Unité de la gauche portugaise, espoir populaire par Philipe Marlière

Nous reproduisons ici la chronique « Internationales » de notre ami Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l’University College de Londres. Vous retrouverez cet article dans la revue Démocratie&Socialisme n°229.


Pour la première fois depuis la révolution des Oeillets en 1974, la gauche portugaise (Parti socialiste, Bloco de Esquerda et CDU, qui regroupe le Parti communiste et les Verts) est unie. Elle vient de sceller un accord de gouvernement sans participation ministérielle de BE, du PCP et du PVE, qui pose les bases d’une politique anti-austéritaire engageant l’ensemble de la gauche.

Les résultats de l’élection législative du 4 octobre ont été interprétés de manière tendancieuse par la plupart des commentateurs, qui ont déclaré la droite victorieuse. La coalition des deux partis de droite (PSD et CDS-PP) a recueilli 38,3 % et 107 des 230 sièges. La gauche PS-BE-PCP est, pour sa part, nettement majoritaire au Parlement : elle a obtenu 50,8 % des voix et dispose de 121 sièges.
Les médias ont joué un rôle quasi-séditieux, mettant en garde contre le « péril communiste » dans le pays. Le 22 octobre, le président Aníbal Cavaco Silva a chargé Pedro Passos Coelho, le premier ministre sortant, de former un gouvernement. Mais il a outrepassé ses prérogatives constitutionnelles en demandant aux députés socialistes de « se rebeller contre leur dirigeant », António Costa. Il a déclaré « qu’il ne laisserait pas des forces eurosceptiques [la gauche radicale] accéder au pouvoir ». Il s’est donc comporté en gardien zélé de l’orthodoxie austéritaire en Europe. Les Grecs avaient pu élire un gouvernement opposé à l’austérité. Au Portugal, la population ne devrait même pas avoir cette liberté !

Vers le rassemblement de toute la gauche

 

Sous le gouvernement de José Sócrates, le PS a signé avec la troïka un mémorandum d’une nature austéritaire sévère. Le PS a durement payé cette décision en perdant largement les élections de 2011. Pour António Costa, il s’agissait d’éviter la « pasokisation » de son parti : sous son leadership, le PS a donné un coup de barre (rhétorique) à gauche, et affiché sa volonté de dialoguer avec la gauche radicale.
Le Bloco et le PCP auraient pu arguer que le PS ne faisait que des promesses qu’il ne tiendrait pas.  A l’inverse, la gauche radicale a pris le PS au mot et a accepté de négocier avec lui. Pris à son propre piège, Costa a dû répondre à l’offre de la gauche radicale. Les négociations furent difficiles et parsemées de compromis de part et d’autre. Elles ont cependant abouti à la signature d’un accord comportant 70 mesures, dont la tonalité générale va à l’encontre des politiques d’austérité antérieures.

Habileté des alliés du PS


Sous la pression du Bloco et du PCP, le PS a abandonné les plans de privatisation exigés par la Commission européenne. Entre autres mesures, l’accord prévoit de restaurer les salaires et les retraites au niveau pré-mémorandum. Le salaire minimum sera augmenté en 2016 et en 2017, et les travailleurs dont les salaires perçus sont inférieurs au seuil de pauvreté recevront un complément financier. L’aide sociale pour les enfants et les personnes âgées sera également revalorisée. Les étudiants post-doc bénéficieront d’un contrat de travail ouvrant droit à une couverture sociale. Des divergences subsistent quant à la gestion de la dette publique et extérieure, et le texte ne prévoit aucun audit de la dette.
Sous l’impulsion de Catarina Martins, la porte-parole nationale du Bloc de gauche, les électeurs découvrent une gauche radicale qui se bat avec pragmatisme pour la défense des salaires, des retraites et des services publics. Cette audace est en train de payer : des sondages récents indiquent que le soutien au Bloco s’est renforcé depuis l’élection.
Les Portugais sont en majorité opposés à la sortie de la zone euro. Le Bloco a géré cette question avec adresse : il est passé d’une position pro-euro à une critique radicale de la politique de l’Eurogroup. Le Bloco a déclaré en juillet qu’un gouvernement de gauche radicale serait prêt à rompre avec l’euro s’il ne pouvait renégocier la dette. Autrement dit, le Bloco a tiré les leçons de la défaite de Syriza.

Les leçons de l’union


1) Le Bloco et le PCP ont pris acte que la « pasokisation » du PS n’aura pas lieu ;
2) La stratégie qui consiste à attaquer le PS plutôt que la droite est politiquement contre-productive et électoralement néfaste pour la gauche radicale ;
3) L’accord de gouvernement avec le PS a amené ce dernier à rompre de manière significative avec ses politiques d’austérité ;
4) Cet accord prive le PS de l’argument selon lequel il doit gouverner au centre pour compenser la désunion à gauche ;
5)  Le Bloco sort légitimé et renforcé de ces négociations.

 

Cette coalition ne sera pas un long fleuve tranquille. Il faut même s’attendre à des tensions et à des désaccords importants entre les divers partis de gauche. Le Bloco pourra, le cas échéant, dénoncer le non-respect des accords et retirer son soutien. Une chose est sûre, l’unité a redonné espoir au peuple, et le premier qui la remettra en cause perdra gros.

One Commentaire

  1. Posted 4 décembre 2015 at 19:37 | Permalien

    Bonsoir à tous,
    En complément de ce qu’a écrit notre camarade Philippe Marlière, je vous invite à lire l’article intitulé « Élections portugaises : quand les éditorialistes transforment le perdant en vainqueur », disponible à l’adresse suivante : http://www.acrimed.org/Elections-portugaises-quand-les-editorialistes-transforment-le-perdant-en
    Solidairement.

Déposer un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera jamais transmise.

*