Pré printemps portugais : « que la troïka aille se faire voir ». En France le 5 mars, « que l’ANI aille se faire voir ».

Ils chantent Grandola Vila Morena, la chanson de la révolution portugaise, la « révolution des Œillets », celle qui donna le signe de la révolution portugaise le 25 avril 1974. Ils sont plus d’un million et demi dans les rues contre l’austérité, samedi 1er mars, contre la troïka UE/BCE/FMI, contre Merkel et tous ceux qui donnent la priorité au remboursement de la dette aux banquiers.

Ce fut, en 1974-1975, une révolution contre la guerre coloniale que les armées portugaises menaient en Afrique. Ce fut aussi une révolution contre la « règle d’or » qu’imposait la dictature Caetano qui venait de succéder depuis 1969 à la dictature du « Doutor » Salazar, laquelle avait débuté en 1934. A l’époque, la dictature imposait « l’équilibre budgétaire » et le faisait payer au peuple : Salazar ne voulait pas qu’il manque un « escudo » dans les caisses de l’état à la fin de l’année, par rapport à ceux qui y étaient entrés. Il professait cette bêtise immense que « un état c’est comme un ménage, ça ne doit pas dépenser plus que ce que ça gagne ». Ce faisant, pendant 40 ans, Salazar avait fait du Portugal le pays le plus pauvre d’Europe, poussant plus d’un million de Portugais (sur 9 millions à fuir le pays). La « règle d’or » vue du Portugal est une sorte de crime économique prolongé sur 4 décennies terribles. Un monstre qui resurgit.

Et voilà que la troïka UE/BCE/FMI recommence Salazar et Caetano. Elle veut imposer la même sorte d’austérité permanente, le même genre de crime économique qui ne sert qu’aux banquiers et aux actionnaires. Donc le peuple chante l’hymne de la révolution, du printemps portugais, à nouveau.

Déjà en le 15 septembre 2012, le gouvernement de droite de Pedro Passos Coelho, obéissant au chantage de Merkel, Barroso, de l’UE, avait voulu abaisser les cotisations sociales des patrons de 22,5 % à 18,5 % et augmenter celles des salariés de 11,5 % à 18,5% : il y avait eu un tel raz de marée dans les rues des grandes villes portugaises qu’il avait du y renoncer. C’est la seule victoire des peuples d’Europe depuis l’ouverture officielle du chantage à la crise bancaire depuis 2009.

Et là, la troïka qui n’en a jamais assez, dont le but est de profiter de la crise pour imposer des régressions sociales à tous les peuples d’Europe,  a encore exigé que Pedro Passos Coelho compense 78 milliards de crédit de la BCE par des baisses des salaires et des retraites, des hausses généralisées d’impôts, et des « économies » antisociales au travers d’une prétendue « réforme de l’état ».

Ce samedi 2 mars 2013, le pays a été submergé par une mobilisation sans précédent de Porto à Faro, dans toutes les grandes villes du pays. 400 000 à Porto, 800 000 à Lisbonne… (plus d’1,5 million d’habitants sur 9 millions, cela ferait l’équivalent de 9 millions de manifestants en France  1*). A l’appel d’un mouvement dit « apolitique », et appelé « que la troïka aille se faire voir » mais aussi de la  CGTP, c’est une marée humaine qui s’est mobilisée : « La troïka et le gouvernement dehors », « le Portugal aux urnes », « élections maintenant », « démocratie participative ».  « Qui s’endort dans la démocratie, se réveille dans la dictature », « Bandits, rendez-nous notre argent ». « C’est le peuple qui est souverain », une phrase correspondant à un des vers du chanteur engagé José Afonso, créateur de la chanson « Grândola Vila Morena », étaient le principal mot d’ordre des rassemblements. Selon l’AFP qui a le monopole de l’information : « même des militaires se sont joints au défilé qui devait se terminer vers 18 h g.m.t. sur la majestueuse et monumentale Place du Commerce qui donne sur le Tage ».

L’AFP semble indiquer une nouvelle victoire possible de cette marée humaine : « A l’issue de leur examen les créanciers de la troïka pourraient consentir à un nouvel allégement des objectifs budgétaires du gouvernement, de plus en plus difficiles à respecter, alors que l’économie devrait cette année reculer de 2 %, soit deux fois plus qu’envisagé précédemment, et que le chômage a atteint le taux record de 16,9 %. »

Combien de manifestants ? Entre 10 à 15 % du peuple est dans la rue : « Ce genre de comptabilité n’est pas important », dit un des responsables du mouvement, Nuno Ramos de Almeida. « Ce qui l’est, a-t-il dit à l’AFP, c’est que les gens s’opposent à cette politique » « Le gouvernement ne peut gouverner contre le peuple et je crois qu’il va tomber ».

