L’ordonnance Macron contre nos dimanches et nos nuits

 

ANALYSE PROJET MACRON : en route pour que femmes pauvres et précaires et étudiants désargentés bossent le dimanche… et la nuit, pardon les « soirées » (pendant ce temps-là leurs patrons iront au théâtre et joueront au golf)

Un projet qui porte sur le droit du travail, fait par un ministre de l’économie. C’est un retour au milieu du XIXème siècle, avant qu’on invente (en 1906) un ministère du travail.

Un projet dont le titre III, étonnamment intitulé « TRAVAILLER » donne toute la mesure. On ne fera pas l’injure de penser qu’une loi dite  « Pour la croissance et l’activité »  montre du doigt les fainéants de chômeurs ou l’indolence des travailleurs dans un pays où leur productivité est une des plus fortes du monde, mais on peut sans doute y voir le “vivre pour travailler” opposé au “travailler pour vivre”.

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TITRE III  Chapitre 1

Travail dominical et en soirée

Art.75 : AUTORISATION du PREFET pour « préjudice au public » ou au «  fonctionnement normal de l’établissement »

L’ancien article L.3132-21 (« Les autorisations prévues à l’article L. 3132-20 ne peuvent être accordées que pour une durée limitée. »), abrogé par la loi n°2009-974 du 10 août 2009, devient : « Les autorisations prévues à l’article L. 3132-20 sont accordées pour une durée qui ne peut excéder trois ans »

Art. 76 : DECISION DES MINISTRES

L’article L. 3132-24 (« Les recours présentés contre les décisions prévues aux articles L. 3132-20 et L. 3132-23 ont un effet suspensif. »), abrogé par décision du Conseil constitutionnel du 4 avril 2014, est réécrit avec une tout autre signification : ouverture le dimanche dans les « zones touristiques internationales » qui seront décidées par « les ministres du travail, du tourisme et du commerce »

Art.77 : Par la suppression des deux premiers alinéas de l’article L.3132-25 et son remplacement, on obtient :

Suppression de la procédure de détermination des « communes d’intérêt touristique » et des zones « touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente » par le Préfet, « après proposition de l’autorité administrative (maire ou préfet de Paris), après avis du comité départemental du tourisme, des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés, ainsi que des communautés de communes, des communautés d’agglomération, des métropoles et des communautés urbaines, lorsqu’elles existent »

Alignement sur les zones « internationales » des conditions de l’autorisation de travailler le dimanche dans des zones désormais simplement nommées « touristiques ».

Ce qui, en clair, permet d’avoir le travail du dimanche à tous les coups : soit par un « accord collectif ou territorial », soit par « décision unilatérale de l’employeur », certes prise après référendum, mais on sait d’expérience quelle sera la marge de résistance possible des salariés dans un référendum organisé par l’employeur.

A noter la nouvelle notion d’ « accord territorial » qui est sans doute la plus défavorable pour les organisations syndicales du point de vue du rapport de forces (il s’agit des organisations syndicales « les plus représentatives dans la région concernée », comment seront-elles décidées ?)

Art. 78 : par la modification de l’article L.3132-25-1,

Les dérogations accordées par le Préfet dans les « unités urbaines de plus de 1 000 000 habitants » pour les « établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services dans un périmètre d’usage de consommation exceptionnel caractérisé par des habitudes de consommation dominicale, l’importance de la clientèle concernée et l’éloignement de celle-ci de ce périmètre » deviennent :

dérogations pour « les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services situés dans des zones commerciales, caractérisées par un potentiel commercial » et cette dérogation se fera par « accord collectif ou territorial » ou « décision unilatérale de l’employeur »

Art. 79 : Modification de l’article L.3132-25-2.

La création (délimitation, modification) des zones « touristiques » (L.3132-25) et des zones « commerciales » (L.3132-25-1) est faite sur demande du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale et elle est décidée par le Préfet après plusieurs avis.

Art. 80 : Les contreparties pour les salariés fixées par l’actuel article L.3132-25-3 (repos compensateur, salaire doublé) sont modifiées.

Pour les autorisations d’ouverture le dimanche pour « préjudice au public » ou au «  fonctionnement normal de l’établissement », pour les « zones internationales », les « zones touristiques » et les « zones commerciales »,

il faudra soit un « accord collectif ou territorial », soit une « décision unilatérale de l’employeur » qui fixent les contreparties.

