dans D&S n°356 été 2018 Macron s’entête Il creuse un précipice sous ses pieds

 

D & S N°256 juin 2018 final BAT

Ainsi au bout de trois mois de grèves durables et multiples, le gouvernement – si mal élu – de Macron et Philippe ne veut rien négocier. Pourtant, nul ne peut, dans un pays comme le nôtre, gouverner les services publics et les entreprises contre les salariés. Impossible par exemple de gouverner la SNCF contre 150 000 cheminots qui ont voté à 95 % contre le « pacte ferroviaire ».

 

 

Impossible, de même, de diriger Air France contre 55,5 % des personnels de la compagnie aérienne qui votent contre les propositions salariales de leur PDG et des actionnaires.

Impossible, plus généralement, d’imposer une société « post-salariale » contre 90 % des actifs qui sont salariés. Impossible de revenir, à contre-courant de l’évolution du monde entier, à une économie « informelle » de loueurs de bras, de tâcherons, de journaliers, quand bien même on les rebaptise « auto-entrepreneurs » ou « start-upeurs ».

C’est impossible à moins de briser totalement toutes les résistances. Faire mine de rester droit dans ses bottes face à la grève des cheminots la plus longue et la plus courageuse de leur riche histoire sociale, cela ne suffira pas.

 

Macron, ou la réaction sur toute la ligne

Multiplier les attaques tous azimuts, en spéculant sur la « sidération » pour faire passer la suppression des aides sociales, le blocage des salaires, la suppression des cotisations sociales, l’austérité mortifère dans les hôpitaux, la fin des logements sociaux, la sélection sociale à l’université, les cadeaux mirifiques aux actionnaires, aux riches, aux rentiers, la vente des « bijoux de famille » – autrement dit le patrimoine de l’État –, cela ne suffira pas.

Macron est le plus grand réactionnaire et un des plus brutaux, qui s’est imposé à la tête de la Ve République, « par effraction », avec une forme de putsch interne à la haute technocratie d’État, appuyé par le CAC 40, le Medef, les grandes banques et leurs grands médias, mais sans base sociale, cela ne suffira pas non plus.

Car pour imposer un pareil recul, un pareil retour en arrière à une société comme la nôtre, il faut plus qu’un coup d’État électoral ; il faut un coup d’État tout court avec son cortège de violences, de destruction des droits démocratiques, de dictature ouverte, et non plus masquée.

Certes, Macron est déjà allé dans cette voie : répression policière et judiciaire, anti-syndicale, anti-jeune, anti-migrants. Mais pour écraser la riposte inévitable de tous ceux que cette politique affronte brutalement, cela ne suffira pas.

 

Étrange situation

Les fondements mêmes de notre société, de notre « modèle social » sont sabotés en profondeur, et l’explosion populaire massive ne s’est pas produite.

Le chômage de masse a encore augmenté : + 2,1 % de plus dans les catégories A, B, et C depuis un an. La « croissance », pourtant artificiellement gonflée par des dizaines de milliards de cadeaux aux plus grandes entreprises, stagne et recule même de façon significative en 2018. Quant aux déficits bien qu’activement traqués par l’Exécutif, ils n’empêchent aucunement la « dette » (présumée) de grossir encore de 1,5 point depuis l’élection de Macron.

Les lois anti-migrants ne font, bien sûr, que masquer la question et faire enrager l’extrême droite. Même en faisant du Thatcher, Macron ne parvient pas à faire reculer le FN. Le soutien insolent – et à vrai dire presque totalitaire – de 95 % des médias des neuf plus gros milliardaires, ne suffit pas à enraciner l’image du Jupiter autoproclamé, ni celle de son club de commerciaux et de publicitaires reconvertis en « marcheurs ».

 

comment tient il ?

La raison principale n’est pas dans la « toute-puissance » de Macron. C’est un colosse aux pieds d’argile qui se plaît à humilier des gosses de 14 ans pour se rassurer. Il n’a quasiment pas de base sociale. La raison principale est à trouver dans l’état d’esprit des masses et dans l’état de leurs organisations politiques.

La plaie de la trahison du quinquennat d’Hollande n’est pas cicatrisée. Ce dernier a beau parader dans les librairies des Leclerc, pour tenter de se justifier auprès de lecteurs abusés – sont-ils d’ailleurs si nombreux à l’être ? –, il a fait perdre à la gauche des millions d’électeurs au point de ne pas avoir pu se représenter. Lui qui avait toutes les cartes en mains, il a fait que nous n’avons plus rien. Lui qui disposait d’un pouvoir inédit, sans précédent, dont toute la gauche attendait le changement pour « maintenant » contre notre « ennemi » qu’il avait pourtant clairement identifié, il nous a livrés à la finance et nous a pillés pour lui complaire. En sept élections, il nous a fait tout perdre en nourrissant avec brio l’abstention des nôtres.

