Hommage à Fidel
Il était impossible de construire le socialisme à Cuba dans une ile de 9 millions d’habitants. Encore moins qu’en Russie, dans un grand pays de 150 millions d’habitants isolé et arriéré des années 20.
Mais dans les deux cas, il était possible et nécessaire d’y faire la révolution et d’abattre les tyrans. Que ce soit l’infâme Nicolas II ou l’odieux et médiocre Batista
Les deux révolutions ont connu une vie comparable mais jusque là très différente.
Car c’est toujours par le début qu’il faut commencer quand on tente de faire un bilan.
Qui a eu le courage, la volonté, la détermination de se lever et de combattre la tyrannie, la barbarie ? Qui s’est levé, qui a gagné la majorité, qui a pris les armes, qui a osé gagner le pouvoir contre le despotisme ? C’est la première et seule question, la plus décisive.
Le tsar en engageant son pays dans la boucherie inutile de 14-18 contre l’Allemagne, avait fait tuer près de 7 millions de ses sujets, coté Russe, autant que tous ses « alliés » réunis. C’est devant cette hémorragie criminelle que son peuple, les femmes d’abord, se sont soulevés en février 1917. Ensuite il fallait aller jusqu’au bout et ne pas tergiverser, tenir parole pour conclure la paix, même séparée, distribuer du pain et la terre. La majorité des sociaux-démocrates russes est allée jusqu’au bout en octobre 1917. S’ils n’étaient pas allés jusqu’au bout, ils auraient été égorgés comme les Communards Français de 71, et un quelconque Kornilov aurait joué le nouveau tyran russe.
Il n’empêche qu’ensuite, même victorieux de justesse, ils ont été isolés, affamés, envahis, encerclés, (Voir « Reds » film de Warren Beatty, 1981 et lire « 10 jours qui ébranlèrent le monde » de John Reeds) et tellement détruits que la contre-révolution l’a emportée de l’intérieur, Staline liquidant Octobre – plus brutalement encore que Napoléon liquidant les sans-culottes de 1789. Il n’y a jamais eu de socialisme ni de communisme en URSS, la contre-révolution y a triomphé et la bureaucratie a dévoré cruellement les révolutionnaires : il était minuit dans le 20° siècle quand Staline a liquidé 99 % des bolcheviks, le goulag les a broyé, le système a écrasé tous les espoirs socialistes révolutionnaires de 1917.
Cuba a, en partie, échappé à cela.
Fulgencio Batista, ce n’était pas le tsar. Seulement un médiocre et rapace sergent conspirateur, qui a tyrannisé Cuba de 1933 à 1959, par intrigues, complots, coups d’état, en lien avec les gouvernements US et la mafia. Il a pillé et affamé le pays, par le jeu, la prostitution et la drogue, devenu plaque tournante de la mafia, avec les « parrains » Meyer Lansky et Lucky Luciano. Par la torture et les assassinats, on lui attribue 20 000 morts dans une ile de 6 millions d’habitants (selon une estimation US citée par John Kennedy lui-même).
Alors oui, bravo aux jeunes gens courageux qui se soulevèrent avec Fidel Castro contre cette dictature barbouze le 26 juillet 1953, tentant de prendre d’assaut la caserne de Moncada. Oui et bravo à ceux qui récidivèrent en décembre 1956, menèrent la guérilla puis la grève générale et prirent le pouvoir le 1er janvier 1959 (Cf. les beaux films de Sydney Pollack « Habana » et aussi « Soy Cuba »).
Il faut, même 60 ans après, les applaudir, tous, inconditionnellement pour leur héroïsme.
Leur guérilla fut magnifique, leur victoire justifiée, le soutien du peuple fut complet et que nul ne vienne pleurer sur les tortionnaires et barbouzes qui périrent en tentant de les empêcher d’arriver à La Havane.
Mais, 40 ans après les bolcheviks, le nouveau pouvoir vainqueur mais tâtonnant de Fidel Castro dés l’été 1960, a été confronté aux éternelles menaces de contre révolution, de chantage, de blocus.