Contrairement aux dispositions de l’actuel article L.3132-25-3, en cas de décision unilatérale de l’employeur le salaire ne sera pas doublé automatiquement pour les entreprises de moins de 20 salariés dans les « zones touristiques » (« Dans les établissements de moins de vingt salariés situés dans les zones définies à l’article L. 3132-25, la décision unilatérale de l’employeur peut fixer des contreparties différentes de celles mentionnées au III.). Et même si elles franchissent le seuil des 20 salariés (tiens, là ils veulent bien des seuils…), elles auront droit au minimum à trois ans de délai… (application « à compter de la troisième année consécutive au cours de laquelle l’effectif de l’entreprise employé dans la zone atteint ce seuil »).

Art. 81 et 82 : pas de changement

Art. 83 : Modification de l’article L.3132-25-6

Le nouvel article ajoute encore une catégorie d’établissements qui pourront ouvrir le dimanche avec accord collectif ou décision unilatérale de l’employeur : les « établissements situés dans les emprises des gares ». »

Soit parce qu’ils sont dans une zone touristique internationale ou une zone touristique à potentiel soit une zone commerciale. Soit par « arrêté conjoint des ministres chargés des transports, du travail et du commerce »

Art. 84 : Modification de l’article L.3132-26

Le nombre de dimanches pouvant être supprimés par le maire passe de 5 à 12 !

Un ajout peu clair : « Cette suppression, est de droit pour cinq de ces dimanches. ». Cela veut-il dire que pour 5 dimanches, les établissements n’auront pas à demander la suppression ? Sans doute si on se réfère aux dispositions transitoires pour 2015 (Art. 86), où il est prévu que sur les 8 dimanches pouvant être supprimés par le maire, 3 devront être fixés par arrêté du maire « dans un délai maximum de deux mois après la promulgation » de la loi. Il est sans doute utile de rappeler que pour ces dimanches, le volontariat des salariés n’est pas de droit.

Art. 86 : Rien ne se perd.

Les anciennes zones créées par la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 ne sont pas oubliées : Les « communes d’intérêt touristique ou thermales et les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente » deviennent « de plein droit » des « zones touristiques à potentiel » ; les « périmètres d’usage de consommation exceptionnelle » deviennent « de plein droit » des « zones commerciales ».

Art. 85 : Le travail de nuit devient « travail de soirée ». Plus belle la vie.

Ajout d’un article L.3122-29-1 qui permet aux établissements de vente au détail dans les « zones touristiques internationales » de faire travailler de nuit (de 21h à 24h) des salariés « volontaires » dès que l’employeur a obtenu un « accord collectif ».

Richard Abauzit

Aucun salarie de ce pays ne travaille le dimanche parce qu’il le veut mais parce que le patron le veut

Où en est-on des décisions actuelles de justice concernant le travail le dimanche ? sont elles contradictoires ? Faut il refaire une nouvelle loi ?
Les décisions de justice, c’est vrai, sont contradictoires, les juges ont des opinions personnelles différentes sur l’ouverture du dimanche, et le laissent transparaître dans leurs décisions. Cela est rendu possible parce que le principe du repos dominical existe toujours, mais il y a trop de dérogations disparates depuis la loi Maillé-Sarkozy. On en arrive à ce que des juges condamnent les infractions à l’ouverture du dimanche, mais avec des astreintes insuffisamment dissuasives. D’autres donnent raison à un patron qui porte plainte contre les autres, et d’autres annulent ce jugement… Avant la loi quinquennale de décembre 1993-janvier 1994 il n’y avait que 3 dimanche d’ouverture autorisées. La loi Giraud avait envisagé 12 puis 8 puis 7 puis 5 au lieu de 3. C’est donc un débat hasardeux et artificiel. Rappelons que c’était avant « la crise » cela n’est donc absolument pas nourri par l’actualité économique ou sociale. La loi Maillé, c’était pareil, il s’agissait en 2008 de déréguler pour déréguler afin de plaire au Medef, qui vise à casser « la semaine de 35 h » et de façon plus générale le « temps légal de travail ». Pareil pour le travail de nuit dans le commerce, qui n’a aucun intérêt économique, sauf de contribuer à « casser » les références journalières de limitation du temps de travail.

