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Odile Join-Lambert
France
Les comités d’hygiène et sécurité et des conditions de travail (CHSCT) depuis vingt ans
Le Conseil économique et social a récemment fait paraître une étude [Gérard Filoche (étude présentée par), Vingt ans de comité d’hygiène et sécurité et des conditions de travail, Conseil économique et social, Paris, Journaux officiels, 12 novembre 2001] sur l’évolution des missions et de l’action des CHSCT, auxquels le législateur a accordé il y a vingt ans l’autonomie juridique en les consacrant comme les premiers acteurs chargés dans l’entreprise de la prévention des risques professionnels. Fondé essentiellement sur des enquêtes de la Direction de l’animation de la recherche des études et des statistiques du ministère de l’emploi et de la solidarité (DARES) et de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), le rapport de Gérard Filoche offre un bilan à la fois juridique et statistique sur l’évolution des missions des CHSCT depuis la loi de décembre 1982 et sur leur mise en œuvre dans les secteurs privé et public.
Les CHSCT, de la théorie…
Dernier texte issu du rapport Auroux sur les droits des travailleurs, la loi du 23 décembre 1982 institue le nouveau CHSCT en regroupant l’ancien comité d’hygiène et sécurité et la commission pour l’amélioration des conditions de travail : la compétence unique reconnue au CHSCT doit ainsi permettre de favoriser un examen global des problèmes, intégrant tant les aspects économiques et organisationnels que la politique de santé ou de sécurité. Le CHSCT, dont la constitution est obligatoire pour les établissements de plus de 50 salariés, doit être consulté avant toute décision modifiant de façon importante les conditions de travail.
Outre l’extension des attributions du CHSCT aux domaines des conditions de travail, le législateur a transformé la nature juridique de l’ancien CHS qui, d’organisme spécialisé à vocation essentiellement technique, devient une nouvelle institution représentative du personnel à part entière. Une innovation importante a été introduite par l’instauration d’un droit de refus de travailler dans des conditions dangereuses. Le CHSCT a enfin la possibilité de réaliser des enquêtes et de faire appel à des expertises.
Depuis 1982, les missions des CHSCT se sont encore étendues. Il existe de nombreux cas où le CHSCT doit être obligatoirement consulté, non seulement pour les équipements de protection, la prévention des incendies ou les évacuations mais aussi pour des cas spécifiques comme les risques liés à l’amiante ou le harcèlement sexuel ou moral. Les CHSCT ont enfin un rôle en matière de protection de l’environnement.
Le législateur semble donc avoir voulu leur confier des responsabilités très étendues, en les plaçant au cœur de l’ensemble du dispositif de protection contre tous les risques professionnels, et les a associés dans leur œuvre de prévention à d’autres acteurs importants comme la médecine du travail.
…à la pratique
Cette consécration juridique s’est traduite dans les faits, puisqu’il existe aujourd’hui 22 000 CHSCT regroupant 140 000 membres et couvrant 73 % des entreprises concernées. Mais ces institutions sont confrontées aux limites des moyens d’action dont elles disposent.
Toutes les entreprises de plus de 50 salariés sont concernées, c’est-à-dire en théorie un salarié sur deux. Mais la couverture est en fait inférieure puisque 7,1 millions de salariés sur 14,7 en 1999 travaillent dans des entreprises de moins de cinquante salariés. La présence syndicale est très favorable aux CHSCT puisque 82 % des établissements qui ont à la fois un comité d’entreprise et un délégué syndical ont un CHSCT, contre seulement 62 % des établissements qui ont un comité d’entreprise mais pas de délégué syndical.
La répartition des CHSCT par secteur d’activité montre que leur implantation est plus faible dans le secteur des services et dans celui du bâtiment et des travaux publics (BTP) où prédominent des petites et moyennes structures. Les taux de couverture de 65 % dans le BTP, 66 % pour le service aux entreprises, 62 % dans la santé et l’éducation et 47 % dans les services aux particuliers correspondent aussi à des secteurs où la présence des délégués du personnel, des comités d’entreprises et des délégués syndicaux est généralement la plus faible.
