Mon intervention au BN du PS du mardi 17 mars en présence de François Rebsamen

Merci de nous avoir présenté, en amont, au BN, ce nouveau projet de loi « sur le dialogue social » qui doit arriver au Conseil d’Etat dans 15 jours et en conseil des ministres à la mi-avril pour une lecture à l’Assemblée nationale le 20 mai.

Tu l’as présenté comme n’étant «  pas une session de rattrapage » de l’échec des négociations entre partenaires sociaux, mais comme une « volonté du gouvernement » correspondant à son document de juillet 2014 soumis au patronat et aux syndicats.

Quatre axes, dis-tu :

1°) Le premier vise à la représentation des salariés et syndicats dans les TPE. C’est bienvenu car dans ces entreprises, c’est le « Moyen Age » en droit du travail. Le choix de supprimer les délégués du personnel (DP) me semble aller dans le sens contraire à celui qu’il faut emprunter. En Allemagne, les délégués commencent à 5 : pourquoi ne pas les imiter en ce cas ? Tu dis « en France les lois existent mais ne sont pas appliquées ; en Allemagne ce sont des contrats, il n’y a pas de lois, mais ça s’applique ». Il y a du vrai là-dedans, mais la cause n’est pas le débat ni choix entre « contrats » et « lois » ; la cause en est le comportement historique profondément différent des deux patronats des deux pays, l’un qui négocie davantage avec les syndicats, l’autre qui les combat.  Si 80 % des entreprises françaises qui devraient avoir des délégués du personnel n’en ont pas, c’est bien de la faute du patronat et de sa mentalité de chasse aux sorcières contre les délégués et les syndicats.

J’avais suggéré, et notre parti avait dû le voter en 1996, d’élargir prérogatives et moyens des « conseillers du salarié ». Ils ont l’avantage d’exister déjà. Ce sont des syndicalistes proposés par leur organisation et nommés par les préfets. Ils n’interviennent que lors des procédures individuelles de licenciements, là où il n’y a pas de délégués du personnel. Il suffirait d’étendre leurs possibilités d’intervenir aux cas de litige dans l’application de conventions collectives. Un numéro vert dans l’entreprise, leur droit d’entrer et de négocier des solutions entre l’employeur et les salariés. Il faudrait seulement qu’ils soient plus nombreux, avec plus d’heures de délégation, et désignés plus démocratiquement en proportion des voix des syndicats aux élections des TPE (puisque je note que tu maintiens celles-ci, ce qui est un volontarisme bienvenu, puisqu’en 2012 sur 4,2 millions de salariés concernés dans 1 million d’entreprises, seulement 420 000 avaient voté, 10 % ; il faudrait améliorer information et mobilisation en 2016).

2°) Au nom du trop grand nombre d’obligations qui, avec « 17 consultations annuelles » et « 12 négociations », entraineraient, selon toi, une « perte de substance » du fonctionnement des Institutions représentatives du personnel (IRP),  tu proposes de « simplifier » et de regrouper CE, CHSCT, DP avec 3 obligations annuelles, information et consultation sur la gestion des personnels  (GEPC ?), sur les orientations économiques et financière et sur les obligations sociales de l’entreprise.

J’objecte que, déjà informations et consultations des élus du personnel et des syndicats ont fortement reculé en pratique depuis que la « banque de données unique » (BDU) (issue de l’ANI du 11 janvier 2013, et de la loi du 14 juin qui en est la traduction) a été mise en place. Avant il y avait des calendriers fixes, trimestriel, semestriel, annuel, où l’employeur devait informer les IRP et consulter (NAO). Depuis que cela est traité au « fil de l’eau », informations et consultations ont reculé. Sans calendrier, sans obligations datées et régulières, la preuve est faite que le patronat ne joue plus le jeu.

