Le mardi 22 mars, au moins 31 personnes ont été tuées et 270 autres blessées, brûlées, parfois gravement, par deux attentats terroristes revendiqués par l’Organisation État Islamique. Elles se rendaient au travail quand elles ont été soufflées par une déflagration au cœur de la station de métro Maelbeeck, dans le quartier bruxellois de l’Union européenne. Elles ont été victimes de deux « kamikazes » qui se sont fait exploser dans l’aéroport national de Zaventem.
Aucune motivation, qu’elle soit d’ordre religieux ou politique ne saurait excuser ces crimes odieux.
Aujourd’hui, la priorité, c’est d’exprimer notre solidarité avec les victimes, leurs familles, leurs proches, avec les Bruxellois sidérés par une telle atrocité.
Toutes les tentatives de récupérations politiciennes doivent être proscrites : la déchéance de la nationalité, bi ou mono nationale, n’aurait pas empêché les « kamikazes » de se faire sauter. Il s’agit de crimes contre l’humanité entière, comme à Paris le 13 novembre où des victimes de 21 nationalités différentes avaient été assassinées. Laurette Onkelinx, députée socialiste belge et ancienne vice-première ministre avait raison d’affirmer sur France info, ce mercredi : « On a besoin de solidarité, pas de donneurs de leçons ! ».
Les tentatives de montrer du doigt « les musulmans » doivent être dénoncées. Non seulement elles visent des millions d’innocents, souvent victimes de ces attentats, mais elles font le jeu de l’Organisation de l’État Islamique qui veut supprimer la « zone grise » qui existerait entre elle et leurs « Croisés ».
Demain, il faudra essayer de comprendre. De comprendre pourquoi ce sont des jeunes, élevés en France et en Belgique, qui ont commis ces crimes aveugles. De se demander s’il n’existe vraiment aucune explication politique permettant de comprendre, à la fois, le nouvel attentat d’Istanbul, le bombardement russe de la ville de Raqqa qui a fait des dizaines de morts civils, et les attentats de Bruxelles.
En attendant, il est urgent de lire le texte écrit par Ismaël Saidi, auteur de la pièce « Le Djihad », publié par le journal bruxellois « Le Soir », ce mercredi 23 mars.
Dans un post sur Face book, cet auteur répond à la question : « Pourquoi les musulmans ne descendent pas en masse dans la rue pour condamner ? »
Parce que nous sommes en train de conduire les taxis qui ramènent gratuitement la population chez elle depuis hier…
Parce que nous sommes en train de soigner les blessés dans les hôpitaux…
Parce que nous conduisons les ambulances qui filent comme des étoiles sur nos routes pour essayer de sauver ce qu’il reste de vie en nous…
Parce que nous sommes à la réception des hôtels qui accueillent les badauds gratuitement depuis hier…
Parce que nous conduisons les bus, les trams et les métros afin que la vie continue, même blessée…
Parce que nous sommes toujours à la recherche des criminels sous notre habit de policier, d’enquêteur, de magistrat…
Parce que nous pleurons nos disparus, aussi…
Parce que nous ne sommes pas plus épargnés…
Parce que nous sommes doublement, triplement meurtris…
Parce qu’une même croyance a engendré le bourreau et la victime…
Parce que nous sommes groggy, perdus et que nous essayons de comprendre…
Parce que nous avons passé la nuit sur le pas de notre porte à attendre un être qui ne reviendra plus…
Parce que nous comptons nos morts…
Parce que nous sommes en deuil…
Le reste n’est que silence… »
Jean-Jacques Chavigne Gerard Filoche
9 Commentaires
Solidarité avec toutes les victimes de n’importe quel attentat dans le monde!
La frénésie spectaculaire depuis les attentats de Bruxelles vient encore rappeler que la vie n’a pas de la même valeur que vous soyez occidental ou non occidental.
La plupart des victimes des attentats des fanatiques musulmans sont elles aussi musulmanes.
Non, l’occident n’est pas l’ Humanité. Non, il n’y a pas à faire de distinguo entre les victimes.
Soyons raisonnables et réfléchissons.
J’ai été horrifié par ce que j’ai entendu ce jour par le citoyen ordinaire bien blanc , bien propre sur lui!
Honte à cette prétendue civilisation occidentale qui n’apporte que ravage social, environnementale et sanitaire.
