Les vraies fausses « intox »-diversion du « Monde »

Manifestations qui dégénèrent : Gérard Filoche relaie des intox photographiques
Après les débordements en marge du rassemblement pour le climat, l’élu PS a diffusé des photos d’exactions de policiers en civil. Problème : elles ne datent pas de dimanche.
| 01.12.2015 à 10:34  Droit de reproduction et de diffusion réservé © Le Monde.fr 2015

https://www.youtube.com/watch?v=0jYA1uATTEg …

 

Halte à l’état d’urgence et à ses abus manifestes !

Droit inaliénable de manifester sans provocations policières !


De nombreux films et des dizaines de photos, vues d’en haut, vues d’en bas, de près et de loin, par des sources multiples et concordantes, illustrent les exactions commises de façon scandaleuse par la police sur la Place de la République dimanche 29 novembre.

Oui, la police a provoqué. Oui, s’il n’y avait pas eu une stupide interdiction de manifester, tout ce serait bien passé… comme en province. Le droit de manifester est inaliénable et il n’existait aucune raison de l’interdire à Paris, pas plus que dans toutes les autres villes de France.

Oui, les chefs de la police ont abimé les lieux de l’hommage aux victimes. Oui, il y avait des « autonomes » appelés « black-blocks » ( sic) provocateurs stupides…  mais pas plus et plutôt moins que dans toutes les manifestations depuis 50 ans. Oui, la police a attisé et organisé les quelques heurts – absurdes et répréhensibles – qui ont eu lieu.

Oui des policiers « habillés » en « autonomes » se sont mêlés à ces provocateurs, technique policière haïssable, et il existe des dizaines de photos, de films, de témoignages sur tout cela. Oui des centaines de gens bien ont été coincés, encerclés, puis arrêtés indument et  « gardés à vue » indument, et pendant la nuit et des heures… technique aussi détestable depuis… le ministre Marcellin.

Oui, Manuel Valls a dénoncé les actes indignes, la destruction des lieux de mémoire autour de la statue de la République, il l’a fait avec cette violence et cet excès dont il usait déjà depuis l’Arabie saoudite contre les salariés d’Air France : mais il ment, ce sont ses ordres, et les choix des chefs de la police qui ont abouti à ce que fleurs et bougies soient piétinés puis matraqués, à ce qu’il y ait des violences – bien davantage que les stupides et minoritaires « Blacks Blocks ».

Oui, des jeunes sans aucune mauvaise intention ni aucune raison ont été matraqués brutalement, on a le film quasiment tourné sous les coups de matraques. Les récits sont là (lisez « Regards » notamment, mais des dizaines d’autres) ils sont de bonne foi et incontestables, les preuves sont multiples, j’en ai reproduite seulement une partie sur FB ou sur tweeter. Ce n’est pas « relayer des intox photographiques » (sic)

Le Monde de cet ultra-libéral débridé Arnaud Leparmentier partage t il cette indignation légitime, reconnait-il les faits, les chronologies, les choix de la police qui ont provoqué et abouti à tous ces incidents  ?  NON !

Son « enquête » prétendument « anti « intox » porte sur le fait que parmi les photos,  parmi celles qui circulent et que j’ai reproduites, 3 d’entre elles auraient été glissées, qui pourraient très bien avoir été prises dimanche, mais qui ont été prises, avant, ailleurs, semble t il, et, nous dit on, en 2008. Il était impossible de distinguer ces 3 photos « anormales » de toutes les autres… parce qu’elles y ressemblaient trop !

QUI a mis, mêlées, ces photos parmi les autres ?

QUI a eu intérêt à opérer cet amalgame ?

QUI a voulu aussi petitement piéger les témoins ?

QUI au Monde, a choisi de faire un article là-dessus ?

(J’attends toujours l’article du Monde reprenant mes posts sur FB et tweeter, sur les intérimaires morts par chute dans la fonte liquide à 1400 ° chez Arcelor… ) ( Le Monde qui n’est plus ce qu’il était, est bien incapable d’entendre et d’écouter des arguments essentiels sur le droit du travail et les droits sociaux et économiques, c’est trop dur pour lui, mais le voila qui fait le « fouille-m…  » comme un torchon de droite, comme le « Lab » d’Europe1 l’autre jour, d’où viennent les ordres pour tout ça, hein ? Lequel des 7 milliardaires qui possèdent 95 % de la presse s’adonne à ce jeu de fléchettes ? pas l’intention de laisser faire ! ).

