieu le jour de l’élection présidentielle. C’est faux. Il est donc urgent de nous livrer à une analyse critique de ces sondages.
L’échantillon
L’enquête BVA, par exemple, qui donne François Hollande loin en tête au 1er tour avec 30 % des voix contre 23 % à Nicolas Sarkozy, a été réalisée les 18 et 19 janviers 2012 « auprès d’un échantillon de 959 personnes inscrites sur les listes électorales recrutés par téléphone et interrogés par Internet ». Mais tout le monde n’a pas le téléphone (surtout s’il s’agit d’un téléphone fixe) et tout le monde n’utilise pas internet. Il s’agit donc d’un biais qui rend peu crédible la représentativité de cet échantillon.
La stabilité des choix
Prenons maintenant l’exemple de l’enquête IFOP du 17 au 20 janvier. Elle reconnaît que 57 % des personnes interrogées sont sûres de leurs choix. Et que 43 % peuvent encore changer d’avis. Un tel résultat devrait donc être manié avec précaution. Ce n’est surtout pas ce que font les médias qui prennent pour argent comptant les chiffres de l’enquête, sans la moindre nuance, sans la moindre mise en garde.
Les marges d’erreur
Selon BVA, pour un échantillon de 1000 personnes et pour un résultat de 20 % la marge d’erreur est (avec une probabilité de 95 %) égale à 2,5 ; à 2,8 pour un résultat est égal à 30 % ; à 1,8 pour un score égal à 10 % ; à 1,4 pour un score égal à 5 %.
Cela signifie que le score de François Hollande au 1er tour aurait 95 % de chance d’être compris entre 32,8 % et 27,2 %. Celui de Nicolas Sarkozy se situerait entre 25,6 % et 20,4 %.Celui de Marine Le Pen entre 16 et 20 %. Celui de Jean-Luc Mélenchon entre 8,6 % et 6,4 %.
Si François Hollande était à 27,2 % et Nicolas Sarkozy à 25,6 % cela n’aurait pas exactement la même signification que si ce dernier était à 20,4 % et François Hollande à 32,8 %. De la même façon, la situation ne serait pas du tout la même si Sarkozy était à 25,2 % et Le Pen à 16 % que si cette dernière était à 20 % et Sarkozy à 20,4 %. Mais ce n’est pas le problème des médias, entre le sensationnel et la nuance, ils hésitent rarement.
Les divergences entre les résultats des officines de sondages
Prenons l’exemple des résultats attribués à François Hollande. Pour l’IFOP (17-20 janvier), François Hollande obtiendrait 26,5 % des voix au 1er tour. Pour BVA (18-19 janvier) 30 %.
Avec les marges d’erreur précédentes, les scores censés être atteints par François Hollande pourraient varier de 23 % à 32,8 %. Une paille !
Sondages et pronostics
Les sondages n’ont pas valeur de pronostic affirment tous les instituts de sondage, il ne s’agit, selon eux que d’une « photographie, à un moment donné, de l’opinion ». Nous verrons, qui plus est, qu’à 3 mois du premier tour, il ne s’agit que d’une photo partielle de l’opinion. Mais les médias qui le savent parfaitement les utilisent comme s’il s’agissait de pronostics.
Il n’y a pas de « neutralité » dans les enquêtes : la majorité des officines de sondage sont dirigées par des patrons de droite et les sondages eux mêmes sont surtout payés par des commanditaires de droite, et en premier, par les grands médias sarkozystes. Bien sûr, ils sont quand même tenus de refléter, en partie et de façon déformée, les mouvements réels de l’opinion pour ne pas perdre toute crédibilité. Mais qui croit une seconde que les sondages publiés par le JDD de Lagardère, par exemple, ne sont pas un instrument de combat mûri pour tenter de conditionner le plus possible la ré élection de Sarkozy ?
3 mois avant le 1er tour, les candidats ne sont pas encore connus. Si Marine Le Pen n’obtenait pas 500 signatures de « parrains », le paysage électoral ne serait pas exactement le même que si elle les obtenait. La campagne électorale n’a pas encore démarré. Les programmes de la plupart des candidats ne sont pas encore connus. La question posée par les instituts de sondage est « si dimanche prochain, vous deviez voter » ne correspond donc pas à la réalité puisque justement, ce n’est pas dimanche prochain que vous voterez…
Une majorité de personnes interrogées aujourd’hui refusent de répondre
A 3 mois du 1er tour, une majorité de personnes interrogées refusent encore de répondre aux questionnaires des instituts de sondage. Tout simplement parce que leurs opinions ne sont pas encore faites. Il ne s’agit pas des personnes qui ont accepté de répondre mais qui ne répondent pas à telle ou telle question mais de toutes celles qui refusent de répondre au questionnaire dans son ensemble.