Quelle est actuellement la réalité du travail le dimanche ?
Sur 700 000 commerces, 22 000 sont ouverts légalement avec des dérogations préfectorales et municipales (zones touristiques, périmètres d’usage commercial exceptionnel…). Après ça, il y en a quelques milliers ouverts illégalement. L’enjeu du « oui » ou « non » au travail du dimanche dans tout le secteur du commerce concerne 4 millions de salariés concernés avec emplois induits. C’est énorme pour la vie de ces 4 millions de salariés.
Ce serait un changement de société lourd, et remplacerait la civilisation du loisir par la « civilisation du caddy », comme disait Henri Krasucki. 5 % des salariés travaillent le dimanche de façon régulière (hôpitaux, feux continus, transports, loisirs, là ou c’est indispensable…) et 25 % travaillent occasionnellement. On dit que plus de 75 % des « sondés » seraient favorables à l’ouverture le dimanche, mais 85 % des « sondés » disent aussi qu’eux-mêmes ne veulent pas travailler ce jour là…
Les salariés de Leroy Merlin et Castorama ont été totalement organisés par leurs patrons : séances de formation avec des communicants sur leur temps de travail, déplacements payés, jours payés, transports et repas payés, T-shirts, banderoles, tracts payés. Ils habillent cela du mot « volontariat », mais le volontariat n’existe pas en droit du travail. Ce qui caractérise un contrat de travail est un « lien de subordination juridique permanent ». Aucun salarié de ce pays ne travaille le dimanche par « volontariat », mais parce que le patron le veut. En fait, mettre en avant des salariés qui « veulent » travailler le dimanche, c’est une manipulation complète.

Patrons et ministres invoquent relance de la consommation. Alibi ou réalité
?
C’est hors sujet. Ce qui sera acheté le dimanche ne le sera pas le samedi ou le lundi. Les portes monnaies ne sont pas extensibles en ces temps d’austérité. Les magasins ouverts en fraude, claironnent des chiffres d’affaires mirobolants majorés de 20 %… mais justement c’est parce qu’ils fraudent, violent la « concurrence » et se font de la « pub » en plus. Banalisé le travail du dimanche sera vite démonétisé, avec des magasins vides, ça coutera plus cher et n’aura plus qu’un effet négatif pour les salariés, sans même une contre partie financière.

Et la sauvegarde des emplois ?

L’ouverture généralisée profiterait aux grandes chaînes contre les petits commerces qui en subiraient le contre coup : il a été calculé (DARES) que ce serait un solde négatif de 30 000 emplois perdus.

Un emploi du dimanche sera un emploi de moins le lundi.

Les grandes chaînes s’en tireront en embauchant des femmes pauvres et précaires ou des étudiants désargentés en turn-over permanent façon McDonald’s.
Ils « tiennent » un peu les salariés en leur donnant des primes de 25 %, 30 %, 50 % parfois mais très rarement 100 % : ces primes ne sont pas inscrites dans la loi. Elles pourront donc être facilement supprimées. Et l’ordonnance Macron prévoit bien qu’elles ne seront pas majorées dans les entreprises de moins de 20 salariés, les plus nombreuses. Vu que les salaires sont trop bas, les pauvres n’ont pas le choix, ils courent après 30 euros et ca se comprend. Mais répétons le, que ce soit bien clair,  s’il y avait généralisation de l’ouverture du dimanche, ces primes « exceptionnelles » n’auraient plus de raison d’être et seraient retirées à ceux qui en rêvent, aujourd’hui s’y accrochent ou les réclament. La banalisation du dimanche en fera un jour de vente comme les autres, il y a même fort à parier que ce jour-là deviendra un jour à faibles ventes.

Une nécessité économique dans les secteurs concernés ?

Il n’y a rien d’économique là-dedans, c’est idéologique : le patronat veut surtout déréguler la semaine et les durées du travail hebdomadaires. C’est pareil pour les ouvertures de nuit genre Sephora. Les touristes chinois qui restent six jours à paris, ont tout le temps d’acheter dans la journée… ou en duty free à l’aéroport !

Le but réel du travail le dimanche est de remplacer la semaine de 35 heures par des horaires à la carte comme l’exige le Medef. Toutes les activités commerciales et annexes peuvent être concernées par la déréglementation voulue par le Medef : vendre du parfum et de la fringue le dimanche, quel sens cela a-t-il ?

Le dimanche, c’est un jour de repos collectif, socialisé, facilitant les rapports humains pour toutes les activités de loisirs, culturelles, associatives, citoyennes, familiales et même sportives ou religieuses. Il arrive qu’un étudiant veuille travailler le dimanche, mais ce ne durera pas pour lui, et plus tard, qui gardera les enfants, qui fêtera leur anniversaire si les parents travaillent le dimanche ? c’est un vandalisme anti social que de supprimer un jour de repos commun, collectif, point de rencontre POUR TOUTES ET TOUS dans la société.