N’est-ce pas des gens qui avaient intérêt à ça justement pour faire diversion et tenter d’affaiblir la colère de toutes celles et ceux, nombreux, qui dénoncent ce qui s’est passé à République ? Ca ne ressemble pas à un « désintox » mais à une « manip » ! Parce qu’en fait, ça ne change évidemment rien aux FAITS, aux autres films, clairs, indiscutables, aux autres photos, multiples  ? Ca permet juste de tenter de manipuler et de faire faiblement diversion !

Alors, je confirme avec force : défense du droit inaliénable de manifester, condamnation des provocations et violences policières sur la place de la République, dimanche 29 novembre, les chefs de la police doivent des excuses auprès des centaines de manifestants indument encerclés, arrêtés et séquestrés pendant des heures !

GF, le mercredi 2 décembre 2015

PS : détail, pour les « désintoxicateurs » si soucieux de véracité, ils  devraient savoir que je ne suis pas « un élu PS »…

 

 

« Y a plus de caméras, ferme ta gueule sinon je vais te saigner comme un cochon »

par Sarah B. 2 décembre 2015

Plusieurs centaines de personnes ont bravé l’interdiction de manifester pour le climat le 29 novembre à Paris. Rapidement, des affrontements éclatent entre forces de l’ordre et quelques jeunes « en mode black block ». « De nombreux manifestants, clowns, jeunes, vieux, hommes, femmes, leur crient d’arrêter en allant jusqu’à s’interposer entre eux et les flics, mais ils se font gazer au spray à poivre, matraquer et embarquer », témoigne Sarah*, qui avait choisi de manifester pacifiquement. Elle fait partie des 317 personnes placées en garde à vue ce jour là. Récit.

Je suis arrivée place de la République vers 14h30 au moment où les premiers tirs de gaz lacrymogènes ont commencé à être tirés par les nombreux CRS et gardes mobiles présents sur la place. Après quelques minutes de déambulations sur la place, je me rends compte qu’ils sont déterminés à bloquer les manifestants sur la place. De nombreuses personnes étaient présentes, de passage, traînaient dans le coin comme un dimanche normal place de la République, d’autant que les stations de métro étaient ouvertes. Un seul cortège (NPA, Alternative libertaire…) faisait le tour du terre-plein.

Je me rapproche des lieux d’où sont tirés les lacrymos et quelques jeunes en mode « black block » commencent à jeter des projectiles sur les CRS. Je confirme donc, les CRS n’ont pas « répliqué », ils ont « commencé » ! Chaque jet de nouvelles lacrymo et bombes assourdissantes achève de déchaîner quelques personnes qui portent masques ou cagoules.

De nombreux manifestants, clowns, jeunes, vieux, hommes, femmes, leur crient d’arrêter en allant jusqu’à s’interposer entre eux et les flics, mais ils se font gazer au spray à poivre, matraquer et embarquer. De nombreuses personnes, journalistes compris, sont touchés par les munitions des policiers qui commencent à se détacher en petits groupes pour aller rafler quelques manifestants au milieu du chaos. Les fronts se multiplient et petit à petit, les jets de projectiles cessent. Un vieux monsieur se retrouve couché par terre, une jeune fille a est touchée par la police et crie « j’ai mal ! Pourquoi vous faites ça ?! On vous a rien fait ! ». Plus les gens sont agressés par les tortues-ninjas, plus raisonne le slogan : « État d’urgence, État policier, on nous enlèvera pas le droit de manifester ! ». Le vaste cortège principal se dissout doucement et plusieurs centaines de personnes se massent au centre de la place.

« Mais vous ne respectez rien, même pas les morts ?! »

Un cercle de manifestants est formé pour protéger la statue de la République et les objets déposés pour les morts du 13 novembre pour éviter qu’ils ne soient utilisés comme projectiles. Le cercle se défait sous l’avancée des gardes mobiles. Les lignes de CRS et gardes mobiles commencent à se resserrer et à enfermer les manifestants sur le terre-plein central. Les CRS avancent se frayant un chemin à coup de matraque, broient les bougies, photos, fleurs disposés pour les morts du 13 novembre. Les manifestants leur crient : « Mais vous ne respectez rien, même pas les morts ?! ». Rapidement, les personnes masquées brûlent leurs vêtements et disparaissent. Ce ne sont pas eux qui seront arrêtés.