3°) Ensuite la suppression des CHSCT signera leur mort. Ce sera un recul considérable par rapport à des décennies de prise en compte progressive et difficile des questions de santé, d’hygiène et de sécurité. Et aussi de ce qu’avaient permis depuis 30 ans, les lois Auroux, rajoutant « CT » à « CHS ».  Mais hélas, il n’y a que 22 000 CHSCT en France, les employeurs se sont arrangés, là où ils étaient pourtant obligatoires, pour ne pas les mettre en place. Rappelons vite que les CE à l’origine étaient les « comités patate » mis en place sous Pétain, qui servaient à distribuer les tickets de rationnement aux salariés ; c’est parce que les questions de sécurité et d’accidents n’arrivaient jamais à l’ordre du jour des « comités patate », que des commissions ad hoc, « CHS » ont été créées. Et ces CHS sont devenus CHSCT en 1982 grâce à nous. Si ces questions sont réintégrées dans les CE, elles seront « squeezées » à nouveau : il n’y aura jamais le temps de les aborder, et plus personne dans les réunions quand elles seront débattues. Je signale qu’il n’existe que 22 000 CHSCT (cf. le seul avis du CES que j’avais fait adopter et qui fut publié en 2001 par le Journal officiel de la République, « bilan de 20 ans de CHSCT ») et qu’ils ne sont pas « envahissants » ni « sédimentés », bien au contraire : il  faut donc du volontarisme pour les développer. Je proposais, à l’opposé, (dans cet avis adopté par le CES) que les CHSCT soient élus et non plus désignés, que la formation de leurs membres soit plus développée, qu’ils aient 20 heures de délégation et non plus 2, qu’ils aient un budget, en fait qu’il que le CHSCT soit un second CE aussi important, et non pas absorbé par le CE ! Il faut développer la santé, la sécurité, l’hygiène et la protection des conditions de travail, et non pas la réduire et les ; or les CHSCT ont l’avantage de voir participer les inspecteurs du travail, les médecins du travail et les agents de la CRAM, ce qui, avec ces regards extérieurs, permet de déjouer la passivité légendaire des employeurs sur ces questions.

Chaque instance a sa fonction, vérifiée depuis longtemps à l’usage, et qui ne sont pas « redondantes » : les DP pour les questions individuelles, les CE pour les questions collectives économiques et sociales, les CHSCT pour les conditions de travail. Vouloir mêler cela en une seule instance, quand bien même il y aurait le même nombre d’heures de délégation, sera confusionniste, trop lourd,  et finalement impraticable. Déjà sous la forme actuelle les employeurs ne respectent pas les IRP ; sous une forme fusionnée, ils s’en moqueront et expédieront au galop les points à l’ordre du jour, usant les participants. Ça se fera donc au détriment de chacune des fonctions fusionnées. Et les personnalités morales des instances, le pouvoir d’ester en justice, le droit à l’expertise, le droit à la formation, les budgets seront diminués d’autant.

4°) Enfin, garantir « en échange » la représentation syndicale, valoriser les parcours professionnels contre les discriminations patronales sévères qui existent, oui, ça peut rassurer, sinon être une monnaie d’échange pour les cadres syndicaux pendant que diminuent d’autres droits pour les salariés. Mais si on veut séduire les syndicats… pourquoi ne commence-t-on pas par reprendre l’amnistie syndicale, que tu as votée en son temps, au Sénat, François Rebsamen ?

Je voulais ensuite et surtout, souligner, qu’il y a un problème grave et nouveau autour de la définition du contrat de travail : la planète « internet » s’est moquée de toi, François Rebsamen, parce que tu as dit au Sénat le 11 mars que « Le contrat de travail n’impose pas toujours un rapport de subordination entre employeur et salarié : il est signé par deux personnes libres qui s’engagent mutuellement ». Or actuellement « ce qui caractérise un contrat de travail est un lien de subordination juridique permanent » et le fait qu’il est passé entre deux parties inégales. Ton ministère l’affiche encore, et la Cour de cassation l’a dit mille fois. Chacun sait que le salarié n’est au même niveau dans le contrat que son employeur. Dans l’entreprise, il n’existe pas de citoyenneté, pas d’égalité, pas de liberté ; c’est l’employeur qui décide de la naissance du contrat, de la gestion du contrat, de la rupture du contrat, de l’exécution des tâches et de leur sanction en termes de salaire. Il n’existe pas de volontariat en droit du travail, ni le dimanche, ni les autres jours. Essayez de travailler le dimanche si votre patron ne le veut pas. Essayez de ne pas travailler le dimanche si votre patron le veut. Le salarié est « subordonné », il n’est pas un « collaborateur ». C’est pour cela qu’il y a des contreparties à la subordination, et c’est le droit du travail. C’est parce que les salariés sont subordonnés qu’ils sont spécifiquement protégés par un code ad hoc, le Code du travail. Même si leur contrat écrit individuel imposé par l’employeur et signé par eux, comporte des clauses illicites, léonines, il est réputé ne pas compter ; il est alors illicite, le code l’emporte.