Après la crise politique spectaculaire, ouverte par les élections italiennes, après les grands mouvements en Espagne, on peut constater et commencer à se réjouir, que les politiques d’austérité et d’équilibre budgétaire, voient se dresser contre elles les salariats indignés.

Nous devons soutenir les portugais, comme les espagnols et les grecs, car c’est nous soutenir nous-mêmes.

Nous, nous avons un gouvernement de gauche. Mais celui ci marche sur des oeufs. Que le gouvernement Ayrault veuille mener une « politique rigoureuse » et non pas une « politique de rigueur » ne change pas grand chose.  Les objectifs de 3 % de déficit et de 0,5 % de déficit sont des abîmes. Oui, François Hollande est » le plus à gauche » d’Europe mais tout est relatif : il n’y a personne d’autres à gauche ni à Rome, ni à Madrid, ni à Lisbonne. L’explication qu’on nous donne au Bureau national du PS : « Nous faisons moins de rigueur anti sociale qu’ailleurs » ne peut suffire. Surtout quand il est donné 20 milliards aux patrons, et quand il est question d’imposer l’ANI Medef. Surtout quand Pierre Moscovici, le 24 décembre 2012 donne 2,585 milliards pour sauver Dexia, après avoir refusé 1 milliard pour sauver Mittal. Tout cela crispe les salariés mobilisés par les attentes, les urgences sociales. Quand il y a 5 millions de chômeurs et 10 millions de pauvres, ne pas faire « trop de mal » ce n’est pas faire du bien. L’équilibrisme, à la marge, cela ne satisfait pas et ne satisfera pas le Medef, lequel agite les cloches pour que « les investisseurs étrangers » nous pressionnent davantage et impose à François Hollande d’en faire plus, et plus et encore plus pour la finance.

Nous sommes menacés en France, de voir encore reculer nos retraites, nos allocations familiales sont menacées, nos salaires sont bloqués, ils reparlent de TVA à 21 %… chaque jour le Medef mène bataille contre le gouvernement français pour nous faire subir le même sort que les habitants de Rome, Madrid  et Lisbonne.

La résistance des Portugais contre la troïka les aide mais nous aide aussi.  Aidons-nous nous-mêmes en étant dans la rue le 5 mars.

Observons qu’en Italie avec le M5E (Pepe Grillo), en Espagne avec les « Indignados », et au Portugal » avec le mouvement « Que la troïka aille se faire voir », le « vide » créé quand la gauche n’est pas à la hauteur, quand elle se plie peu ou prou à la troïka, appelle a des « mouvements » substitutifs de remplacement. En Grèce, la débâcle du Pasok, a laissé la place à Syriza. Cette résistance déformée prend des visages confus, contradictoires, hétérodoxes comme les 25 % de Pépé Grillo en Italie,  mais la « lecture » de ces mouvements ne fait aucun doute : contre l’Europe dominée par les libéraux, contre la dictature de la BCE et de ses amies, les banques privés, contre le paiement de la « Dette indigne ».

L’Europe a voulu se doter d’un budget d’austérité pour 7 ans, sous la houlette de Cameron et Merkel. Elle se démasque ainsi auprès de dizaines de millions d’européens en colère et cela nourrit des explosions comme celle du Portugal. Ca va faire un raz de marée partout.

En France, 2 français sur 3 sont déçus par François Hollande : en fait ils sont déçus que François Hollande n’engage pas plus le fer avec la finance. Même si, en face, Laurence Parisot menace : « Nous mettrions ça suffisamment en cause pour que les investisseurs étrangers changent d’avis sur la France ».

Le Point conclut en qualifiant Hollande de « louvoyeur » afin de le faire céder à 3000 % coté Medef. Il faut des millions de manifestants dans les rues pour le faire pencher coté salariat.

C’est le schéma dans lequel nous sommes : où le « louvoiement » se termine en « austérité » accrue ici aussi ou comme au Portugal, en entrant dans les manifestations de rue comme le 5 mars,  nous obtenons que la « troïka aille se faire voir » !