De nombreux manifestants lèvent les bras ou s’assoient en signe de non-violence, d’autres sèment des fleurs aux pieds des CRS, les clowns tombent par-terre les uns sur les autres en mimant des exécutions, d’autres dansent devant les robocops en surnombre. L’ambiance est très joviale entre les manifestants qui savent déjà qu’il leur sera difficile de sortir de là malgré les négociations avec les gendarmes et CRS. Personne ne sort. On est enfermés et livrés à la violence arbitraire des CRS qui ont l’air aussi déchaînés que terrifiés… par nous !

Il y a des manifestants de part et d’autre de la ligne de CRS et des dizaines de camions de police avancent sur la place, on commence le jeu du « C’est à babord qu’on gueule, qu’on gueule… », on se répond pendant plusieurs minutes, puis c’est au son de « c’est tous ensemble qu’on gueule, qu’on gueule, c’est tous ensemble qu’on gueule le plus fort ! ». Rapidement, nos copains de l’autre côté, devant la rue du faubourg du Temple se font charger violemment et plusieurs sont arrêtés. Nous, on crie « tapez pas nos copains ! » en boucle.

On est encore en train de chanter lorsqu’on entend des gens crier dans notre dos, les gardes mobiles procèdent à des interpellations d’une violence inouïe en traînant les gens par terre, les tirant par les cheveux, sans distinction de sexe ou d’âge, ils attrapent les premiers qui passent, les plus faciles. Pour se protéger, on s’attache les uns aux autres en se tenant les bras, ils chargent par petits groupes et refusent de nous laisser sortir de la place.

« J’ai rarement vu autant de haine dans le regard »

Je me retrouve en première ligne avec deux copains, les gendarmes nous chargent, on recule, ils essayent de nous détacher les uns des autres, on crie, on se débat, on se resserre, mais rien n’y fait. Ils me soulèvent par les jambes, attrapent mon copain de droite par les cheveux, on se lâche et on se fait prendre. Ils me portent jusqu’au
panier à salade et dès qu’ils s’éloignent des caméras et photographes, celui qui me tient les jambes me dit « y a plus de caméras, ferme ta gueule parce que sinon moi je vais te saigner comme un cochon ». J’ai rarement vu autant de haine dans le regard d’un étranger.

Pendant les quelques secondes que durent ma traversée entre de brutales mains, je me dis que je vais me faire péter la gueule à l’abri des regards. Je pense que ma couleur et mon keffieh ne sont pas étrangers à cette charmante menace… Arrivés devant le camion, une policière en civile veut fouiller mon sac avant de me faire monter et me rappelle qu’elle n’est pas « ma copine », je lui réponds que « justement moi non plus » et finis par le lui donner.

Dans le bus, je reconnais des têtes familières, personne ne sait ce qu’il va se passer. On discute, fait connaissance, se met aux fenêtres et les copains restés dehors nous font des signes de soutien. Je fais semblant de boire à la paille tendue de l’autre côté de la vitre. On reste encore sur la place un moment et au moment de démarrer, c’est
tout le bus qui tambourine aux fenêtres pendant presque tout le trajet. Le bruit attire les passants qui nous font des signes bienveillants ou ne comprennent pas ce qui se passe.

On arrive devant le commissariat du 18ème et on attend… longtemps… on ne sait pas ce qu’ils vont faire de nous. Nous sommes trop nombreux, ça va plus emmerder les flics que nous de devoir faire autant de paperasse ! La rue Clignancourt est fermée pour l’occasion, les flics menacent les gens qui nous filment dans le tabac d’en face. Dedans, on chante, on tape, on fait des blagues… bref, on s’amuse et on se fait de nouveaux potes. Un copain nous explique à tous nos droits et nous donne les noms d’avocats à donner aux flics. Deux heures plus tard, on nous descend par petit groupe de 3 à 5. Le flic me tient par mon sweat, je lui dit que je peux marcher sans ça et il me répond : « C’est mieux qu’une clé de bras ». S’ensuit un débat sur la définition du terme « menace ».