Vous écrivez « Demain, il faudra essayer de comprendre. De comprendre pourquoi ce sont des jeunes, élevés en France et en Belgique, qui ont commis ces crimes aveugles. De se demander s’il n’existe vraiment aucune explication politique permettant de comprendre, à la fois, le nouvel attentat d’Istanbul, le bombardement russe de la ville de Raqqa qui a fait des dizaines de morts civils, et les attentats de Bruxelles »
Ma conviction est qu’il y a une corrélation entre l’absence de sentiment de ses criminels et la banalisation de la mort des hommes dans notre société : un salarié se suicide et tout le monde s’en fout; un chef d’entreprise (y compris agriculteur) se suicide et tout le monde s’en fout. Comment alors ces jeunes peuvent respecter la vie quand elle est aussi peu respectée par une violence latente sinon manifeste que nos dirigeants politiques sont les premiers à véhiculer?
Cherchez pas à comprendre, malheureux ! Sinon Valls, l’ennemi de l’intelligence et de la réflexion, va encore dire que vous cherchez à excuser.
A propos de la LOI Travail et la promotion de l’esclavage post-salarial, voici un point précis à faire connaitre : :
» Même traitement pour l’extension des accords offensifs pour les « accords en vue de la préservation ou du développement de l’emploi » que le texte valide. Ils remplaceront les « accords de maintien dans l’emploi » nés lors de la première réforme du marché du travail (ANI, janvier 2013). Destinés aux entreprises confrontées à de « graves difficultés économiques conjoncturelles », ces accords permettent la signature d’accords majoritaires prévoyant, sur deux ans au maximum (cinq depuis la loi Macron du 10 juillet 2015), une baisse des salaires et/ou la flexibilité du temps de travail des personnels. En contrepartie de ces sacrifices, les salariés ont la garantie de conserver leur poste sur la période définie ; ceux qui refusent ces nouvelles conditions font l’objet d’un licenciement économique individuel.
Le nouveau dispositif devient beaucoup plus contraignant pour le salarié qui, s’il s’y refuse, sera licencié pour « cause réelle et sérieuse » et non plus pour licenciement économique (c’est-à-dire sans garanties de reclassement, ni indemnités). Quant au patronat, il obtient un élargissement considérable des critères selon lesquels un accord dérogatoire pourrait être signé en y intégrant la formule « développement de l’emploi ».
Un texte d’analyse intéressant sur Médiapart qui n’a rien à envier à l’excellence ô combien des analyses de M.Filoche mais dans le combat contre « la déchéance pour tous » il éclaire complémentairement l’infamie de la loi dite « El Khomri »
Il y a 2 jours, attentats en Irak 30 victimes dans un stade. Solidarité?
Etonnant, on a en pas entendu parlé!
Je croyais que l’on avait apporté la démocratie dans ce pays?
@Cyril
Deux nihilismes s’affrontent : le nihilisme néolibéral et le nihilisme wahhabite mais au delà des apparences, il y a le vœu de créer une « Stratégie de la Tension » pour détourner les peuples des luttes sociales et politiques pour leurs survies.
Pas un, pour racheter l’autre, sauf à savoir que l’un alimente en pétrodollars… et l’un et l’autre ! Les deux nihilismes sont frères jumeau.
Ce sont les mêmes qui aux deux bouts de la mèche, déchiquète les âmes et les corps : Pendant que Bruxelles explose, le président Hollande épingle une médaille d’horreur au veston de l’un des parrains majeurs de la maison-mère du Terrorisme international, l’Arabie Saoudite.
Hollande félicite le dictateur de l’Arabie Saoudite, celui qui paie rubis sur l’ongle les terroristes wahhabites et salafistes internationaux – donc aussi, les criminels de Al-Asriya, Bruxelles, Paris ( I & II ), Ankara, etc. – et qui détruit depuis une année avec sa coalition militaire, le Yemen où tout un peuple s’était rebellé contre son potentat !
Lire à ce propos l’excellent article de Lena Bjurström /Politis : « Yemen, un an sous les bombes »
Il y a de puissants enjeux économiques à la clé : l’accès au pétrole, le projet d’oléoduc proposé par l’Arabie Saoudite et refusé par le dirigeant de la Syrie et dont le but était de ruiner la Russie en permettant la construction d’un autre couloir d’approvisionnement européen… On ne comprend rien à rien si on ne connait pas ces faits et pourquoi le terrorisme, comme moyen de renforcement des pouvoirs locaux permet aux uns de conserver leur pouvoir dictatorial et aux autres de contrecarrer la montée des revendications populaires et la contestation des politiques néolibérales.