 

1* (Angra do Heroismo 50 | Barcelona 30 | Beja 1000 | Braga 7000 | Caldas da Rainha 3000 | Castelo Branco 1000 | Chaves 200 | Coimbra 20000 | Entroncamento 300 | Estocolmo 15 | Guarda 500 | Horta 160 | Lisboa 800000 | Londres 100 | Marinha Grande 3000 | Paris 100 | Portimão 5000 | Porto 400000 | Santarém 500 | Setúbal 7000 | Sines 120 | Tomar 200 | Torres Novas 250 | Viana do Castelo 1000 | Vila Real 1800)

 

Lire « Printemps portugais » 600 p. Ed. Actéon, 1984, Gérard Filoche

5 Commentaires

  1. Yassin
    Posted 3 mars 2013 at 14:55 | Permalien

    Une très jolie scène filmée ici. 15 février 2013, à l’assemblée portugaise le public interrompt les débats en chantant « Grândola villa morena ».

    http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-marliere/210213/grandola-vila-morena-chant-de-resistance-portugais

    S’il avait eu du cran, le député interrompu aurait pu reprendre le chant avec le public, mais il devait se sentir un peu illégitime.

    Je me souviens d’un vieux monsieur portugais qui s’était arrêté il y a 6 mois pour prendre mon tract PCF et raconter ce qui se passait dans son pays. Il avait le sentiment que la révolution des oeillets avait été effacée. Et il parlait aussi de ce gouvernement qui recommandait aux jeunes de quitter le pays, d’aller tenter leur chance ailleurs. Au congrès du PCF, Maité Molla du Parti Communiste espagnol nous a aussi raconté que c’est le cas dans son pays… alors que la jeune génération espagnole est la mieux formée de l’histoire du pays !

  2. Gilbert Duroux
    Posted 3 mars 2013 at 15:04 | Permalien

    100 députés PS viennent de se rallier sans condition au MEDEF-CCFDT :
    http://www.humanite.fr/politique/accord-sur-lemploi-100-deputes-ps-contre-les-retou-516554
    On voit maintenant clairement la nature de classe de ce parti dit « socialiste ».

    extrait :
    Une centaine de parlementaires socialistes appellent dans une tribune à favoriser l’avènement d’une « nouvelle démocratie sociale » en transcrivant notamment dans la loi, sans en modifier l’équilibre, l’accord sur l’emploi signé par le Medef, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC qui arrive au conseil des ministres mercredi.

    Selon ces élus qui s’expriment dans le Journal du dimanche, l’accord sur l’emploi conclu début janvier « marque la naissance d’un nouveau modèle social ».

  3. sébastien
    Posted 3 mars 2013 at 17:20 | Permalien

    Donc 100 députés socialistes + ceux de l’udi et de l’ump, la messe semble déjà dite et ce malgré, les efforts de beaucoup. Les salariés français seront les grands perdants, les plus puissants gagnants grâce au gouvernement élu par les salariés, cherchez l’erreur!
    Si Mr le Président avait daigné accorder plus que 35 minutes à son homologue islandais, il aurait compris beaucoup de choses. Rien que cela nous prouve bien qu’il ne veut pas sortir la France et ses chômeurs ainsi que l’UE de son marasme et qu’il cautionne très bien ceux qui imposent le malheur aux peuples décrits dans l’article que vous avez écrit, qu’il est et restera hermétique aux bonnes solutions favorables au peuple.
    Donc finalement, ce qu’on nous propose: une fausse alternance avec Hollande puis Copé ou Fillon en 2017 puis Valls en 2022 et rien ne changera. une petite dose de vote utile…. pour eux et ceux qui les manipulent… Ils n’ont absolument pas compris la leçon de 2002… Les Italiens semblent commencer à comprendre, j’espère que les français se réveilleront.

  4. Posted 4 mars 2013 at 15:03 | Permalien

    le Medef et la CFDT ce n’est pas pareil, je déteste l’accolage « CFDT-Meef », il est étroit d’esprit, vain, dangereux, et peut nous faire battre au lieu de nous faire gagner

  5. Gilbert Duroux
    Posted 4 mars 2013 at 17:39 | Permalien

    Non, le MEDEF et la CFDT, ce n’est pas pareil. Les dirigeants du MEDEF n’ont pas besoin des socialistes pour se voir offrir une sinécure à la fin de leur mandat. Par contre, les dirigeants de la CFDT ont droit à des gros fromages : Maire à la direction des VVF ; Notat a eu droit a plusieurs fromages, le dernier en date offert par Fleur Pellerin ; Chérèque a été nommé à l’IGAS et il est également président du Think Tank Terra Nova, une succursale du PS (les amis de DSK, en gros) qui a théorisé que, puisque les ouvriers ne votaient plus PS, il fallait faire dans le sociétal plutôt que dans le social.
    Finalement, le syndicalisme de trahison, ça paie !
    Je ne dis rien des militants de base de la CFDT, vous le remarquerez. Sans doute, comme les militants de base du PS sont-ils abusés.

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