Le pays n’est pas encore remis de ce quinquennat maudit. Comment a-t-il pu être possible de se laisser trahir ainsi ? Les opposants de gauche au PS n’ont pas réussi, qu’ils aient été au dedans ou en dehors des rangs du parti, à empêcher d’agir l’homme qui les trahissait si effrontément. Hollande est celui qui a mis Macron au pouvoir, et les supporters de l’ancien président ont abandonné toute référence au socialisme pour rejoindre cet épouvantable libéral. Ils lui ont donné une onction de gauche, une aura de nouveauté et il aurait bien tort de ne pas surfer sur cette duperie tant qu’il le peut.

Dans les rangs du PS, l’opposition de gauche a réussi à empêcher l’auto-proclamation du traître Hollande, à battre son janissaire Valls lors des primaires et, pour la première fois dans l’histoire du socialisme français, à imposer comme candidat un représentant de la gauche socialiste. Le reste de la gauche – qui avait pourtant la partie belle, vu le champ de ruines qu’était devenu le parti au « pouvoir » – a quant à elle décidé de partir au combat en ordre dispersé, s’attachant surtout à savoir qui allait remplacer le PS, plutôt qu’à s’unir sur un candidat unique pour battre la droite.

Il eût fallu un miracle : que la gauche se ressaisisse à temps et parvienne à s’unir pour empêcher le désastre du 23 avril 2017. On ne le redira jamais assez. S’il y avait eu un accord signé, un candidat unique à gauche, nous aurions gagné. La spirale des trahisons et des défections se serait arrêtée net et un vent de nouveauté aurait porté le tandem Mélenchon-Hamon au sommet. Et aujourd’hui, l’un serait Président, l’autre Premier ministre. Tous les sondages, tous les militants – sauf quelques poignées de sectaires – le disaient.

 

Une épreuve de force inachevée

Alors que le mouvement social des cheminots, d’Air France, de Carrefour, des Ehpad, des hôpitaux, des postiers, et leurs multiples soutiens, (45 % d’opinions favorables en permanence dans les sondages) frappent puissamment à la porte contre le pouvoir, comme ce fut le cas lors des 14 manifestations contre la loi El Khomri, le débordement tarde à se produire. La confiance ne s’est pas assez réinstaurée et n’existe toujours pas assez pour vaincre en déclenchant une grève générale et une occupation des entreprises comme en Juin 36 et en Mai 68.

C’est pourtant devenu le seul moyen de stopper la sordide dictature de la finance incarnée par le sémillant Thatcher hexagonal.

Des millions de salariés, même des secteurs qui furent, à tort, abusés, par la démagogie Macron, ont compris de quoi il retourne. 45 % de soutiens à une grève dure de trois mois, ça ne trompe pas : nous sommes et nous allons donc devenir majoritaires, et ce, bien avant les échéances électorales.

Macron en précipitant ses attaques violentes tous azimuts, contraint ses opposants, non plus à la défensive, mais à la contre-attaque.

Il a annoncé la suppression des cotisations à la Sécurité sociale, la fin des retraites calculées selon les annuités de travail, la fin des régimes spéciaux (45 conventions collectives abolies), la fin prochaine du statut de la Fonction publique… Les ordonnances anti-Travail sont en train de s’appliquer et suppriment 50 % des élus du personnel : 200 000 mandatés du personnel en moins sur un total de 425 000 !

Il sait si bien ce qu’il risque qu’il tente de pipeauter les prochaines élections : il a rétabli les élections européennes sur liste nationale pour mieux profiter de la division d’une gauche devenue une véritable mosaïque. Il propose de modifier profondément la constitution pour la rendre plus antidémocratique en divisant par deux le nombre des députés et en rendant par tous les moyens la présidence encore plus « jupitérienne ». Il propose de tenir les élections municipales, départementales et régionales en même temps, en 2021.

C’est pour éviter la sanction des électeurs et maintenir un pouvoir central usurpé, mais fort, qu’il agit de la sorte.

 

S’unir face au danger

Le PS reste paralysé, et hors du coup, faute d’avoir dressé un bilan. Sa direction, restée « hollandaise » à 75 %, a interdit d’expression et de débat ses opposants de gauche, et elle débite de l’eau tiède Macron-compatible. Aucune volonté de barrer la route au Thatcher français. Aucune chance de survie de cette façon-là.