Le rapport entre les moyens et les besoins est apprécié dans l’étude au regard de la fréquence, par taille d’entreprise, des risques en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Cette fréquence est double dans les établissements de 20 à 49 et de 50 à 100 salariés par rapport aux établissements de plus de 300 salariés. C’est donc là où il a le moins de CHSCT qu’il y a le plus d’accidents et de maladies professionnelles. Or il existe une tendance à la baisse du nombre des CHSCT dans les petites et moyennes entreprises, alors que la tendance est plutôt à la progression dans les grandes. Les CHSCT existent donc là où les facteurs de risque sont globalement les moins fréquents.
Si les CHSCT ont eu manifestement une action positive au niveau micro économique, leur bilan est plus difficile à dresser au niveau macro économique : il apparaît ambivalent si on compare schématiquement l’activité des CHSCT à la courbe des accidents du travail et des maladies professionnelles. D’un côté, les CHSCT semblent avoir fait reculer, comme le législateur le souhaitait, les risques professionnels : les accidents ont considérablement diminué depuis 1974.
D’un autre côté, le taux de fréquence défini par le nombre d’accidents du travail rapporté au nombre d’heures travaillées baisse deux fois moins vite entre 1988 et 1998 qu’entre 1970 et 1987 pour l’ensemble de l’économie. C’est lorsque les entreprises ont introduit de nouvelles organisations du travail (flux tendu, flexibilité) que le taux de fréquence a fléchi moins vite.
Par ailleurs, les accidents et maladies professionnelles tendent à augmenter depuis 1997 pour des raisons complexes, qui sont à la fois liées à la hausse du taux d’activité et à celle de la précarité. Les statistiques montrent que l’intensification du travail, la flexibilité ou la précarité (intérim, contrat à durée déterminée) sont des facteurs négatifs en matière de prévention des risques et accroissent le taux de fréquence de ceux-ci.
Les maladies professionnelles sont également en hausse entre 1995 et 1998 mais ce phénomène serait dû, en partie, à une meilleure procédure de déclaration. Une hypothèse est que les salariés dont l’état de santé est déficient sont ceux qui sont soumis à un fort niveau d’exigence mais n’ont que très peu d’autonomie professionnelle et décisionnelle. Les affections péri-articulaires (maladies du geste dues à des postures statiques maintenues) constituent la maladie la plus fréquente avec 67 % des maladies constatées en 1998. Les affections dues à la surexposition au bruit arrivent en deuxième position, après l’amiante et avant les cancers.
Pourtant, face à l’évolution des perceptions produite par l’intensification du travail et de la productivité (d’après un sondage, les risques qui arrivent en premier dans les préoccupations des Français sont le stress et le harcèlement), la dénomination ‘CHSCT’, en remplaçant celle de ‘CHS’, a parfaitement correspondu à cette évolution et l’a même anticipée, même si les moyens ne sont pas à la hauteur des ambitions du législateur. Le CHSCT n’a en effet pas de budget de fonctionnement propre : c’est le chef d’entreprise qui est au coup par coup tenu de lui donner les moyens nécessaires.
Commentaire
C’est précisément l’intérêt de l’étude adoptée par la section du travail du Conseil économique et social à la majorité des membres présents (les représentants des entreprises ayant voté contre) que de pointer là où il y a extension des pouvoirs et des droits sans moyens de réalisation (comme c’est le cas par exemple dans le champ de la défense de l’environnement, dans les relations entre grands groupes et sous traitants, etc.) et de proposer des pistes de réflexion ou d’amélioration. Pour renforcer l’autorité des membres des CHSCT, l’auteur appelle à un débat sur l’instauration d’une procédure de désignation par la voie de l’élection, comme pour les autres institutions représentatives du personnel.
Ce travail très utile sur un sujet peu étudié mériterait évidemment des prolongements dans diverses voies. On peut notamment se demander si un élargissement de la mise en perspective des conditions de travail avant 1982, en recourant par exemple aux statistiques de la Caisse nationale d’assurance vieillesse sur les retraites pour inaptitude (depuis le début des années 1960 en France, le nombre de retraités pensionnés au titre de l’inaptitude augmente pour atteindre en 1997 plus de 18 % des retraités de droits directs), n’apporterait pas de précieux éclairages historiques complémentaires sur une plus longue durée.