C’est pourquoi les réactions sur internet à tes propos, du 11 mars sont infondées :  il n’y avait pas de raison de se moquer de toi à ce sujet. Car vous vous engagez dans une rupture radicale avec cet ordre public social. Et, en effet, tu t’adaptais très bien à la nouveauté que représente le projet de loi Macron art. 83, lorsqu’il supprime la précision qui, dans le Code civil (art 2064 et loi du 8 février 1995) distingue les contrats civils de gré à gré : ce qui permet d’ouvrir des nouvelles relations de travail qui ne dépendent plus du code, lesquelles, comme tu disais « seraient signées entre deux personnes libres qui s’engagent mutuellement ». Tu t’adaptais dans tes propos à la nouvelle loi qui permet à des contrats d’échapper au code du travail. Par des contrats civils dérogeant à l’ordre public social qui jusque-là s’imposait à tout employeur et salarié. C’est effectivement quelque chose de fondamental en théorie : le Medef avait organisé en mars 2011, dans ses locaux de Wagram, un colloque sur la « soumission librement consentie », ils disaient avec leur accent anglais aussi mauvais que le mien : « compliance without pressure ». C’est ce que vous êtes en train d’adapter avec le projet de loi Macron. Il ne s’agit pas d’invoquer « un peu de libre arbitre » qui existe bien sûr, de toute façon, il s’agit d’enlever la notion de subordination pour enlever la notion de contrepartie !

Du « libre arbitre », évidemment il y en a dans l’exécution de tout travail (avec droit d’alerte, de retrait), mais pas dans le respect de l’ordre public social. Le repos dominical est d’ordre public social. L’ordre public social, les lois de la République, l’état de droit dans l’entreprise  s’imposent à tous. Un contrat individuel de gré à gré entre « deux personnes libres » ne devrait donc pas permettre de déroger au Smic, aux 35 h, au port des chaussures de sécurité, etc. Mais ce n’est pas une erreur, ni une imprécision : vous ouvrez la brèche.

C’est pour cela, puisqu’on est consulté en amont, que je demande au Bn de prendre parti, avant le retour à l’Assemblée en mai, après le Sénat en avril, et avant un éventuel nouveau 49 3, de demander à ce que soit supprimée la remise en cause de l’article 2064 du code civil et de la loi du 8 février 1995 dans l’article 83 de la « petite loi ».

Je n’ai plus de temps pour évoquer la gravité du décret du 2 février  concernant la diminution de la protection des enfants de 14 à 18 ans au travail, afin de les rendre plus « employables » par les patrons. Je trouve que ce décret devrait faire se lever des boucliers d’indignation. Je ne peux non plus parler des doutes sur la « carte professionnelle », sur la fin du délit d’entrave…

 

8 Commentaires

  1. Laurus Nobilis
    Posted 20 mars 2015 at 18:59 | Permalien

    Bonjour,
    Comme je partage…
    Comme j’aurais aimé entendre la réponse de Mr. Rebsamen….
    Ce monsieur qui n’a sans doute jamais signé de contrat de travail …?
    Avec mon plus profond respect pour votre travail.

  2. Posted 20 mars 2015 at 20:48 | Permalien

    Bonsoir à tous,
    En complément de ce qu’a écrit notre camarade Gérard Filoche, je vous invite à lire l’article intitulé « Pourquoi le Medef veut-il la disparition des CHSCT ? », disponible à l’adresse suivante : http://blogs.mediapart.fr/blog/gdoublet/020215/pourquoi-le-medef-veut-il-la-disparition-des-chsct
    Solidairement.

  3. françois 70
    Posted 21 mars 2015 at 17:25 | Permalien

    Un jour peut-être des anthropologues parviendront-ils à expliquer pourquoi un homme comme toi, dont le dévouement à la cause des classes populaires ne s’est jamais démenti, a choisi de s’accrocher à un parti ouvertement pro-capitaliste et néolibéral qui sacrifie consciemment les intérêts du peuple…

  4. Posted 21 mars 2015 at 17:38 | Permalien

    ils n’auront pas de mal a comprendre contrairement a tant de sectaires d’aujourd’hui qui ne connaissent pas la réalité du salariat…

  5. Posted 21 mars 2015 at 17:39 | Permalien

    Bonjour,

    Je me permets de vous envoyer ce message suite à l’article que je viens de lire dans médiapart.
    Conseiller du salarié depuis 8 ans, et secrétaire d’un CHSCT depuis 1 an, vous m’avez mis un peu de baume au cœur dans cette période si agitée pour l’instance du CHSCT.
    Mes expériences m’ont en effet permises de constater combien le rôle de conseiller du salarié pourrait être plus étendu et être une aide avant l’entretien préalable. Les instances représentatives sont effectivement une chance pour les salariés et pour les entreprises. Merci encore de votre article :-)

    Cordialement
    Corinne Ducroux
    élue CFE-CGC
    secrétaire CHSCT
    conseiller du salarié sur la région Beaujolaise

  6. Posted 22 mars 2015 at 13:08 | Permalien

    Bonjour à tous,
    En complément de ce qu’a écrit notre camarade Gérard Filoche, je vous invite à lire l’article intitulé « Dialogue social : le mythe de la simplification créatrice d’emplois », disponible à l’adresse suivante : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/180315/dialogue-social-le-mythe-de-la-simplification-creatrice-d-emplois
    Solidairement.