Avec ma « colloc » de cellule, on se partage un drap

On sait que s’ils ne nous signifient pas notre garde à vue dans les deux heures qui suivent, ils doivent nous relâcher. Tout se fait à la chaîne, ils nous enlèvent nos chaussures, bijoux, mon sweat (parce qu’il y a des cordons). On nous notifie nos garde à vue, les OPJ nous donnent des informations contradictoires à chacun. On me met en cellule avec les autres filles. « Son » OPJ a dit à l’une d’elle qu’elle sortirait au bout d’une heure donc elle n’a pas donné de numéro pour ses proches, certaines croyaient qu’elle étaient obligées de signer, personne ne sait quand on va être relâchés. Je passe devant deux autres cellules où il y a des garçons, on fait « coucou » et se lance des bisous.

La manifestation se poursuit dans les cellules, tout le monde chante, rigole, on fait des percussions avec les bancs, on joue, certaines dorment, d’autres sont assises entre les barreaux. Lorsqu’ils refusent de nous emmener aux toilettes, on remanifeste «  Pipi ! Pipi ! ». Ça nous amuse et certains flics aussi. On est vraisemblablement d’accord sur le fait qu’on n’est pas « des vrais méchants » et qu’on a tous autre chose à faire.

Ils viennent nous chercher individuellement pour nous transférer dans d’autres commissariats parce qu’on est trop nombreux. Je pars avec un mec qui était dans mon bus et qui demande son insuline depuis plus de 4h maintenant. Il est environ 1h du matin, difficile de savoir sans montre ni portable. On est transférés au commissariat du 2ème arrondissement, nous seront 10 dans ce cas. Nous sommes deux dans ma
cellule, on comprend qu’on ne sera pas auditionnés avant le lendemain.

Dans la cellule, les précédents occupants avaient écrit « 93 » avec du vomi sur le mur. On discute de temps en temps avec les copains. Les policiers de garde sont plutôt sympathiques, l’un d’eux me ramène des ciseaux pour couper le cordon de mon sweat parce que j’ai froid. Avec ma « colloc » on se partage un drap, elle dort, moi non, j’ai froid, soif et mal partout… sans doute les restes de ma délicate interpellation.

Ils viennent nous chercher un par un à partir de 9h environ pour nous auditionner. On peut enfin voir un avocat et un médecin pour ceux qui l’ont demandé. Le copain diabétique a enfin accès à son insuline (20h après son interpellation !). L’avocat me dit que les vices de procédures sont nombreux puisque je le vois 20h après le début de ma garde à vue. Idem pour le médecin, affligé d’être là et qui se demande ce qu’il fout là en songeant à changer de métier.

Un policier : « On est d’accord avec vous, on est de votre côté »

Comme tout le monde, je suis accusée de « maintien d’un attroupement malgré les sommations de se disperser » ou un truc dans le genre. Pas de mention de manifestation interdite, violence, outrage ou rébellion. Donc comme tout le monde, honnêtement, je dis qu’on n’a entendu aucune sommation et qu’on nous interdisait de nous disperser de toutes façons. Je refuse de donner mes empreintes et de me faire prendre en photo donc je suis auditionnée en plus pour ça. Plusieurs de policiers sont assez gentils avec nous, viennent nous parler, s’assurent qu’on n’a ni faim ni froid. L’un d’eux me dit même : « on est d’accord avec vous, nous on est de votre côté », même s’il ajoute « après sur la méthode, peut-être pas ». Je ne sais toujours pas sur quoi on était d’accord exactement….

On nous ramène en cellule et au bout d’encore plusieurs heures, on est relâchées avant les huit garçons. Les flics qui nous font sortir s’emploient à être aussi désagréables que possible, pour eux nous sommes de petits inconscients qui « ne vivent pas sur la même planète ». On leur répond que justement si, et que c’est pour ça qu’on était là dimanche. L’ambiance craint. On leur dit qu’ils foutent en l’air le capital sympathie de leurs collègues et on s’en va !

Bref, on est loin d’avoir perdu la guerre psychologique, on a eu le temps de se faire plein de nouveaux potes, on a appris plein de nouvelles choses, on a aiguisé nos arguments sur différents publics. Au jeu de la répression, François et Manuel ont puni les flics plus que nous.

Un bisou à tous-tes les camarades qui nous faisaient des signes dans la rue, à tous-tes celles et ceux qui étaient avec moi dans les cellules, à tous ceux dont les GAV ont été renouvelées, à tous-tes les copains et copines d’ailleurs qui sont venus se joindre à nous et qu’on a foutu en rétention. Et aux autres aussi.

On lâche rien !

