Mort à 18 ans pour Uber

Livreur à vélo, un job mortel

 

Jerome Pimot (cf son blog sur Médiapart)

Comment on meurt en faisant un «petit job étudiant».

 

 

Vous n’aviez pas senti la crise ?

La politique ça-vous-z’intéresse-pas ? Vous mangez à votre faim en zappant sur 36 chaînes ? Les pauvres c’est les autres ?

Pour payer ses études d’économie, Franck Page livrait des repas avec Uber Eats. Jusqu’à ce jeudi 17 janvier à 12h10 en grande banlieue de Bordeaux où, à un croisement de la zone industrielle de Pessac Bersol, un camion qui tournait pour aller rejoindre l’autoroute l’a accroché et traîné sur plusieurs dizaines de mètres. Il est mort sur le coup.

 

Franck était un gars comme tant d’autres avec CE p’tit truc en plus. Des proches écrivent sur Facebook qu’il était “solaire”Sa dernière vidéo Facebook, nous montre un vrai talent de danseur Hip-hop par ses figures assez complexes, alors qu’il semblait avoir commencé depuis peu. Ça n’était pas un de ses mabouls qui roule n’importe comment, à la recherche de sensations et/ou de performances. D’ailleurs, lors de l’accident, Franck était arrêté au feu rouge…

Depuis longtemps on savait que ça allait arriver. En juillet 2015 déjà, immobilisé par un poignet cassé, j’écrivais dans un premier texte, sorte de -bouteille-à-la-mer- : “Comment Uber va tuer”.

Cela-dit depuis, il n’y avait pas eu de mort en France et je commençais à me dire que le problème était surtout social. Que le vélo était finalement assez sûr en ville où vitesse et taille des véhicules motorisés sont limités. Les cyclistes étaient donc jusque-là relativement épargnés. Des petits accidents, tout au plus. Parfois sérieux, mais rien qui n’empêche des vies de reprendre leurs cours après quelques semaines de soins.

 

Sauf que les choses ont changé.

Uber Eats, Deliveroo, Stuart, Glovo livrent désormais de plus en plus loin en dehors des centres urbains.

Sauf que faire du vélo en zone quasi piétonne dans le centre d’une métropole est totalement différent de la grande banlieue, d’une zone d’activité commerciale, d’unezone industrielle voire la campagne qu’est souvent la “banlieue” de province.

Moins ou pas de lumière la nuit (dés 18h l’hiver et on roule souvent jusqu’à minuit), voies plus rapides, semi-remorques ou cars qui vous frôlent à 80 km/h…

 

 

Feu rouge où Franck est mort

Moi-même à vélo, en 2015, je me suis fais toucher par un bus (le 164) sur le Boulevard de Verdun à Courbevoie. Ce n’est pourtant pas la brousse, hein. Toujours est-il que le bus m’a attrapé le guidon. Heureusement, je n’allais pas vite et j’ai pu me rattraper sans tomber.

 

Oooh je n’étais pas en livraison hein. À cette époque, je passais juste par là juste pour aller bosser sur Paris comme des milliers de vélotaffeurs, ces gens qui vont au “taff” à vélo, souvent sur des itinéraires réguliers dont ils ont appris avec le temps à connaître les nombreux dangers.

Pour ma part je pédalais d’Argenteuil à Paris-centre… mais après ce -putain_de_bus-, j’ai fini par prendre le train jusqu’à St-Lazare pour minimiser les risques.

Sauf que c’est désormais des milliers de jeunes souvent sans grande connaissance du vélo qui se retrouvent dans des zones perdues à livrer un burger mou et tiède au banlieusard que la pub Uber Eats affichée dans sa lointaine gare RER a convaincu qu’il pouvait consommer exactement comme le CSP+ hyper centré qu’il n’est pas encore.

Oh oui, le résultat est le même : Tu commandes et t’es livré sur ton palier. Sauf que le livreur prend 10 x plus de risques pour t’apporter ta bouffe. Et ça t’en a rien à foutre. Le p’tit gars qui transpire sur le paillasson n’en a pas vraiment conscience non plus. Il s’est sans doute fait quelques frayeurs sur la route avec le souffle d’un camion passé trop près et trop vite ou l’automobiliste qui a pillé devant son nez. Mais il se dit que : “C’est le job…”.

En fait il ne se dit pas tout seul…

…ON LUI DIT !

 

Par contre il y a d’autres choses qu’on ne lui a pas dit.

Il ne sait donc pas ce qu’est le droit du travail ou la protection sociale. Il ne sait pas davantage que “ces trucs” sont justement construits pour que les dangers et la mort se tiennent le plus loin possible du Monde du Travail.

 » Alors voilà, en cas de pépin une petite voix lui dit juste : « que c’est la vie”… aidée en cela par les plateformes qui lui disent aussi : « que c’est un super taff !”, “Qu’il est un vrai héros !”. Quand il a commencé, certains de ses potes, déjà heureux d’avoir gagné quelques milliers d’euros “rien-qu’en-f’zant-du-vélo”, lui ont même sûrement dit que : “c’était un taff MOR-TEL !”

Jusqu’à un feu rouge, un camion… et c’est la mort qui lui murmure.

 

 

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