Ce n’est qu’à une semaine du 1er tour que les sondages peuvent être considérés comme des pronostics.
Les médias présentent l’évolution de ces sondages comme une évolution de l’opinion d’un corps électoral qui serait immuable. C’est une supercherie : c’est, d’abord, le corps électoral sondé qui évolue au fur et à mesure que le nombre de personnes qui acceptent de répondre aux questionnaires des instituts de sondage augmentent. Un corps électoral sondé qui finit, une semaine avant l’élection mais pas avant par ressembler au corps électoral qui ira voter. C’est à ce moment là seulement que le vote peut avoir valeur de pronostic.
A trois mois d’une élection, ce sont les personnes les plus politisées qui répondent. Elles ne sont pas représentatives de l’ensemble des électeurs. Pour gagner une « présidentielle », il ne faut pas 3 ou 5 millions d’électeurs mais 20 millions !
A 6 mois de l’élection présidentielle de 1981, François Mitterrand était crédité de 18 % d’intentions de vote contre 36 % à Giscard (sondage IFOP), en avril 1981, François Mitterrand obtiendra 25,9 % des voix et Giscard 28,3 %.
En janvier 1995, Balladur était crédité de 29 % d’intention de vote contre 16 % à Chirac (IPSOS/SOFRES). 3 mois plus tard, Chirac obtiendra 20,8 % et Balladur 18,6 %.
En 2002, ce n’est que 15 jours avant le 1er tour que la présence de Le Pen au second tour est apparu comme probable, auparavant un second tour Jospin-Chirac était donné comme certain par tous les instituts de sondage.
Avant le début de la campagne électorale, les partisans du « Non » au référendum sur le Traité Constitutionnel européen de 2005 étaient crédités de 35 % des suffrages. Ils obtiendront, en fait, 55 % des suffrages.
Les pronostics de second tour avant le résultat du 1er n’ont strictement aucun sens
Tous les instituts de sondage l’affirment également : les pronostics sur l’issue du second tour n’a aucune signification tant que le 1er tour n’a pas eu lieu. Ce n’est que lorsqu’ils se trouvent dans la situation concrète du soir du 1er tour que les électeurs commencent à se poser réellement la question de leur vote du second tour. La réponse qu’ils y apportent dépend des appels des candidats pour lesquels ils ont voté et surtout des deux candidats qui resteront en liste. Que feraient les électeurs de Sarkozy dans un 2ème tour qui opposerait François Hollande et Marine Le Pen ? Ce n’est pas aujourd’hui qu’ils se posent la question.
Cela n’empêchaient pas les médias d’utiliser les sondages pour annoncer, un an et demi avant l’élection que DSK l’emporterait par 60 % contre 40 % au deuxième tour de l’élection ou, en janvier 2012, d’affirmer que François Hollande l’emporterait par 57 % contre 43 %.
Les instituts de sondage et les médias trouvent leur intérêt à ces tours de passe-passe
Les instituts de sondage trouvent leurs avantages à l’utilisation qui est faite de leurs sondages. Ce sont avant tout des sociétés commerciales qui, habituellement, vendent leurs services à des sociétés privées et qui trouvent dans l’étalage de leur raison sociale dans les gros titres une publicité aussi fabuleuse que gratuite.
Les médias y trouvent également leur compte. D’abord parce que cela facilite leur tâche. Plutôt que de s’intéresser aux programmes des candidats, il est plus facile de faire comme si ces sondages étaient des pronostics et de décrire l’élection comme une course hippique. Ensuite, parce que cela permet de vendre, en prenant quelques distances supplémentaires avec ce que disent les sondages, et d’affirmer en 1ère page, comme l’a fait Libération, que « 30 % n’exclurait pas de voter Le Pen » alors qu’il fallait pour arriver à ce chiffre amalgamer les 8 % qui avaient répondu « Oui, certainement », les 10 % qui avaient répondu « Non, certainement pas » et les 12 % qui avaient répondu « Non probablement pas ». Il n’y a que pour Libé que « oui » et « non » semblent vouloir dire la même chose. Enfin, parce que cela leur permet de manipuler l’opinion pour mettre en avant le candidat qu’ils veulent promouvoir. C’est exactement ce qui se passe actuellement avec Bayrou, dont les médias faisaient mine de s’étonner qu’à la mi-novembre il ait déjà atteint 7 % (le tiers de son score de 2007 !) et qu’il soit à 14 % à la mi-janvier alors qu’ils ont tout fait pour qu’il en soit ainsi. Leur objectif est évident : tenter que leurs anticipations se réalisent et parvenir, lors du 1er tour, à relativiser, le score du candidat socialiste, comme ils avaient réussi à le faire en 2007.