Hervé,
Tout à fait d’accord avec votre analyse. Malheureusement, les exploités se fichent de toutes ces explications. Ils regardent leur et se font manipuler par la propagande de la classe dominante.
Mon propos se voulait être une petite pique.
M. FILOCHE est conscient de cela. Il est un des rares où ce genre de réaction n’est pas « blacklistée ».
Pour info : à suivre dans une tribune que j’ai préparée demain pour Médiapart :
« Et c’est qui qui profite de la loi transparence pour nous coller un article en douce sur le contrôle des chômeurs ? Petit cachotier de ministre des Finances va…. L’article 60 de la loi présentée aujourd’hui en Conseil des ministres : « « les agents chargés de la prévention des fraudes agréés et assermentés mentionnés à l’article L. 5312-13-1 bénéficient d’un droit de communication qui permet d’obtenir, sans que s’y oppose le secret professionnel, les documents et informations nécessaires au contrôle de la sincérité et de l’exactitude des déclarations souscrites ainsi que de l’authenticité des pièces produites en vue de l’attribution et du paiement des allocations, aides, ainsi que toute autre prestation servies par Pôle Emploi ».
7500 d’euros d’amende pour le récalcitrant s’il n’a pas fourni sous 30 jours
Ou comment une loi censée lutter contre la corruption et réguler le lobbying se retourne contre les chômeurs…
–
***********
Sylvain Laurens
Maître de conférences à l’EHESS
Chercheur au CESSP (UMR 8209)
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
190-198 avenue de France
75013 Paris
a part qu’ils appellent a tort « classes moyennes » le coeur du salariat militant, c’est bon :
loi travail : « Le gouvernement lâche le cœur de son électorat »
Les opposants au projet de Loi El Khomri sont les classes moyennes éduquées qui votent ordinairement PS, d’après les démographes Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, le géographe Christophe Guilluy et l’historien Michel Pigenet. A ces spécialistes, « l’Obs » a soumis la carte du million de signataires de la pétition anti-Loi travail. Le résultat est saisissant.
L’ObsL’ObsPublié le 24 mars 2016 à 20h01
Le 12 mars dernier, sur les antennes d’Europe 1, le directeur de l’Institut Montaigne Laurent Bigorgne donnait sa vision de la mobilisation contre le projet de réforme du code du travail mené par Myriam El Khomri : « Aujourd’hui, ceux qui bloquent la réforme du marché du travail, ce sont les jeunes privilégiés, favorisés, qui vont empêcher que l’on réforme le marché du travail de ceux qui n’ont pas de job. » L’image est véhiculée de toutes parts depuis le début des protestations, plus encore après les premières manifestations, les 9 et 17 mars : seule une jeunesse conservatrice s’opposerait à la réforme, envers qui il faudrait faire preuve de « pédagogie », comme le répète sans relâche sur les plateaux de télévision et dans les studios radio la ministre du Travail.
Mais les adversaires du projet de loi, présenté ce jeudi en Conseil des ministres avant étude par le Parlement, ne se résument pas aux visages de William Martinet, président de l’Unef, et de Benjamin Lucas, président des jeunes socialistes frondeurs, ou aux adolescents interviewés lors des blocus de lycées. Les signataires de la pétition « Loi travail : non, merci », lancée il y a un mois par Caroline de Haas, donnent un aperçu plus précis de la contestation à laquelle fait face le gouvernement.
« Les classes moyennes sont le moteur de la mobilisation »
Les codes postaux renseignés par le million de signataires sur change.org, plus nombreux que les manifestants qui ont défilé dans la rue, ont permis de créer une carte de la densité de signatures pour mille habitants. La comparaison avec différentes caractéristiques de la population française par unité territoriale (niveau éducatif, salaire, PIB/habitant, vote, etc.) permet de définir les opposants au projet de loi.
Loi Travail : plusieurs dizaines de milliers de lycéens et étudiants dans la rue
Vous aimez cet article ?Inscrivez-vous à la Newsletter de l’Obs×
S’inscrire
L’historien et démographe Emmanuel Todd y voit une corrélation avec le niveau éducatif, plus particulièrement avec la carte des titulaires du baccalauréat général en 1970 et 1995, propre à cerner la classe moyenne éduquée.