Sarah B.*, le 30 novembre, à sa sortie de garde à vue

 

Que s’est-il passé place de la République ? Informations désinformées des journaux télévisés

par Frédéric Lemaire, Julien Salingue, mercredi 2 décembre 2015

Que s’est-il exactement passé le dimanche 29 novembre 2015 sur la place de la République à Paris ? Pour que l’on puisse se fier aux médias, encore faudrait-il qu’ils disposent des moyens d’observer, d’enquêter de recouper des témoignages, au lieu de s’en remettre à une vision étrangement conforme à la version de la Police. Nous publions ici un bref article traitant des JT de 20h de TF1 et de France 2 le soir du 29 novembre, avant de revenir, dans les prochains jours, sur le traitement médiatique plus global des manifestations, notamment à République.

Dans le cadre de l’état d’urgence, la Préfecture de police avait interdit la manifestation prévue dimanche 29 novembre à Paris, à l’occasion de la journée mondiale de mobilisation pour le climat. Des mobilisations se sont tenues malgré tout ce dimanche, veille de l’ouverture du sommet de l’ONU sur le changement climatique (COP21), dans plusieurs villes de France. À Paris, une chaîne humaine était prévue sur le parcours de la manifestation interdite, ainsi qu’une action symbolique et un rassemblement à République.

Ce dernier, sous haute surveillance, s’est conclu par des heurts entre les manifestants et la police qui ont, sans surprise, focalisé l’attention des médias. Et force est de constater que le traitement de ces violences, par la plupart des grands médias, s’est avéré largement biaisé ou incomplet. Les journaux télévisés de 20h du dimanche soir de TF1 et France 2 en donnent une illustration exemplaire.

 

« Les violences » : vedettes des JT

C’est un théorème bien connu du traitement médiatique des mobilisations sociales : si violences il y a, il convient qu’elles occupent l’essentiel de l’attention des médias – au détriment de l’explication des enjeux ou des revendications des mobilisations…

Ce théorème s’applique tout à fait au journal de 20h de France 2 du 29 novembre : trente secondes seulement y sont dédiées à la journée de mobilisation mondiale à la veille de la COP21 et aux initiatives dans toute la France. À comparer avec le temps dévolu aux « violences » (1 min 42). Le journal de TF1 y consacre un temps équivalent, à la suite d’un sujet néanmoins plus complet sur les mobilisations de la journée.

Les affrontements de la place de la République – bien réels mais très minoritaires au regard du nombre de manifestants et du déroulé des événements de la journée – ont occupé une place importante dans les deux journaux télévisés, et figurent parmi les premiers titres. Le récit qui en a été fait est relativement similaire, et on y apprend notamment que :

- se tenait un rassemblement composé « d’une centaine de manifestants, souvent cagoulés, avec des pancartes anticapitalistes et libertaires » et qui était interdit « conformément à l’état d’urgence » – d’après France 2. Le journaliste de TF1 présente quant à lui un rassemblement « anti COP21 et anticapitaliste […] infiltré par des individus radicalisés ».

- les CRS ont fait l’objet de tirs de projectiles et qu’ils ont « riposté » par des tirs de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes ;

- des « casseurs » ont « en partie détruit le mémorial dédié aux victimes des attentats en jetant des bougies, des pots de fleur » sur les CRS d’après France 2. Pour TF1, « le mausolée en hommage aux victimes des attentats est saccagé ; pots de fleur et bougies servent de projectiles ».

C’est tout ? Presque.

 

La version policière, seulement la version policière

Les deux JT se contentent en réalité de relater une version des « événements » de l’après-midi conforme à celle de la Police. France 2 : « les CRS […] ont essuyé de très nombreux tirs de projectiles et […] ont riposté aux quatre coins de cette place de la République par de très nombreux tirs de gaz lacrymogène ». TF1 : « les militants les plus radicaux ont provoqué les premières échauffourées avec les policiers ».

En d’autres termes :

Des commentaires qui concordent avec les déclarations du Préfet (reprises sur la plupart des sites d’information) : les manifestants « ont attaqué la police avec des gaz lacrymogènes, des boules de pétanques, des chaussures… »

Les policiers et les CRS ont-ils fait preuve de « violence » ? Nous ne le saurons pas. Ont-ils « provoqué » les manifestants ? Nous ne le saurons pas. Parce que le Préfet n’en a pas parlé ?