Ne nous nous laissons donc pas endormir par les sondages
La campagne électorale n’a pas encore commencé et François Hollande n’a pas encore gagné l’élection présidentielle. Tout dépendra maintenant non seulement de lui, mais de la mobilisation de tous les militants et sympathisants socialistes pour convaincre qu’il faut se débarrasser de Sarkozy et que seul François Hollande peut le battre.
Exerçons donc notre vigilance sur les gros médias possédés par Dassault – Pinault- Arnaud- Bouygues – Lagardère – Rothschild (et donc les rédacteurs en chef sont en train, en cette période décisive, de faire le maximum pour mettre en coupe réglée les journalistes). Ils ne sont pas là pour éclairer les citoyens ni pour aider la gauche à gagner.
Jean-Jacques Chavigné (+ GF)
1 Les analyses d’Acrimed et en particulier des sociologues Patrick Champagne et de Julien Salingue pourront nous y aider.
21 Commentaires
bonjour,
juste pour vous signaler une petite erreur : le duel Mitterrand vs VGE c’etait en 1981 et pas en 2011 :)
amitiés,
Arnaud
oui, c’est sûr
Ce qui est hallucinant, c’est qu’au moment où les sondages deviennent les plus précis… ils sont interdits de publication. Et cela n’a pas l’air de gêner les politiciens.
Les citoyens – ces grands enfants – ne peuvent pas voter en étant éclairés par ces sondages, alors qu’il est permis de les abreuver de sondages bidon deux mois avant l’élection.
si c’était la seule erreur encore …
Pas trop compris l’objet de ce billet, vous voulez dire que les sondages sur-évaluent le score de Hollande ? dans ce cas là il n’est plus la seule solution pour chasser sarkozy, et donc se pose la question d’appeler à voter Front de Gauche par soucis d’efficacité !
j’ai l’impression que vous évoluez doucement vers la thèse suivante : « le vote utile, c’est voter Mélenchon » …
@Valérie
Je pense pas qu’ils évoluent vers çà. Vous allez vous faire cueillir !
Mais il est vrai que l’assertion : « il faut se débarrasser de Sarkozy et [] seul François Hollande peut le battre » est particulièrement croustillante :
comment affirmer objectivement que « seul François Hollande peut le battre », sinon en se basant sur les estimations du 2nd tour, dont tout l’article démontre efficacement la nullité ?
Il ne s’agit plus de ne pas se laisser endormir, mais bien de se réveiller : ils se sont déjà bien illustré lors des primaires, et çà marche.
Très bon article : la démonstration et l’exemple.
non, nous disons qu’il faut préparer et défendre les esprits aux manipulations de sondages qui vont avoir lieu dans les semaines à venir
faites un effort intellectuel même modeste : argumentez
je préfère plutôt qu’ils restent interdits… si on peut. Car ils servent alors à manipuler et même s’ils sont plus proches de la vérité, l’écart étant serré, cela devient des prophéties auto réalisatrices
Nous ne nous basons pas sur les pronostics des instituts de sondage pour affirmer que François Hollande est le plus à même de battre Sarkozy mais sur la réalité du rapport de force politique.
Ce sont des élus socialistes qui dirigent la majorité des villes de plus de 20000 habitants, 21 régions sur 22, 61 % des conseils généraux. C’est un socialiste qui préside le Sénat et le groupe parlementaire socialiste est, de loin, le groupe parlementaire de l’opposition le plus important.
Non seulement donc, le candidat du PS apparaît comme l’alternative évidente à Sarkozy pour la très grande majorité de ceux qui veulent s’en débarrasser mais sa force de frappe (tant militante qu’en termes de relais d’opinion) est beaucoup plus importante que celle de n’importe quel autre parti de gauche.
Penser que ce rapport de forces matériel pourrait être changé par la simple magie du verbe d’un candidat et le dévouement de sa base militante est irréaliste.
raisonnement hautement tendancieux voire un meu naîf (pour être polie) ; si je vous comprends bien, Sarkozy est le candidat le plus à même de défendre les intérêts de le France puisque la majorité de l’assemblée est UMP ?
dans une perspective d’avenir, la majorité sera FdG en juin donc anticipons et votons Mélenchon, le seul qui ne se soit jamais sali les mains
Et sinon le programme, çà compte ? Ou la force de frappe militante et en terme de relais d’opinion suffit pour qu’il ne soit pas prépondérant ? Comme j’ai tendance à le mettre en haut de ma hiérarchie des préférences, et que je tâche de convaincre sur ce critère, j’aimerais savoir si je perds mon temps.