« On voit très clairement qu’il y a une forte densité de signatures dans toutes les grandes villes universitaires. On y voit le sous-développement éducatif du Nord et du bassin parisien. Le gouvernement affronte donc la partie la plus éduquée de la population, qui commence à souffrir de la situation et n’accepte pas la dégradation de ses conditions de vie. Finalement, la mobilisation ne concerne pas que les jeunes. Ce qui me paraît clair, c’est que les classes moyennes sont le moteur de la mobilisation et entraînent le reste. »
Carte : Abigaïl Rabinovitch – Sources : Change.org (2016), OpenDataSoft (2015), GEOFLA (2014)
Le démographe Hervé Le Bras, coauteur du « Mystère français » en 2013 avec Todd (1), confirme l’analyse de son collègue. Il ajoute que cette carte concorde également avec celle de la répartition des cadres et des professions intermédiaires sur le territoire. Autrement dit, « une clientèle de gauche qui a les caractéristiques de la classe moyenne ». Une clientèle de gauche ? Le projet de loi Travail serait donc en train de saper avant tout le propre électorat de François Hollande, celui du Parti socialiste.
Exclusif. Emmanuel Todd : “la France n’est plus dans l’histoire”
Le géographe Christophe Guilluy, auteur de « La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires » en 2014 (2), travaille notamment sur la fracture idéologique entre les élites politiques et les populations modestes. Son analyse de la carte des signataires de la pétition rejoint largement celle d’Emmanuel Todd sur la caractérisation des opposants :
« J’y vois une vraie carte des catégories supérieures diplômées. C’est un mouvement classique de gauche, avec les militants syndicaux, la fonction publique et les diplômés des grandes villes, soit les catégories à la base de l’électorat des partis de gauche, Parti socialiste compris. Il y a un rejet de la loi et du gouvernement par une partie de la gauche, la gauche militante. C’est une révolte du PS jusqu’au Front de Gauche. »
Mouvement « petit bourgeois »
Pour Guilluy, on retrouve un phénomène constaté dans les récents mouvements sociaux : leur appropriation par la classe moyenne éduquée. « Depuis quelques années, il y a une gentrification de la manifestation. Les grands mouvements sociaux sont initiés et portés par la petite bourgeoisie. Quand il y a de grands mouvements de manifestation, ils se concentrent dans les grandes villes, où on retrouve mécaniquement les catégories éduquées compte tenu de la sociologie des grandes villes. C’était vrai pour Charlie, c’était vrai pour la Manif’ pour tous, ça reste vrai pour la loi El Khomri. »
Manifestation à Paris, le 17 mars, contre la loi travail (AFP)
Les classes moyennes auraient donc accaparé les dynamiques de luttes sociales. Les bassins de populations modestes, ce que Guilluy appelle « la France périphérique », montrent un déficit de signatures des catégories populaires.
« Toutes les grandes mobilisations de ces dernières années sont marquées par la bourgeoisie. Ce ne serait pas grave s’il y avait une connexion avec les populations pauvres. Mais il n’y a plus cette connexion. Les classes populaires ne se sentent plus concernées par ce qu’elles voient dans les médias. La désaffiliation est sociale et culturelle, et donc politique. »
Michel Pigenet, historien spécialiste des mouvements sociaux, nuance cette mutation. « Il est vrai que depuis trente ans, et l’arrivée de la gauche au pouvoir, on note une déconnexion des classes populaires en lien avec la crise du politique. S’est développée une méfiance sociale et culturelle à l’égard de la politique instituée. Mais contrairement à ce qu’affirme Guilluy, les classes populaires ne sont pas toujours déconnectées. Regardez le mouvement des Bonnets rouges bretons. C’était une manifestation d’inspiration patronale qui a entraîné des classes populaires. » Le sentiment de trahison l’emporte néanmoins souvent, expliquant le lien distendu des populations modestes à la chose politique. Depuis quatre ans, le mandat de François Hollande accentue cette fracture par un programme politique très éloigné de ses promesses de campagne.