Qui sont « les bricoleurs du dimanche » ?

Des braves gens qui pourraient faire leurs courses le vendredi après-midi s’ils bénéficiaient vraiment des 35 heures. Ou de la semaine de quatre jours.

Que défendent les syndicats hostiles au travail du dimanche ?
Le respect du principe du repos dominical voté en 1906 à l’unanimité par l’Assemblée nationale, et des dérogations limitées strictement aux nécessités. En vérité, on devrait réclamer le retour aux deux jours de repos consécutifs, dont le dimanche. La semaine de 5 jours (vers quatre jours de 8 heures) serait un minima et seule la réduction du temps de travail peut faire reculer le chômage de masse. Quant au salaire du dimanche dans les secteurs ou il est contraint et nécessaire ( santé, transports, loisir, restauration, alimentation, feux continus, etc…)  oui, le salaire devrait être doublé par la loi avec repos compensatoire.

Bien sur, il y a des travaux indispensables le dimanche, mais comme ceux de nuit, donc des « dérogations » précise et motivées doivent être accordées, à condition qu’elles soient bien encadrées, il faut qu’ils soient restreints et limités à ceux qui sont nécessaires et indispensable.

Les projets du gouvernement ?
C’est très mauvais signe que le gouvernement veuille procéder par ordonnance (et menace de 49-3). La vérité est qu’il n’a pas la majorité des députés, donc il lui faut passer en force. Le PS, en tant que tel est officiellement opposé à l’ordonnance et à son contenu issu du rapport de Jean-Paul Bailly (ex PDG de la Poste). Mais la pression syndicale est grande, et il y a unité la dessus. Comme sur le reste de l’ordonnance Macron, il pourrait y avoir une réaction unitaire syndicale. C’est souhaitable. Il y a aussi de fortes oppositions et contradictions : la Mairie de Paris par exemple, recherche le compromis à 7 dimanches, cinq de moins. Et le gouvernement a fait tellement de cadeaux au Medef (lequel ne lui en est nullement reconnaissant et manifeste même contre lui) que rien de tout ça n’est nécessaire.

 

5 Commentaires

  1. Posted 1 décembre 2014 at 12:40 | Permalien

    On veut nous faire croire que le dimanche égal croissance.Pour qui? On nous parle d’une société de loisir. Pour qui? Pas les petits salaires, ils n’en tireront aucuns bénéfices mais du travail obligatoire certainement.

  2. véro
    Posted 1 décembre 2014 at 12:58 | Permalien

    cela devient insupportable, ces retours en arrière qui ne servent qu’à profiter toujours aux mêmes!! plus on leur en donnent plus ils en veulent!!!! je travaille déjà le dimanche matin (depuis 10 ans) avec 3 euros seulement en supplément par dimanche travaillé, les jours fériés également puisque je travaille dans le commerce gros alimentaire dans une zone rural ou la population ne dépasse pas 3000 habitants et ou on a décidé que se serait une zone touristique. Avec des temps partiels, ils font ce qu’ils veulent de nous sans rémunérations complémentaires. Si celle loi passe et qu’on nous demande de travailler le diamanche après-midi et en soirée, nosu serons les esclaves de cette soit disant société moderne!!! Y EN A MARRE!

  3. Posted 8 décembre 2014 at 20:45 | Permalien

    Pourquoi ce qui est toujours possible à l’étranger ne l’est jamais en France ? Les députés contestataires de gauche portent la responsabilité de l’échec de la gauche au pouvoir en mettent constamment des bâtons dans les roues du gouvernement et en l’empêchant de faire les vraies réformes. La France est devenue le pays sinistré de l’Europe à cause d’un consavatisme à courte vue archaïque.

  4. Posted 10 décembre 2014 at 8:05 | Permalien

    Ce qui n’est pas démocratique, c’est qu’une minorité, celle qu’on appelle les frondeurs, veuille imposer sa loi à une majorité qui n’a pas voté pour elle, mais seulement contre Sarkozy !

  5. LILI
    Posted 10 décembre 2014 at 20:34 | Permalien

    A Duhamel : vous voulez revenir au capitalisme le plus sauvage du 19 eme siècle ! sans lois, sans règles ; voilà l’archaïsme Duhamel. Tu n’es pas à la place de Véro; tu ne sais pas de quoi tu parles ; en effet, il y a en marre de ces donneurs de leçons qui eux ne travaillent pas le dimanche ! et bien allez-y , on voudrait bien vous y voir.
    Tout à fait d’accord avec toi, Véro.

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