Dialogue pas imaginaire sur les « ponts du mois de mai »

 

Les rédactions poussent leurs journalistes à enquêter sur ces fameux « ponts » du mois de mai, qui « paralyseraient » l’économie française. C’est un sujet récurrent, ce qu’on appelle familièrement un « marronnier » en langage journalistique. Tous les ans ça revient, et les journaux économiques, surtout, s’en emparent, le Medef gémit.

Question : – Vous ne croyez pas que cette abondance de « ponts », ce ne sont plus des « ponts » mais des « viaducs », c’est exagéré ?
Réponse : – Ah, non, quand on voit le nombre écrasant d’heures supplémentaires faites par les salariés, ce n’est pas de trop qu’ils puissent profiter un peu du printemps et des beaux jours. La durée réelle du travail est plus proche de 41 h que des 35 h légales. Il existe un milliard d’heures supplémentaires non déclarées, non majorées, non payées soit l’équivalent de 600 000 emplois, vous ne trouvez pas que c’est trop ?

- Mais n’y a t il pas d’abus ?
- Oh, non s’il y a des abus c’est que trop peu de salariés ont réellement ces ponts, surtout dans les petites entreprises, dans les bas salaires et les métiers pénibles : ce sont les plus pauvres qui travaillent le plus longtemps. Dans la majorité des cas, dans le privé, les salariés ont perdu depuis plus de quinze ans leurs « deux jours de repos consécutifs », notamment dans le commerce, mais dans beaucoup de professions de services, et parfois d’industrie. Et les conventions collectives ne prévoient souvent que de 3 à 4 ou 5 jours fériés, pas plus.

- Oui, mais, ce mois de mai, cette année, il a trois ponts, parfois de trois ou quatre jours ?
- Il y a des années comme cela ! Et des années ou les jours fériés tombent un samedi ou un dimanche. Mais vous savez, dans la loi, seul le 1e 1er mai est un jour férié et chômé (et ce jour-là, il y a des infractions quand même ! Comme si des employeurs méprisaient à ce point le droit du travail qu’ils imposent à des salariés de travailler aussi ce jour-là. Combien payent réellement les majorations prévues ? Ils profitent de leur position dominante et du chantage à l’emploi pour imposer des violations de droit). Les autres jours sont hélas, de moins en moins respectés. C’est quand il y a de bons accords « RTT » grâce à des 35 h bien appliquées, que certaines catégories de salariés profitent de quelques jours de repos groupés. Dans le privé, c’est loin d’être la majorité des cas. Et dans le public, c’est souvent parce que les salariés n’ont pas pu prendre leur congé quand ils le souhaitaient, et les voilà obligés de les prendre avant la fin du mois de mai sous menace de les perdre…

- Mais ça désorganise les activités économiques, même le service public ?
- Ça désorganise… quand ce n’est pas organisé et quand les directions, faute d’effectifs suffisants, sont incapables à la fois de respecter les droits à congé et la continuité du service public. Regardez les hôpitaux où ils refusent d’embaucher et privent donc les personnels de leurs heures légitimes de repos. De façon générale, les gains de productivité en France sont parmi les plus élevés au monde, même avec ces fameux « ponts » de mai. Des salariés qui se sentent bien et qui ont des bons congés, c’est bon pour l’économie, pas l’inverse.

- Vous ne croyez vraiment pas que le nombre de jours fériés concentrés en mai est abusif ?
- Écoutez, le 1er mai a été déclaré férié par… Pétain, qui redoutait le sens historique de cette journée de manifestations sociales, mondialisées depuis 1886. L’Ascension et le lundi de Pentecôte sont des fêtes religieuses. Le 8 mai, ce n’est pas le jour « revanchard » de la « victoire contre l’Allemagne » mais celui de la victoire contre le nazisme… Est-ce ce genre de manifestation et de tradition que l’on veut supprimer ? La suppression tentée vainement  du jour de Pentecôte nuit à l’économie du tourisme et n’apporte rien sinon des heures supplémentaires impayées de plus.

- Mais n’y a t il pas trop de jours fériés en France par rapport à l’Europe ?
- Non, pas du tout, nous sommes dans une honnête moyenne par rapport aux grands pays qui ont entre 7 et 13 jours fériés. Nous avons onze jours fériés dans l’année, mais cela varie selon qu’ils tombent en semaine ou un week-end. En fait la moyenne est donc plus basse qu’ailleurs : 9,33 jours fériés en réel. Dans d’autres pays, quand le « férié »" tombe un dimanche, il est systématiquement compensé le lundi… Cela fait des décennies qu’il en est ainsi, et cela n’a pas empêché, au contraire, la France d’être cinq fois plus riche qu’en 1945 et d’être la cinquième  puissance industrielle du monde. (Ce serait mieux si on n’avait pas laissé Mittal, Petroplus, etc.. fermer ni  laissé perdre Alactel, ou Vallourec).
Ils n’ont donc pas assez de profits, les actionnaires, (les dividendes n’ont jamais été aussi élevés, et la France aussi riche de son histoire) qu’ils veuillent aussi nous rogner  nos  jours fériés du printemps ?

- Mais en Italie, ils sont revenus sur leur nombre de jours de congés…
- C’est bien ce que je disais, ils n’en ont jamais assez, ils veulent revenir sur tout, allonger la durée du travail sur la semaine, casser les 35 h, allonger la durée du travail sur la vie, casser les retraites à 63 à 66  ans, nous refaire travailler tous 45 h sans gain de salaire jusqu’à 70 ans, Macron c’est le retour au 19° siècle sur tout…

- Je n’arriverais pas à vous faire dire qu’il y a un problème avec ces « ponts » ?
- Non, le vrai problème, c’est qu’il y ait une délinquance patronale et que dans trop de secteurs, les horaires légaux et conventionnels, les durées maxima « d’ordre public social » ne soient pas respectées. Le vrai problème c’est que les effectifs des services publics et hospitaliers, transports, équipements, par exemple, ne soient pas suffisants. Il faut embaucher des centaines de milliers d’emplois publics, plutôt que de donner 41 milliards en vain au Medef qui spécule avec mais n’embauche pas.

Et puis, je vais vous dire, quelques jours de gagnés sur l’exploitation quotidienne, comme disait Prévert, c’est toujours une belle journée ensoleillée qu’on ne perdra pas à cause du stress et des « flux tendus ».

- C’est votre dernier mot ?
- En mai, ce qui va « désorganiser » l’économie, ce ne sera pas les ponts, mais le chômage qui augmente, vous ne trouvez pas que 6,1 millions de chômeurs, dont 3,5 de catégorie A qui ne travaillent pas du tout ça désorganise l’économie bien plus que…  les ponts de mai ?

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