Les USA refusèrent d’acheter la récolte de canne à sucre le 3 juillet 1960, Khrouchtchev, alors en Inde, le 9 juillet 1960 annonça qu’il la rachetait. Les castristes échappaient à la famine et à la déroute, mais ils devenaient sujets indirects du pouvoir des successeurs contre-révolutionnaires de Staline, en place en URSS.
Les castristes résistèrent à l’invasion de la Baie des Cochons, durent renoncer aux missiles russes, mais souffrirent de la guerre économique impitoyable qui leur fut livrée.
Le reste de l’histoire du régime de Fidel Castro se comprend ainsi : ils vont batailler 50 ans pour sortir du blocus, des actions militaires US et des attentats, sabotages permanents émanant des terroristes ex-suppôts de Batista exilés à Miami. « Che » Guevara va chercher des soutiens en Afrique, à Alger, en Bolivie et s’y fait assassiner. Ils vont partout courir après des débouchés qui se ferment les uns après les autres, au Chili, en Angola, au Mozambique, au Nicaragua, au Salvador, en Chine, et tout semble perdu quand l’URSS s’effondre. La période « especial » des années 90, où ils n’avaient plus rien et manquaient de tout, prouve avec force qu’on ne peut pas plus construire le socialisme dans une petite ile de 1000 km de long que dans une Russie étalée sur 10 000 km.
Ils ont seulement survécu tant bien que mal en donnant remarquablement la priorité à l’éducation, à la santé, à la culture, à la lutte contre la pauvreté, tout ce qu’une dictature barbouze n’aurait jamais fait. 99,91% de la population est éduquée. Cuba de Guevara et de Castro, universel, culturel, artistique, scientifique, brille un million de fois plus fort que le Cuba de Batista et de la mafia, et à sa façon Obama a fini par le reconnaître (il n’y a que les revanchards pillards, brutaux, mafieux, installés et enrichis en Floride, qui le nient et crient de joie au décès de Fidel).
Mais clairement l’absence de possibilité d’expansion économique a freiné l’absence d’expansion démocratique : sans démocratie pas de socialisme.
Le socialisme c’est d’abord donner à chacun selon ses capacités puis le communisme est censé donner à chacun selon ses besoins. On était loin de tout ça. Ce n’est pas une excuse, c’est une explication.
Le blocus illégal (condamné 25 fois par l’ONU) et infâme (un bateau qui accoste à Cuba, 60 km de Miami, est banni de tous les ports US pendant 6 mois) a fait de l’île un parc fermé.
En permanence, pour Cuba, la question était de s’ouvrir ou de mourir. S’ouvrir était plus que difficile à cause du blocus, des menaces, des attentats et sabotages. Mourir c’était subir le même sort, une contre-révolution, comme les bolcheviks exécutés, éradiqués, c’est ce que les frères Castro ont su courageusement éviter, mais à quel prix ! Et chaque fois que des champs nouveaux s’ouvraient à Grenade, au Venezuela, au Brésil, en Argentine, au Pérou, ils ont déployé tous les efforts pour les approcher et les cultiver.
Cuba est demeuré une ile de sans-culottes qui ont évité aussi bien Napoléon que Staline. La longévité de Fidel n’en fait pas seulement un « géant du 20° siècle » comme certains disent un peu platement, il est bien plus : il est la butte témoin de la résistance, celle qui s’accroche à l’espoir universel, qui défend jusqu’au bout une révolution contre vents et marées, contre ceux qui veulent l’éradiquer.
Ce n’est pas un modèle, c’est une praxis enfermée, limitée, bloquée, dans le combat de tout un siècle entre la barbarie capitaliste réelle et un si difficile, si fragile, si vulnérable, si nécessaire espoir socialiste.
Encore une fois sans democratie pas de socialisme, sans socialisme pas de démocratie.
Gérard Filoche, samedi 26 novembre 2016