  7. Agnès_CNRS
    Posted 31 mars 2015 at 17:35 | Permalien

    Bonjour
    je voulais vous demander si la loi « Base de données unique » des instances représentatives du personnel était appliquée également dans la Fonction Publique d’Etat et précisément dans un EPST relevant du Ministère l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique ?
    Merci
    Agnès_CNRS – membre CRHSCT – SNTRS-CGT

  8. BARTHELEMY Pascal
    Posted 4 avril 2015 at 14:08 | Permalien

    Ce qui me frappe dans le discours du gouvernement actuel c’est qu’à chaque fois qu’ils disent soutenir les entreprises -et pourquoi ne pas soutenir les entreprises penseront beaucoup, au moins en attendant l’abolition du salariat et du patronat on peut toujours essayer de survivre le moins mal possible? – il faut, en fait, lire: soutenir le patronat. Il est pour beaucoup encore plus compliqué de savoir ce que veut vraiment dire ce gouvernement qui, semblant essayer de nous convaincre de la nécessité d’un soutien aux entreprises, se présente comme disant cela dans le contexte d’un discours socialiste alors qu’il faut probablement l’entendre dans le contexte d’un discours social-démocrate (voire plus si affinité avec les droites plus radicales). Bref j’ai acheté une boîte de petits pois carottes marquée « garantis bio » sur l’étiquette. Ça n’est pas du bio, et quand j’ouvre la boîte il n’y a que des carottes. Ce qui me pose réellement problème (je suis un ancien élu de CE et ancien secrétaire de CE) c’est que j’ai surtout vu les CE travailler à préserver l’entreprise des erreurs (au mieux) ou des malveillances (au pire et dans la stricte nécessité d’être raisonnablement paranoïaque dans ce genre de situations) du patronat. Bien souvent, plus souvent encore, j’ai également vu les CE être le lieu où, dans une petite mesure, mais dans une mesure sensible, les salariés élus pouvaient convaincre ou faire reculer les projets ne tenant pas compte des réalités techniques et économiques où des métiers et compétences de l’entreprise. (J’ai également vu le patronat maintenir les projets nés de son génial cerveau et planter des services, mettre en souffrance des salariés, empêcher de fait l’entreprise de produire ce qu’elle était censé produire – hormis peut-être du profit; mais ce serait trop long d’expliquer ici.) Bien sûr, j’ai peut-être eu de la chance et certains CE n’ont-ils pas toujours fonctionné de manière aussi suffisamment correcte. Mais doit-on supprimer le code de la route aux motifs qu’il est complexe, et retarde ainsi l’obtention du permis, et qu’il ne permet pas le plus souvent à ceux qui provoquent les accidents d’échapper aux poursuites. Allez, une dernière; j’ai un remède radical contre le grave problème des maladies professionnelles. Il suffit de supprimer le concept même de maladie professionnelle (pas de restreindre la liste comme le proposent certains mous). Ainsi il n’y aura plus de salariés malades de (désolé je ne sais plus, choisissez vous-même: de leur profession? de leur travail? de leur entreprise? de leur patron? du maintien du salariat et du patronat? – ou même, trouvez vous-même le terme le plus adéquat).Zut, j’ai été doublé à droite. Si le code du travail est supprimé, il n’y aura plus de maladies professionnelles (je ne suis pas juriste, peut-être faudrait-il aussi supprimer le code de la sécurité-sociale?). Mais on me rassure à ma droite: « on y pense depuis longtemps et c’est déjà dans les tuyaux ». Merci d’ainsi guérir tant de gens et d’abréger d’inutiles souffrances d’une manière aussi rapide et simple. (Ceci-dit, quant à moi, venant de subir un choc de simplification, ma tête est un peu malade et je devrai dorénavant me limiter à la catégorie entreprise pour désigner… au fait quoi, je ne sais plus… enfin, c’est quand même plus simple s’il n’y a plus de lien de subordination, je dois être libre, et je vais en profiter un peu, manger quelques carotte tout en avalant quelques couleuvres (j’aurai préféré des petits pois, mais on me dit à ma droite de me taire).

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