Merci pour la réponse pertinente, avec toutes mes confuses : la cohérence est sauve. Et puis nous autre, on va tâcher de faire ce qu’on peut : irréaliste n’est pas impossible^^…
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Gérard Filoche
Posted 23 janvier 2012 at 15:10 | Permalien
« je préfère plutôt qu’ils restent interdits… si on peut. Car ils servent alors à manipuler et même s’ils sont plus proches de la vérité, l’écart étant serré, cela devient des prophéties auto réalisatrices »
C’est pas logique, comme position. C’est lorsqu’ils sont complètement bidon qu’ils manipulent le plus l’opinion. Faut pas prendre les citoyens pour des neuneus. Au nom de quoi seraient-ils privés, à la veille d’une élection, d’une information que les communicants, les responsables des partis ont tous ? Si les sondages montrant clairement que Le Pen était passé devant Jospin avaient pu être publiés, le vote utile aurait, pour une fois, eu un sens. On aurait été loin, alors, d’une prophétie auto-réalisatrice.
Valérie Duc, j’avoue ne pas savoir ce que sont les « intérêts de la France » dans une société divisée en classes mais je suis persuadé que Sarkozy est le mieux à même de défendre les intérêts de sa classe, les 1 % les plus riches. Je ne veux donc pas qu’il soit réélu ce qui reviendrai à lui donner quitus pour son calamiteux quinquennat et serait une catastrophe pour tout le salariat.
Chacun a le droit de faire des erreurs, Jean-Luc Mélenchon comme les autres. Mais pourquoi affirmer qu’il ne s’est jamais « sali les mains » alors qu’il fût un farouche partisan du traité de Maastricht qu’il tentait encore de justifier 4 ans après son adoption ? Que vient d’ailleurs faire ici cette histoire de mains sales. Le but est, me semble-t-il, de faire élire un président de la République de gauche, pas de canoniser un saint.
Shaher, je me contentai de faire un constat somme toute assez matérialiste qui intègre la force matérielle du PS (militants, institutions, relais d’opinion…) et le projet de François Hollande qui est apparu, avec le discours du Bourget, comme un programme de gauche s’opposant clairement à celui de Sarkozy.
Concernant les sondages électoraux pensez-vous qu’il faut les encadrer comme le propose je crois un rapport de J.P SUEUR ou bien étant donné qu’ils n’ont valeur de pronostic que 8 jours avant les élections et qu’avant il s’agit de manipulation de l’opinion, pensez-vous qu’on devrait les supprimer purement et simplement ? Personnellement je ne vois pas l’intérêt de les encadrer au motif discutable qu’il y aurait de bons et de mauvais sondages électoraux (disons qu’il y en a de pires), que l’instrument serait bon en soi, que tout viendrait de la façon de s’en servir etc.. etc..
Par ailleurs je ne comprends pas votre fil de discussion, beaucoup de messages aux quels vous semblez répondre n’apparaissent pas à l’écran. On dirait que vous discutez avec une personne qui est dans la pièce d’à côté ou avec des fantômes. C’est assez déconcertant…
Je m’aperçois que vous avez répondu (plus haut) à la question. Mais à qui ? Mystère et boule de suif. Non franchement changez de prestataire, on ne peut pas discuter sur votre blog et c’est dommage.
c’est vrai,
mais vous oubliez de dire que les sondages permettent aussi d’étouffer la campagne du Front de Gauche…
si justement, c’est aussi un des buts de l’article
et de faire mousser les intentions de vote hollande par la même occasion … d’ailleurs si vous étiez un peu plus lucide vous verriez que les sondages sont axés sur un second tour Hollande/Sarkozy double face du même UMPS
Pour info : Les analyses de l’Observatoire des sondages créé il y a 3 ans par Alain Garrigou, alimente quasi quotidiennement une réflexion critique sur la toxicité des sondages.
Alain Garrigou a par ailleurs publié en septembre 2011 avec Richard Brousse (co-animateur du site web de l’Observatoire) Manuel anti-sondage, la démocratie n’est pas à vendre, La ville Brûle.
Critique scientifique et citoyenne actualisée, bourrée d’exemples, avec un chapitre particulièrement utile sur la rhétorique (« les éléments de langage » comme « on » dit maintenant)des sondeurs et journalistes « opinionmanes ».
Pour celles et ceux que cela intéressent http://www.observatoire-des-sondages.org
J’en conseille vivement la lecture, la visite régulière.
Laurent
oui bonjour je suis désolé de vous déranger en faite je doit faire un devoir a l’école et se devoir me demande se qu’est le danger des médias avant les élection si vous pourriez me répondre pour que je puisse faire mon devoir et encore désolé de vous déranger