Mais ce que nous aurons, en revanche, c’est ceci :

TF1 : « Ce soir plus de deux cents personnes ont été interpellées, 174 placés en garde à vue » ; France 2 : « Au total, il y a eu 208 interpellations parmi les manifestants, et 174 personnes sont encore ce soir en garde à vue. »

Soit, une fois de plus, les informations communiquées par la Préfecture. Sans aucun commentaire de la part des journalistes, alors même que le nombre important d’interpellations correspond, voire est supérieur au nombre de manifestants annoncé par les JT… Dans quelles conditions les manifestants ont-ils été interpellés ? Nous ne le saurons pas. Qui sont les interpellés ? Nous ne le saurons pas. Pour quel motif ? Nous ne le saurons pas. Parce que la Préfecture n’en a pas parlé ?

 

Absence de pluralisme dans les réactions politiques et les commentaires

Au-delà de la reprise (sans vérification ni commentaire) de la version policière des incidents, on ne peut en outre s’empêcher de relever l’infinie variété des réactions que nous ont offertes les deux principaux JT de France.

Les deux chaînes ont ainsi relayé les déclarations du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve et de François Hollande. France 2 : « Il y a une heure le président de la République a souhaité s’exprimer sur ces incidents qu’il a qualifiés de scandaleux » ; TF1 : « des actions qualifiées de scandaleuses par François Hollande » ; TF1 toujours (images de Bernard Cazeneuve qui s’exprime) : « Ces actes doivent être qualifiés avec la plus grande fermeté par respect pour les victimes de ces attentats ».

Du côté des responsables politiques, c’est tout.

Elles se sont en outre fait l’écho de réactions de passants constatant les dégâts après la manifestation, notamment autour du mémorial de République : « révoltant », « indécent », « inadmissible ». Des dégâts injustifiables, mais uniquement attribués à certains manifestants, conformément à la version de la Préfecture… laquelle était en contradiction avec de nombreux témoignages déjà disponibles.

La parole a-t-elle été donnée à des manifestants ? Non. À des témoins ayant une autre version que la version policière, ou d’autres commentaires à faire que ceux, à l’unisson, de la présidence de la République, du ministère de l’Intérieur et de la Préfecture ? Non.

Il y avait pourtant encore, en début de soirée, des centaines de personnes à République, qui avaient peut-être autre chose à dire, comme le démontraient déjà les multiples photos, vidéos et commentaires qui circulaient sur les réseaux sociaux. Mais de toute évidence, ces « autres voix » n’intéressaient pas les JT, trop occupés à assurer, aux côtés du gouvernement et des forces de police, le maintien de l’ordre.

***

Que s’est-il exactement passé le dimanche 29 novembre 2015 sur la place de la République à Paris ? Ce n’est pas grâce aux JT de TF1 et de France 2 qu’on le saura. À moins de considérer que la vérité sorte tout droit de la bouche du gouvernement et de la Préfecture, ce qui ne manque pas d’interroger sur l’utilité des journalistes… Pourquoi, en effet, se compliquer la tâche à fabriquer des reportages alors qu’il suffirait de copier-coller les images fournies par les autorités et les commentaires qui les accompagnent ?

Voilà qui serait plus commode et plus honnête vis-à-vis des téléspectateurs. Et voilà qui permettrait en outre de se dédouaner des éventuels impairs, informations partielles ou partiales, voire contre-vérités relayées à l’antenne.

Il n’aura en effet pas fallu attendre plus de quelques heures pour se rendre compte que la version policière reprise sans aucune distance par les « grands médias » était loin de faire l’unanimité parmi les témoins des scènes de violence, y compris certains journalistes. Des contestations de la version policière des événements qui concernent notamment les destructions occasionnées sur le mémorial de la place de la République, sur lesquelles nous reviendrons dans un prochain article.

Un prochain article ? Oui. Car contrairement à certains « grands médias », nous pensons que l’information nécessite vérifications, recoupements, et esprit critique vis-à-vis de la parole officielle. À moins de considérer que, état d’urgence oblige, les journalistes se doivent d’être de simples auxiliaires de police.

Frédéric Lemaire et Julien Salingue

 


Annexes : déroulé des JT de TF1 et France 2 (29 novembre, 20h)

Annexe 1 : JT de TF1

Après 6 min 32 sur l’ouverture de la COP21 :

- Un sujet de 2 min 04 sur « des mobilisations remarquées malgré l’interdiction de manifester » (les mobilisations internationales, la chaîne humaine à Paris, les marches en province, etc.) ;

- Un sujet de 1 min 39 titré « Plus de 200 personnes interpellées après des échauffourées à Paris ».