Douze organisations politiques de gauche ont bien compris, elles, qu’il fallait réagir en commun : les 17 mars, 21 mars, 27 mars, 5 avril, le 30 avril, puis le 5 et le 26 mai. Des associations telles que Copernic et Attac ont également joué un grand rôle dans la convergence de la gauche anti-Macron. Les syndicats CGT, FSU, Solidaires, UNEF aussi. Chacun à son niveau.

Cette voie unitaire demande à être davantage explorée. Un seul document sérieux a été établi : la plateforme de soutien aux cheminots et aux services publics. C’était lors du meeting du 30 avril et il fut signé par 9 organisations sur les 12 de départ. Il a pourtant démontré que c’était possible de rédiger une texte commun important en soutien aux luttes en cours.

C’est la seule possibilité si l’on veut simultanément aider l’explosion sociale à mûrir et lui donner une issue gouvernementale. Imaginons qu’il y ait des élections anticipées : allons-nous reproduire la division Hamon-Mélenchon ? S’il y a quatre ou cinq listes de gauche aux élections européennes (même pour ce scrutin sans enjeux de pouvoir immédiats), ce sera facile pour les médias pro-Macron, pour le reste de la droite et pour l’extrême droite, d’occuper l’espace. L’abstention faisant le reste, Macron pourrait l’emporter par défaut. Il fera alors croire qu’il est relégitimé et s’enhardira à aggraver la politique de casse sociale qu’il s’est engagé à mener auprès des classes dominantes.

Toutes affaires cessantes, il devrait y avoir une conférence au sommet de toute la gauche, l’engagement de l’écriture d’une plateforme commune, et la mise sur pied d’un comité de liaison permanent de la gauche, anticipant une solution de pouvoir.

Maintenant, GDS existe et lutte, se développe avec et aux côtés des mouvements sociaux, et participe à tous les débats politiques. Nous venons de faire connaître à nos partenaires une plateforme sociale et écologique de combat. Nous avons approché depuis le mois de mars chaque organisation, une à une, pour parvenir à un accord. Nous rejoindre, nous renforcer, c’est appuyer précisément cette démarche. C’est donner une prime à l’unité sur le meilleur programme possible.

 

Gérard Filoche

 

 

Fin des cotisations, fin de la Sécu ?  

 

Selon un décret du gouvernement Macron-Philippe et un arrêté signé Darmanin-Penicaud-Buzyn publiés le 12 mai 2018 au Journal officiel, 18 millions de bulletins de paie du secteur privé et 5,5 millions du secteur public vont être modifiés entre le 1er octobre et le 30 janvier 2019.

 

Afin d’atténuer le « choc psychologique » des salariés qui sera provoqué par la fin du salaire brut et la baisse du salaire net, les modifications ont été millimétrées. La nouvelle feuille de paie devra comporter deux lignes supplémentaires :

- la première ligne mentionnera les « gains » du salaire net au détriment du salaire brut ;

- la deuxième ligne mentionnera le nouveau salaire net avant impôt, pour donner l’illusion qu’il est majoré.

Le décret précise, pour mieux masquer l’entourloupe : « La deuxième ligne devra être écrite dans un corps de caractère dont le nombre de points est au moins égal à 1,5 fois le nombre du corps de caractère des autres lignes ». Mais il y aura une troisième ligne en plus petits caractères, la dernière, où figurera votre vrai revenu mensuel après impôt, celui que vous toucherez effectivement et qui sera forcément plus bas.

Pour prendre un pareil soin à truquer pour 23 millions de salariés, la perception du bulletin de paie, jusqu’à indiquer par décret la grosseur des caractères qui masqueront le bidouillage, il faut que le gouvernement marche sur des œufs. Il ne s’agit en effet de rien de moins – en espérant évidemment que cela choque le moins possible – que de supprimer le salaire brut, c’est-à-dire les cotisations pré-affectées à la Sécurité sociale, la part du salaire mutualisée, payées à la source par l’employeur, et de les remplacer par l’impôt non pré-affecté, payé à la source par le… citoyen !

Ce hold-up de 47 milliards en faveur des patrons constitue indéniablement la plus importante et la plus historique des « contre-révolutions » de Macron. S’il la mène à bien, ce sera la fin des caisses de Sécurité sociale séparées, issues du programme du Conseil national de la Résistance de 1945. Ce sera la fin du lien direct emploi-salaire-protection sociale, car la mort des cotisations sociales, c’est la mort de la Sécurité sociale telle que nous la connaissons.

 

 

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