« Les électeurs du FN absents de la pétition »
Michel Pigenet poursuit la mise en perspective historique : « Il faut bien voir que la Loi Travail est une étape importante d’un processus de longue dégradation de la condition et des droits salariaux. Avant le tournant des années 1980, il y avait des mobilisations populaires car la politique se proposait de ‘changer la vie’, d’apporter des solutions concrètes pour le quotidien », explique ce professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne. « A ce moment, deux facteurs interviennent de façon convergente : la crise économique et le chômage qui va avec, et l’arrivée au pouvoir de la gauche qui ne change pas la vie. Là se situe la vraie crise : la gauche de gouvernement déclare soudain que la politique ne peut pas tout faire, ce qui brise le pacte sociopolitique, c’est-à-dire le fondement républicain. »
D’où l’essor du vote Front national depuis trente ans, une dynamique que retrouve Christophe Guilluy dans la carte des signataires de la pétition. « La non-mobilisation se recoupe avec l’électorat frontiste, analyse le géographe. La carte du FN est calée sur les zones rurales et les villes moyennes, soit la France périphérique, où il y a une surreprésentation d’employés, d’ouvriers et de chômeurs. C’est bien le paradoxe de cette mobilisation : ce sont les victimes de la mondialisation et les personnes les plus éloignées de l’emploi qui sont les moins mobilisées. On observe la même chose pour les banlieues. »
Qui dit hausse des inégalités, dit hausse du vote FN
Michel Pigenet remonte aux racines de la captation progressive de l’électorat populaire par le parti frontiste : « Aujourd’hui, le FN apparaît parfois comme le seul à affirmer ‘si le politique veut, il peut’. Il a su prospérer sur les renoncements de la gauche institutionnelle. Les classes populaires ont beaucoup de mal à se reconnaître dans une telle classe politique, la plus grande hostilité se manifeste en leur sein. Les classes moyennes salariées y parviennent davantage, elles jouent encore le jeu, mais là aussi des fissures apparaissent. »
« L’Histoire retrouve son lit normal »
Le lien est-il possible entre catégories populaires et classes moyennes ? C’est là que les avis divergent. Scepticisme du géographe Christophe Guilluy : « Dans ce type de mouvement, il y a toujours l’espoir d’une connexion avec les classes populaires. Mais il s’agit surtout d’une contestation interne à la gauche, je n’y vois pas de dynamique révolutionnaire. » Michel Pigenet, lui, n’exclue pas une possible amplification du mouvement… par la jeunesse : « Beaucoup des jeunes actuels ont des parents peu diplômés, sont issus de milieux plus populaires que leurs prédécesseurs des années 1960 et sont, à ce titre, représentatifs de la population française dans toute sa diversité. On est dans une dynamique de mobilisation dont nul, à ce stade, ne peut prédire la suite. Mais est-il absurde d’imaginer que la jonction entre les classes moyennes salariées et les classes populaires puisse s’opérer via ces jeunes, qui se mobilisent dans les lycées et les facultés, et qui discutent aussi avec leurs familles ? »
Loi travail : derrière la mobilisation étudiante, le spectre du « Baron noir »
Emmanuel Todd voit au contraire dans la forte densité de signatures de la pétition au Havre et à Cherbourg, deux villes ayant un taux de diplômés du supérieur inférieur à ceux des grandes agglomérations, les prémices d’une extension du mouvement : « Les classes pauvres sont moins mobilisées, mais ça ne veut pas pour autant dire qu’elles approuvent les mesures. C’est plus dangereux que ce que le gouvernement pense. » Et de rebondir sur le thème de son dernier livre en date, « Qui est Charlie ? »(3), ouvrage qui a créé la polémique au printemps 2015 : « Je ne vois pas dans ce mouvement ce que je voyais ces dernières années. Il y a un retour à la France normale, ce qui est très important et rassurant. C’est un retour des luttes sociales après le délire religieux. On est dans l’après-Charlie et sa détermination religieuse latente. Le gouvernement a essayé de régner dans l’idéologie, la fracture avec l’islam, la laïcité. Mais cette mobilisation, ajoutée à celle des agriculteurs, prouve bien qu’on en est sorti, que l’Histoire retrouve son lit normal. »
Aymeric Misandeau et Olivier Philippe-Viela
(1) « Le mystère français », Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, Seuil, 2013.
(2) « La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires », Christophe Guilluy, Flammarion, 2014.
(3) « Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse », Emmanuel Todd, Seuil, 2015.