Verbatim :

« En marge de ces opérations pacifistes les militants les plus radicaux ont provoqué les premières échauffourées avec les policiers, des actions qualifiées de scandaleuses par François Hollande, 208 manifestants ont été interpellés. Plus de 200 personnes interpellées, 174 placées en garde à vue. »

« Peu avant 15h place de la République, un déluge de pavé, de chaussures, de bouteilles de verre. Plusieurs dizaines d’individus vêtus de noir, visages masqués, projettent tout ce qui leur passe sous la main en direction des CRS (apparaît l’image envoyée par la Préfecture des objets jetés sur la police). Les forces de l’ordre répliquent à coup de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes ».

« C’est l’escalade, une barrière en métal est lancée par la police. Inquiets, des commerçants ferment leurs rideaux, au pied de la statue, le mausolée en hommage aux victimes des attentats est saccagé ».

Policier : « Eh vous descendez, vous descendez de la statue ».

« Pots de fleur et bougies servent de projectiles devant des badauds médusés. »

S’ensuivent les propos d’un passant qui qualifie cela d’« indécent ».

« Un peu plus tôt les CRS s’étaient déployés en nombre autour de la place pour en filtrer les accès, et encadrer une action anti COP21 et anticapitaliste. Un rassemblement interdit comme tous les autres depuis la proclamation de l’état d’urgence et infiltré par des individus radicalisés. »

Bernard Cazeneuve : « Ces actes doivent être qualifiés avec la plus grande fermeté par respect pour les victimes de ces attentats ».

« Ce soir plus de deux cents personnes ont été interpellées, 174 placés en garde à vue. »

Annexe 2 : JT de France 2

Après 5 min 23 sur l’ouverture de la COP21, un sujet de plus de deux minutes sur les mobilisations de dimanche :

Verbatim :

« Malgré les interdictions liées à l’état d’urgence, plusieurs rassemblements ont eu lieu aujourd’hui, rassemblements en faveur d’un accord sur le climat d’abord un peu partout en France, à Toulouse, Marseille ou encore à Bordeaux ; rassemblement symbolique également à Paris avec des milliers de chaussures disposées place de la République, rappelant les marcheurs pour la planète avec quelques paires étonnantes, celles du pape François, ou encore les baskets du secrétaire général des Nations-Unies Ban Ki Moon. »

« Mais quelques heures plus tard l’atmosphère s’est tendue, avec l’arrivée de plusieurs centaines d’activistes cagoulés, en direct sur place on va retrouver Laurent Desbonnets, Laurent d’abord est-ce que ces incidents sont terminés, il y a eu en tout cas de nombreuses interpellations et cela à quelques mètres du lieu d’hommage aux victimes des attentats. »

« Oui le calme est revenu mais la situation est toujours assez tendue, avec une présence policière toujours massive pour contenir des manifestants toujours présents dans les rues adjacentes ; après un après-midi d’affrontements, ces images de violences ; les CRS qui ont essuyé de très nombreux tirs de projectiles et qui ont riposté aux quatre coins de cette place de la République par de très nombreux tirs de gaz lacrymogène. Tout a dégénéré en début d’après-midi avec l’arrivée d’une centaine de manifestants, souvent cagoulés, avec des pancartes anticapitalistes et libertaires, ils se sont retrouvés face à de solides cordons de CRS qui les ont empêché de manifester conformément à l’état d’urgence ; des casseurs sont alors entrés en action et ce qui a beaucoup choqué ici c’est qu’ils ont en partie détruit le mémorial dédié aux victimes des attentats en jetant des bougies, des pots de fleur, ou encore toute sorte d’objets en verre présents sur ce mémorial en les jetant sur les CRS. C’est révoltant, inadmissible me disait à l’instant une personne venue se recueillir après ces violences. Au total, il y a eu 208 interpellations parmi les manifestants, et 174 personnes sont encore ce soir en garde à vue. »

« Merci beaucoup Laurent, et il y a une heure le président de la République a souhaité s’exprimer sur ces incidents qu’il a qualifiés de scandaleux, eu égard à ce lieu de mémoire, et je cite aux enjeux de la conférence sur le climat qui doit permettre au monde de décider de l’avenir de la planète ».

« Revenons sur les rassemblements pacifiques qui ont eu lieu un peu partout dans le monde… »

10 Commentaires

  1. socrate
    Posted 2 décembre 2015 at 14:40 | Permalien

    a partir du moment ou l »état d’urgence est proclamé , on sait que l’on peut interpeller très facilement toute personne prise dans un  » rassemblement « ….
    donc une fois encore la cause de tout cela repose sur le vote de nos  » chers  » députés a commencer par les socialistes…
    ils sont donc responsables de ces débordements et arrestations arbitraires.
    Il faudra bien qu’un jour ceux qui votent les lois les assument et que ceux qui nous demandent de voter pour ces gens la fassent leur auto critique

  2. Gilbert Duroux
    Posted 2 décembre 2015 at 19:09 | Permalien

    Gérard ne fera jamais son autocritique. Il nous dit qu’il faut voter pour ces gens là et qu’après il sera toujours temps de les changer.

  3. socrate
    Posted 2 décembre 2015 at 19:15 | Permalien

    Si la droite était au pouvoir ce ne serait pas seulement 7 députés qui se seraient opposés a l’état d’urgence mais beaucoup plus.
    Je me rappelle des prises de position quand la droite de sarko mettait en place le ministère de l’immigration et de l ‘intégration ….
    aujourdhui malgré le drame des 130 morts rien ne justifie un état d’urgence , car le juge trevidic l’a expliqué ce qu il lui a manqué c’est juste des effectifs , des moyens pour que la police puisse faire son travail.
    En clair pas besoin d’un état d’urgence ; sauf si l’on veut en profiter pour empécher les rassemblements syndicaux ou contestataires pour quelque cause que ce soit , comme la défense de la planète…
    L »état d’urgence pour justifier un musèlement des opinions en quelque sorte.

  4. Posted 2 décembre 2015 at 22:52 | Permalien

    si la droite etait au pouvoir tu perdrais mille fois plus de raisons d’esperer changer la société en bien

  5. Posted 2 décembre 2015 at 22:54 | Permalien

    en permanence il faut se battre pour les changer et je le fais,
    en permanence il faut empêcher la droite de revenir car ce sera mille fois pire

  6. Gilbert Duroux
    Posted 3 décembre 2015 at 15:39 | Permalien

    Ça serait peut-être pas mal de donner les sources. Par exemple l’article de Julien Salingue et Frédéric Lemaire vient d’Acrimed :
    http://www.acrimed.org/Que-s-est-il-passe-place-de-la-Republique-Informations-desinformees-des

  7. ROSSIGNOL LILIANE
    Posted 3 décembre 2015 at 15:50 | Permalien

    ce serait mille fois pire avec la droite !!! .
    peut être !!!
    mais entre peste et choléra que choisit on ?
    je ne supporte plus que valls , macron et les médias utilisent le mot GAUCHE .Ce mot n a plus de sens , comment voulez vous que les citoyens s y retrouvent
    c est triste

  8. Gilbert Duroux
    Posted 3 décembre 2015 at 16:34 | Permalien

    Ton argument « si la droite arrive au pouvoir ce serait pire » tombe à l’eau avec le projet de révision de la Constitution qui peut prolonger l’état d’urgence de façon presque illimitée. Vous donnez des armes terribles à la droite et à l’extrême droite si elles arrivent au pouvoir et vous osez après nous faire un chantage en nous disant : gare à vous si vous les laissez passer. Vous êtes des inconscients !!!

  9. Posted 3 décembre 2015 at 18:56 | Permalien

    https://www.youtube.com/watch?v=0jYA1uATTEg

  10. socrate
    Posted 3 décembre 2015 at 20:12 | Permalien

    sur la vidéo ; on voit que la rassemblement apparemment bon enfant quittait la place de la république pour avancer avenue de la république. ( 5’40″ »de la vidéo)
    Les forces de police ayant , tres certainement , pour instruction d’empecher que se développe cette marche ils ont faits ce qu’ils savent faire habituellement….
    je l’ai écrit ceux qui ont voté l’état d’urgence sont les vrais responsables.
    Surtout que l’on interdit les rassemblements d’opinion mais que l’on laisse a coté de ça les rassemblements sportifs ou commerciaux ….
    hypocrisie ou malhonnêteté ?

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